Nicolas De Decker
La certaine idée de Nicolas De Decker: prendre les cons pour des gens (chronique)
« On ne veut pas devenir un parti comme un autre », répète toujours Raoul Hedebouw, et il a raison car, pour le moment, son parti n’est pas un parti comme un autre. Il est un parti marxiste, et il est un parti mieux formé.
Alors que dans les autres formations, la culture politique n’est que l’attribut individuel de certains, et que le goût pour la lecture de l’un ou la conscience historique de l’autre ne sont que des accidents, le PTB est sans doute, en effet, le parti le plus cultivé de Belgique. La règle politique impose partout l’habileté ; au PTB, cette habileté oblige à la connaissance: pour progresser dans l’appareil, la maîtrise des classiques du marxisme mais aussi des sciences sociales y est une nécessité, l’attention aux débats théoriques du moment, une obligation, bref, l’érudition, un dogme.
Et c’est précisément parce qu’il n’est pas un parti comme les autres, parce que ses têtes pensantes sont des têtes très pensantes que, lorsqu’il s’adresse aux catégories sociales qu’il veut défendre, et qui sont, incontestablement, celles qui souffrent du plus de mépris dans notre société, il veut faire croire qu’il prend les cons pour des gens, alors qu’il prend surtout les gens pour des cons.
Il le fait grossièrement, avec ce mépris de classe que portent les gens très cultivés mal à l’aise de devoir parler à des gens qui le sont moins, surjouant, faisant exprès d’enlever les subjonctifs de la conjugaison, plaquant des grands smileys colorés sur tous les tracts, faisant fabriquer des gros bonnets rouges avec écrit « rebelle au grand <3", ou agitant des petits gadgets en plastique à la tribune du Parlement.
Le PTB n’est pas un parti comme les autres parce qu’il pense encore plus que les autres, au fond, que ses électeurs ne savent pas suivre une vidéo de plus de treize secondes si le marxiste qui s’y exprime ne porte pas un nez de clown et greffe une subordonnée à ses demi-phrases.
Le parti qui n’est pas comme les autres parce qu’il maîtrise, transpose et applique les classiques du marxisme, méprise ses électeurs comme les gens qui se savent érudits méprisent des gens qu’ils croient bêtes, lorsqu’il s’oppose au pass et à l’obligation vaccinaux. « Ça divise! », dit Raoul Hedebouw, « ça polarise », répète-t-il, pour les dénoncer, comme si la division était un obstacle et la polarisation une horreur, et il prend là encore plus les gens auxquels il s’adresse pour des cons que quand il agite des petits jouets et enfile les indicatifs à la tribune du Parlement.
Parce que, bien formé comme il est, Raoul Hedebouw pense que la lutte des classes est le moteur de l’histoire, et qu’un marxiste bien formé ne devrait dialectiquement considérer la division que pour ce qu’elle est, un fait, et la polarisation que pour ce à quoi elle sert, un moyen.
Un parti marxiste qui n’aime pas la polarisation n’est peut-être alors pas un parti comme les autres, mais dans la classe en soi d’un pays où les libéraux réclament plus de punitions, un pays où les écologistes construisent des usines à gaz, un pays où les socialistes privatisent, et un pays que les séparatistes disent vouloir sauver, il n’a vraiment pas l’air le plus malin.
Ni le plus honnête.
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