175 ans des libéraux belges: « Nous n’avons jamais trahi nos principes »
Les libéraux belges fêtent cette année leurs 175 ans. Un ouvrage, commandé par le MR et l’Open VLD, revient sur la grande histoire du plus vieux parti d’Europe continentale.
C’est un bel âge, qui vaut bien un beau livre. Pour célébrer les 175 ans du Parti libéral belge, ses deux héritiers, le MR et l’Open VLD publient Liberté et progrès (1).
Il y a toujours eu cet attachement très fort, partagé à l’époque par les socialistes, à l’émancipation de l’individu.
Un bel ouvrage collectif, évidemment plutôt élogieux, mais qui ne fait pas l’impasse sur certains des paradoxes et des ambiguïtés de ce parti, d’abord anticlérical, bourgeois, opposé au suffrage universel, puis garant de tous nos grands compromis démocratiques, sur le suffrage universel, sur la sécurité sociale ou le Pacte scolaire, mais réticent quant à la fédéralisation de la Belgique, et attaché à son rayonnement international: ce n’est pas pour rien qu’il a fourni le premier président de l’Assemblée de la Société des Nations, