Comment le PTB veut former des « solides communistes »
Le rapport du dernier congrès du PTB, diffusé vers un public choisi, expose les nouveaux objectifs du parti et la stratégie pour les atteindre. La formation d’extrême gauche veut recruter et former davantage de « solides communistes », plus jeunes et plus ouvriers. Et elle s’en donne les moyens.
Ce n’était pas un de ces congrès de jadis, dont les participants devaient se trouver à un endroit donné à un moment donné, où l’on viendrait les chercher afin de les mener au lieu secret où se dérouleraient les débats, mais le PTB a tout de même gardé le goût de la discrétion. Tout le processus qui a abouti à l’adoption des résolutions au « Congrès de l’unité », conclu le 5 décembre dernier, s’est déroulé sans publicité.
Alors que les « membres organisés » du parti sont systématiquement invités à publier des images de la moindre de leurs activités sur les réseaux sociaux, les quelque neuf cents délégués se sont réunis deux fois tous ensemble dans les semaines précédant la séance de clôture, et rien n’a filtré: pas un selfie, pas un hashtag, pas une notification. Rien non plus sur les nombreuses réunions des groupes de base et des commissions thématiques qui, depuis un an, se sont emparées des différentes questions à régler. « Chez nous, un congrès n’est pas un show ou un spectacle, comme nous l’avons vu récemment chez d’autres », insistait Peter Mertens, secrétaire général du parti, dans son discours à la très discrète plénière du 6 novembre dernier.
Discrétion, donc, jusqu’aux deux heures de discours variés, de show et de spectacle, surtout suivis sur YouTube, à défaut de pouvoir, pour les raisons sanitaires bien connues, rassembler tout le monde prévu. Et discrétion aussi sur le contenu des conclusions, rassemblées et résumées dans un rapport censé baliser l’action du PTB pour les cinq prochaines années.
Un ou plusieurs rapports, en réalité. Il semble, en effet, qu’il en existe plusieurs versions, ou en tout cas plusieurs textes, dont la diffusion est limitée selon le cercle auquel appartient le destinataire – cadres, membres organisés, membres consultatifs, société civile. « Ont été élus 883 délégués dans quatre cents groupes de base. Quatre-vingt-trois commissions se sont tenues dans tout le pays, et ont résulté en 564 pages de rapports », précisera d’ailleurs, dans son grand discours de clôture, le tout nouveau président Raoul Hedebouw. Le seul rapport du congrès disponible – sur demande -, et qui n’est pas publié sur le site Internet du parti, n’en fait que 149.
Dix-huit thèses de doctrine et huit principes d’organisation y sont développés en 346 paragraphes, dans une version très vulgarisée – ses auteurs ont pris la peine, en note de bas de page, d’expliquer les mots « virulent », « hybride », « suprématie » ou « capitulation », par exemple -, entre citations de Marx, de Lénine, d’Alvaro Cunhal (le dirigeant historique du Parti communiste portugais) et de Johan Cruijff, notamment.
Dans la première partie, qui situe idéologiquement les « choix » du parti, la primauté donnée désormais par le PTB au combat belgicain, déjà bien marquée par la campagne « We are one » lancée à l’occasion de l’Euro de football, est même consacrée, puisque le chapitre dédié à ce thème est présenté en premier. Dans l’ordre, le PTB proclame « Nous choisissons l’unité » contre la scission de la Belgique, puis « Nous choisissons l’antifascisme » contre la montée de l’extrême droite, puis « nous choisissons la paix » contre « l’impérialisme » des Etats-Unis, puis « Nous choisissons le climat » contre le « capitalisme vert », puis « Nous choisissons le plan red five » pour plus d’investissements publics, et enfin « Nous choisissons le socialisme », pour un « socialisme 2.0 ».
« La tendance tenace à l’entre-soi des intellectuels »
Mais c’est dans la deuxième partie du rapport, intitulée Notre colonne vertébrale, que l’on trouvera les informations les plus intéressantes sur le fonctionnement du parti et sur sa stratégie. Elle se subdivise en quatre chapitres (Parti de la classe travailleuse, Parti de la jeunesse, Un parti organisé et Un parti communicateur) qui contiennent chacun deux « thèses », dans lesquelles le parti se livre à une autocritique assez sévère, sur deux dimensions en particulier: le faible poids des ouvrières et des ouvriers dans la direction du parti, et l’insuffisante attention portée aux préoccupations des jeunes.
