Pourquoi le mouvement LGBT est traversé par des courants radicaux
Comme les associations féministes et de défense de l’environnement, le mouvement LGBTQI+ est traversé d’un courant radical, qui remet en cause la domination patriarcale et blanche, et lutte pour que de nouveaux combats soient menés par les associations davantage institutionnalisées. En étant souvent entendu.
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» Transophobie « , » racism » : les deux mots, bien gras, bien rouges, barrent cette fresque de la rue de la Chaufferette, à Bruxelles. Une oeuvre de l’auteur de BD allemand homosexuel Ralph König, avec un drapeau arc-en-ciel, un ruban rouge, des femmes qui s’enlacent, des hommes qui s’embrassent. Un tableau urbain en hommage aux LGBT… vandalisé par des militants LGBT. Parce que les lèvres de cette femme noire seraient trop pulpeuses, trop écarlates. Parce que les bras du personnage transsexuel seraient trop poilus et sa représentation trop caricaturale.
Faire disparaître la peinture ? La modifier ? Recouvrir les tags ? En 2015, l’affaire a agité la Rainbow House, la coupole bruxelloise des associations LGBTQI+ (lesbiennes, gays, bisexuels, trans, queers et intersexes). Qui a finalement décidé de laisser la fresque en l’état, comme un rappel visuel des tensions qui traversent le mouvement.
Divergences de générations, nouvelles revendications, mise en cause de la domination masculine… En Belgique comme ailleurs, la cause homosexuelle s’est historiquement structurée autour de sa composante gaye. Les hommes, davantage présents parmi les militants, ont fini par occuper la majorité des postes au sein des associations. Rare- ment colorés, ces hommes. Et plutôt socialement favorisés. » Pendant très longtemps, les personnes qui ont bénéficié des avancées ont donc été des hommes gays blancs, résume Oliviero Aseglio, porte-parole de la Rainbow House. Ce qui fait qu’il y a toujours des carences en matière d’infrastructures, d’accès aux droits pour les femmes, les trans, les bis, les personnes issues de l’immigration. » Lorsqu’il a lui-même débarqué au sein de l’association, l’équipe était quasi exclusivement masculine et blanche. » Et ça se ressentait aussi bien dans nos actions que dans notre public. »
Il ne s’agit pas de guerres internes insupportables. Mais il serait faux de dire que tout est toujours harmonieux.
Six ans et une prise de conscience plus tard, il n’y a plus qu’un salarié parmi les femmes et une personne non binaire. Arc-en-ciel Wallonie et Çavaria, les deux autres fédérations régionales, ont également pris des mesures pour améliorer la représentativité de leurs conseils d’administration. Mais subsistent certaines divergences de vue entre ceux qui ont vieilli avec l’oeuvre de Ralph König, qui se souviennent de son implication dans la lutte contre le sida et qui ne voient absolument pas en quoi une fresque comme celle de la rue de la Chaufferette peut poser problème ; puis certains militants plus jeunes, plus diversifiés, plus conscients du patriarcat et de l’ascendance blanche-cisgenre.
Plus critique, aussi, envers ces structures institutionnalisées, reconnues et subventionnées par les pouvoirs publics. » Nous sommes peut-être une quinzaine d’associations à recevoir des subsides et à embaucher du personnel, sur une petite centaine. Certaines ont une optique beaucoup plus militante et refusent tout contact avec le politique « , décrit Philippe Artois, coordinateur chez Tels Quels. » Tout le monde a le même objectif final : la lutte contre les phobies, les discriminations, les violences, indique Tom Devroye, coordinateur d’Arc-en-ciel Wallonie. Nous, nous privilégions plutôt la politique des petits pas. D’autres mouvements, plus horizontaux et auto- organisés, peuvent parfois être en opposition avec ça, nous considérer comme « vendus aux politiques » et préférer des actions choc. »
Radicalité… mesurée
» Il ne s’agit pas de guerres internes insupportables, poursuit-il. Mais il serait faux de dire que tout est toujours harmonieux. » Des désaccords qui se manifestent au pire par quelques tags, une banderole accrochée pour critiquer la présence de policiers LGBT au sein de la Rainbow House ou encore une protestation contre la présence d’un char de la N-VA à la Belgian Pride Parade. Cette action-là avait fait un certain bruit en 2019, en se soldant par une intervention policière pour disperser les militants de Reclaim the Pride, une association informelle dont les membres avaient préféré rester anonymes, qui s’insurgeait contre la récupération politique et commerciale de la marche des fiertés. Qui est, traditionnellement, un moment où les tensions s’exacerbent, entre ceux qui regrettent que l’événement s’éloigne de ses racines combatives et de l’esprit des émeutes de Stonewall (1), et ceux qui considèrent que la parade doit être inclusive et ouverte à tous.
Voilà pour la » radicalité « . Qui, plutôt que par des actions, s’exprime le plus souvent lors de débats internes. Sur l’orientation politique, parfois : les associations institutionnelles, en tout cas du côté francophone, ont une réputation politique de gauche, voire d’extrême gauche, ce qui leur attire les critiques d’un public plus centriste ou droitier, dubitatif face aux questions liées à l’immigration et aux actions menées à l’égard des personnes qui en sont issues.
Mais sur des dossiers de fond, surtout. Certains groupes féministes sont, par exemple, opposés à la gestation pour autrui, à laquelle sont en revanche favorables les hommes gays. Les théories trans peuvent aussi attiser les discussions, certaines féministes estimant que les personnes assignées hommes à la naissance mais possédant une identité de genre féminine et qui procèdent à une transformation physique n’auront jamais les mensurations » normales » d’une femme et n’auront pas son vécu préalable.
Les bienfaits de la contestation
» Il arrive qu’on nous dise : « OK, votre combat sur le don de sang (NDLR : dont les hommes homosexuels sont toujours exclus). Mais pourquoi ne pas faire une priorité des femmes trans qui se font insulter en Belgique chaque jour ? « , raconte Tom Devroye. Et c’est intéressant que des personnes puissent mettre ce genre de débat en avant, car on en tient compte. »
Radicalité et institutionnel seraient, in fine, assez complémentaires. Ruer dans les brancards pour enclencher une prise en considération et amorcer un changement. » Ça permet de ne pas s’endormir sur ses lauriers « , reconnaît Oliviero Aseglio. A la suite des altercations policières à la Pride de 2019 avec les militants anti-N-VA, les organisateurs de l’événement (qui devait fêter cette année ses 25 ans) avaient décidé d’instaurer un » audit d’inclusivité » pour lutter contre le pinkwashing, la récupération de la cause LGBTQI+ à des fins électorales ou commerciales. Tous les partis, entreprises et organisations souhaitant y défiler auraient préalablement dû obtenir un score suffisant. Le coronavirus ayant entraîné l’annulation du défilé, il faudra attendre 2021 pour savoir si le parti de Bart De Wever aurait réussi le test. Quel suspense…
(1) Les émeutes de Stonewall, qui eurent lieu entre la police de New York et des personnes homosexuelles et transsexuelles en 1969, sont considérées comme le fondement de la lutte LGBT.
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