Covid: vivre avec le virus ou l’éliminer
Vivre avec le virus, en espérant que le vaccin nous en délivre tôt ou tard, est-il encore une solution? Des experts plaident, une nouvelle fois, pour un changement de doctrine. Pour eux, il faut aller plus loin et viser son élimination.
Retour à la case départ? Un an après l’annonce d’un premier confinement, revoilà la Belgique en alerte maximale. Le variant anglais, sa virulence et sa transmissibilité accrues ont tout changé. « C’est presque une nouvelle pandémie », résumait, sur les plateaux de télévision, Alexander De Croo. Ce variant représente aujourd’hui près de 80% des cas observés. Sans les mesures renforcées annoncées le 24 mars, le Premier ministre craignait la saturation des hôpitaux et son impact sur les autres pathologies, hors Covid, ces deux points demeurant la pierre angulaire de la politique menée par les gouvernements européens.
Comme il y a un an, confiner au moins quatre semaines semblait inévitable. Certes, cela ne ressemble pas au premier confinement. Surtout pas. Mais désormais, même les écoles sont fermées et la perspective d’une réouverture des lieux clos est sans cesse repoussée. Le problème avec cette stratégie, on le sait, c’est que si les effets sont rapides, ils ne sont pas durables. Dès qu’on ouvre les vannes, les transmissions reprennent.
Tout ça vaut à l’exécutif des critiques d’attentisme, d’absence de stratégie explicite. Selon Antoine Flahault, professeur de santé publique à l’université de Genève, partout en Europe, en Belgique, en France, en Allemagne, en Italie ou encore en Suisse, « on a des dirigeants qui se situent dans un entre-deux, qui ne sont plus dans le « vivre avec » mais ni tout à fait dans le « zéro Covid » ». « »Casser » plutôt qu' »aplatir » la courbe », « une douleur de courte durée »: les éléments de langage d’Alexander De Croo viennent lui donner raison.
Aujourd’hui, au-delà des mesures de restriction, le gouvernement parie avant tout sur la vaccination pour espérer arriver à une situation d’équilibre durant l’été. Et ce malgré les retards de livraison déjà annoncés par AstraZeneca. « Mais cette stratégie seule ne suffit pas, parce que sortir de la pandémie via la campagne de vaccination ne sera possible qu’à l’automne, affirme Antoine Flahault. Il y a une porte de sortie plus rapide: empêcher toute circulation du virus en écrasant la moindre flambée épidémique. » Autrement dit: pour garder le contrôle sur l’épidémie, il faut tendre vers un objectif zéro.
Lire à ce sujet: Covid: reconfiner était-il la seule solution?
Une fenêtre de tir loupée
Concrètement, il y a d’abord un prérequis, une étape intermédiaire, celle entamée d’ailleurs depuis le 26 mars: réduire les contaminations à un niveau extrêmement faible. Ce qui passe par un confinement généralisé de quatre à six semaines. Mais le dernier.
En chiffres, selon les experts, cela donnerait ceci: le RO, le taux de reproduction du virus qui indique combien de personnes peuvent être infectées par un porteur, se situe aujourd’hui à 1,12. Le faire chuter à 0,7 permettrait de réduire, chaque semaine, de moitié le nombre de cas. Résultat: en moins d’un mois, on réduit drastiquement le nombre de contaminations. Un seuil suffisant pour rouvrir les vannes. Toute la difficulté, c’est après: maintenir sur la durée ce niveau très faible de circulation du virus. « Nous avions une fenêtre de tir en mai dernier, après un confinement dur qui avait stoppé la circulation virale, mais nous n’étions pas en capacité de le faire par manque d’outils », explique Yves Coppieters, médecin épidémiologiste et professeur à l’Ecole de santé publique de l’ULB.
L’Europe et les Amériques pourraient faire figure de tiers-monde en matière de Covid.
En d’autres termes, il s’agit, cette fois, de ne pas faire comme l’été dernier, où les autorités politiques et sanitaires considéraient comme acceptable une circulation virale en dessous d’un seuil. Ce qui suppose, donc, qu’au moment de la décrue, tout soit en ordre pour rendre l’objectif zéro efficace. En résumé, faire beaucoup de tests, remonter les chaînes de contaminations pour identifier l’origine des infections et identifier ainsi un maximum les sources, s’assurer de l’isolement des infectés et des cas contacts, etc. Sans cela, inutile de se lancer dans ce type d’approche.
Un besoin de clarté
Toutes les démocraties ayant atteint l’objectif zéro sont des îles. Pour que cette stratégie soit transposable en Belgique, il faut faire de l’Europe de Schengen une sorte de presqu’île. Ce qui implique un contrôle très strict aux frontières. La contrepartie, ce sont aussi des confinements de courte durée dès l’apparition de cas, de l’ordre de trois à cinq jours.
Des principes simples et éprouvés dans des pays d’Asie et du Pacifique. Des Etats davantage expérimentés aussi en matière épidémique. « Dans une démocratie, on doit s’appuyer sur l’adhésion de la population. Ce que je crains, c’est que la stratégie zéro Covid se mette en place petit à petit, avance Yves Coppieters. Lorsque l’on sera comme entre les deux vagues de l’année passée, dans la situation de fin mai-juin-juillet 2020, alors là le débat pourra être mis sur la table. » Aujourd’hui, « une partie importante de la planète tend vers le zéro Covid. On ne peut plus s’y rendre quand on vient d’un pays où le virus circule et, inversement, tout comme on hésite à se rendre dans les zones impaludées, l’Europe et les Amériques pourraient faire figure de tiers-monde en matière de Covid », abonde Renaud Pierroux, épidémiologiste. Des Etats concluent déjà des accords bilatéraux autorisant leurs citoyens à voyager entre les deux pays. Peut-être y aura-t-il là un ressort pour la stratégie no Covid: quelle nation pourrait-elle tolérer longtemps de passer pour le « lépreux » du Sras-CoV-2?
Tous s’accordent sur un point: il faut plus de clarté. Oubliant l’objectif de moins de 800 nouveaux cas quotidiens et moins de 75 hospitalisations par jour durant une semaine en décembre 2020, le gouvernement semble avoir changé de stratégie sans le dire. Pour beaucoup d’acteurs, quelque chose n’est pas lisible, et ça, ce n’est pas bon.
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