Sur le poids des ouvriers en particulier, la contrition, venant d’un parti « issu du mouvement étudiant de Mai 68 » et « fondé pour l’essentiel par de jeunes intellectuels révolutionnaires qui ont consacré toute leur énergie à l’édification d’un nouveau parti communiste dans notre pays », frôle parfois l’anti-intellectualisme. « La grande majorité de nos cadres, des collaborateurs salariés et autres sont diplômés de l’enseignement supérieur. Les ouvriers et les ouvrières sont l’exception. Bien sûr, comme parti, nous avons besoin de beaucoup d’intellectuels, mais le parti doit être une fusion entre ouvriers et intellectuels. Dans cette fusion, la culture et le style ouvriers doivent devenir dominants dans le parti. Et pas l’inverse », stipule ainsi le 186e paragraphe du rapport, tandis qu’une « certaine attitude élitiste » des cadres intellectuels est déplorée au paragraphe 195, et que le précédent dénonce « les mécanismes liés au fonctionnement du parti. Il existe une tendance tenace à l’entre-soi chez les intellectuels. Cela s’exprime dans plein de petites choses quotidiennes. L’embauche de nouveaux collaborateurs, la survalorisation du diplôme, la présentation d’une réception de Nouvel An ou d’un meeting, les groupes d’amis (fêtes, vacances…) qui se forment, la place des ouvriers et des ouvrières à l’affiche de ManiFiesta, la représentation du parti à une activité et bien d’autres choses encore. »
Plusieurs dispositions ont été adoptées pour y remédier. D’abord, des quotas d’ouvriers et d’ouvrières sont désormais imposés dans les organes du parti: « Au minimum un membre sur cinq du Conseil national et des conseils provinciaux doivent être des ouvriers et des ouvrières. »
« Identifier les ouvriers d’avant-garde »
Ensuite, en se constituant des « bastions de lutte », à travers des sections d’entreprises – il y en a déjà cent-vingt, le parti en veut davantage, et les veut mieux organisées. « Tout comme nous avons désigné des villes et des communes prioritaires pour les élections, nous voulons fixer des priorités nationales et provinciales dans le monde du travail aussi », lit-on au paragraphe 212. Certains lieux de travail spécifiques sont visés: les grandes chaînes de production et les secteurs clés (production, transport et stockage d’énergie et d’eau).
Ces sections d’entreprises, pour être mieux encadrées, seront assistées par des coachs, qui feront le relais entre le travail quotidien des sections et les directions provinciales du parti. Surtout, elles devront susciter en leur sein des vocations de cadres, formés en plusieurs étapes jusqu’à l’école nationale pour cadres ouvriers du PTB, baptisée école Jan Cap, en hommage à un syndicaliste du secteur des chantiers navals décédé en 2018. Le paragraphe 202 du rapport évoque « une chaîne dans la formation: identifier les ouvriers d’avant-garde et en priorité les plus jeunes, un cycle d’engagement et des Ateliers Marx pour ouvriers, la formation des présidents de groupe ouvriers, les formations de cadres dans les provinces avec cinq à dix ouvriers et au bout du compte l’école Jan Cap nationale ».
Enfin, le paragraphe 229 regrette qu’à l’école, « on nous présente en tant qu’histoire une liste interminable de nobles, de ministres et de rois, alors qu’il n’est pas question du peuple travailleur ».
La mobilisation de la jeunesse devra, elle aussi, s’appuyer sur des quotas (au moins 10% de moins de 30 ans au Conseil national et dans les conseils provinciaux). Car « la direction doit constamment se rajeunir », ce qui s’est passé lors du congrès, puisqu’entre promotion ouvrière et ascension de la jeunesse, la moitié des élus du nouveau Conseil national – une cinquantaine de mandataires – ne siégeait pas dans sa mouture précédente. Cet effacement forcé de la vieille garde du parti assez mal vécu par quelques militants chenus, « conduit à une certaine amertume » dans « une poignée de cas », concède le paragraphe 261. « Mais c’est heureusement l’exception », se reprend-il ensuite.
Outre les quotas, une commission jeunesse et des « groupes de base de jeunes » seront créés, et les trois organisations de jeunes (Comac pour les étudiants, Red Fox pour les ados, et les Pionniers pour les 6-16 ans) seront renforcées, avec une attention particulière, pour le très actif Comac, envers l’implantation dans les hautes écoles plutôt que dans les universités, car « beaucoup d’enfants de la classe travailleuse se retrouvent plus rapidement dans l’enseignement supérieur non universitaire en raison du caractère plus élitiste des universités et du processus de sélection dans notre société ».
« Rendre plus strict et garder, telles sont les deux tâches »
Mais les jeunes et les ouvriers ne sont pas les seuls à préoccuper la direction du PTB. Elle est aussi soucieuse d’élargir le nombre de ses « membres organisés », la deuxième de ses trois couches d’adhérents, qui militent dans les « groupes de base », entre les membres consultatifs et les cadres. « Nous voulons assurer que nous pouvons en faire des communistes solides. Rendre plus strict et garder, telles sont les deux tâches », énonce le paragraphe 289 du rapport. Il n’y en a que trois mille aujourd’hui, sur les vingt-quatre mille membres, toutes catégories confondues, inscrits au PTB. Il n’y en a donc que 12,5%, alors que le congrès de 2015 s’était fixé un « taux d’organisation » de 27% à atteindre en 2020. Désormais, le PTB espère former trois mille membres organisés de plus d’ici à son prochain congrès, prévu en 2026, pour en compter six mille.
Encadrés ici aussi par des coachs, questionnés par « un modèle standard d’entretien » et formés durant au moins une journée d’introduction « au marxisme et au centralisme démocratique », les futurs « membres organisés », dont le « département organisation » du parti devra déterminer « l’engagement financier », deviendront ainsi les « communistes solides » sur lesquels se reposera le parti.
C’est ainsi à un sacré plan quinquennal que s’est, après sa discrète autocritique, engagé le PTB. Sans show ni spectacle, comme dirait Peter Mertens.
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