Cinq questions pour comprendre le « tracking » du coronavirus

Caroline Lallemand Journaliste

Pour sortir du confinement, des pistes sont proposées, dont celle du tracking des citoyens via leur smartphone. On fait le point sur cette technologie, ses risques, ses bases juridiques et son efficacité.

1. En quoi consiste le « tracking » des personnes ?

Le « traçage numérique » également appelé « tracking » ou « tracing », consiste en un suivi numérique des citoyens afin de détecter et prévenir les possibles agents propagateurs du Covid-19. L’idée est de rompre les chaînes de transmission du virus, de manière à enrayer sa propagation, en isolant préventivement les personnes contaminées.

Un tel logiciel retracerait l’historique des relations sociales entre des individus sans toutefois les géolocaliser. L’usage de la technologie Bluetooth serait privilégié, car elle est plus précise que les données GPS. Le téléphone d’un individu détecterait automatiquement tous les téléphones des personnes dont il s’est approché dans un rayon relativement limité. Si l’une des personnes croisées lors des quatorze derniers jours est infectée par le Covid-19, une alerte est envoyée via le smartphone.

2. D’où vient cette technologie ?

Cette idée s’inspire de mesures prises en Chine, à Singapour et en Corée. La Corée du Sud est un des premiers pays à avoir mis en place un système poussé de suivi de ses citoyens. Le site https://coronamap.live/ permet de se rendre compte du degré de précision de ce suivi. Dans la pratique, l’application capte via la technologie sans fil Bluetooth les autres smartphones équipés et enregistre leurs contacts. En cas de symptômes ou de test positif au Covid-19, l’utilisateur se signale et l’application prévient tous les contacts croisés les jours précédents.

Pour chaque quartier de chaque ville, la liste des personnes ayant été déclarées positives au coronavirus est dressée, avec la date du test, le sexe, la nationalité et l’âge. Pour chaque personne, les déplacements des derniers jours sont retracés, minute par minute, précisant le nom des commerces ou des lieux dans lesquels ils se sont rendus, détaille le site du Huffington Post. C’est sur ce modèle que se basent plusieurs pays d’Europe, dont la France pour l’implémenter sur leur territoire.

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Capture d’écran de la « coronamap » utilisée en Corée du Sud.© https://coronamap.live/

3. Quel système pourrait être mis en place en Belgique ?

Une technique de « traçage » est déjà utilisée actuellement en Belgique par le biais d’une vérification humaine. La Wallonie, Bruxelles et la Flandre comptent recruter 2.000 enquêteurs qui seront chargés d’identifier les citoyens potentiellement contaminés par le coronavirus. Il s’agit de « contact tracers » qui tenteront d’identifier avec qui les personnes infectées ont été en contact. Ces personnes seront invitées à se faire tester. Les personnes qui seront déclarées porteuses du virus devront ensuite s’isoler pendant deux semaines. Ce « contact tracing » s’inscrit dans la stratégie d’abandon progressif des mesures de confinement. La Wallonie a besoin de 600 enquêteurs, Bruxelles de 200 et la Flandre de 1.200.

Le Fédéral et les Régions travaillent sur une méthode technologique, sur une « application corona ». Il est laissé le soin à une task force spéciale de piloter les développements technologiques nécessaires. Dans notre pays, de nombreuses entreprises ont déjà soumis des propositions pour de telles applications au ministre De Backer, en charge de la gestion du matériel lors de cette épidémie.

4. Quelles sont les balises à respecter dans l’utilisation de telles données ?

Le « tracking » de personnes contaminées par le coronavirus dois se faire en respectant la vie privée, en évitant tout risque d’intrusion ou d’exploitation commerciale des données personnelles. Il doit répondre à l’échelle européenne au « Règlement général sur la protection de données » (RGPD).

Malgré ces garde-fous, l’utilisation d’une telle application suppose de communiquer des informations personnelles avec les autorités en cas de contamination. Pour être conforme à la réglementation européenne, un tel dispositif ne peut être déployé que sur la base du volontariat.

Emmanuel André, porte-parole interfédéral dans la lutte contre le coronavirus, a abordé dernièrement cette question sur les ondes de la RTBF. « Le partage des données GPS d’un citoyen doit se faire uniquement sur base volontaire. Tout citoyen doit avoir le choix de les partager ou pas. »

Dans ce contexte, afin de protéger la population d’éventuelles dérives dans l’utilisation de ces données, une résolution a été déposée à la Chambre, par le député Ecolo Gilles Vanden Burre. Il plaide pour que le citoyen, seul, puisse vérifier les informations recueillies, pour que l’application ne soit pas rendue obligatoire et pour, qu’en fin de pandémie, toutes les données soient détruites. « Des exemples provenant de l’étranger ont déjà montré que la frontière entre l’information et le contrôle est souvent très mince, et les médias rapportent presque tous les jours des abus et des excès« , précise la proposition de résolution.

De nombreux universitaires montent d’ailleurs au créneau pour que cette« application corona » soit utilisée avec précaution et discernement.

Comme l’explique la RTBF sur son site, le député plaide pour le principe du « privacy first », qui implique que l’utilisateur de l’application soit le seul à déterminer ce qui peut advenir de ses données.

Le PS, le sp.a, le CD&V et l’Open Vld, contresignent cette résolution. Le soutien des libéraux flamands, dont font partie les ministres De Backer et De Block, est prometteur.

Le député PS Khalil Aouasti y a ajouté une condition supplémentaire : que le texte débouche sur une loi, encadrée par le Conseil d’Etat et l’Autorité de protection des données personnelles. Un simple arrêté pris en vertu des pouvoirs spéciaux ne serait pas admissible, selon lui. La proposition de résolution sera prise en considération lors de l’assemblée plénière de la Chambre, jeudi.

5. Ce « tracking » serait-il efficace ?

Pour Raphaël Jungers chercheur en mathématiques appliquées à l’UCLouvain interviewé dans La Libre. « Ce n’est pas clair du tout. Admettons que votre téléphone vous dise ‘il y a cinq jours, vous avez croisé quelqu’un qui a été affecté’. Très bien, que fait-on ? On retrace les dizaines de personnes qu’un malade a croisées en deux semaines et on leur dit de rester chez elles ? Dans la situation actuelle, où le virus est partout, on risque de recevoir des alertes tout le temps. Il faudrait demander aux autorités une analyse quantifiée sur cette question. »

Les capacités de testing devront, par ailleurs, être bien supérieures à celles utilisées actuellement.

Il existe également un risque de faux positifs de par l’utilisation de ce type de technologie. L’application peut par exemple détecter qu’une personne s’est approchée d’une personne infectée, alors qu’en réalité il y avait un mur entre elles deux. L’inverse est également possible : une personne peut être infecté sans que l’application n’émette d’alerte.

Enfin, pour qu’une telle application fonctionne efficacement, non seulement tous les groupes de population doivent être bien représentés, mais il doit surtout y avoir suffisamment d’utilisateurs. Or, tout le monde n’a pas de smartphone et/ou n’a pas envie d’utiliser ce type de technologie. La rendre obligatoire est très difficile sur le plan éthique et politique. De nombreux universitaires montent au créneau pour que cette l’ « application corona » soit utilisée avec précaution et discernement.

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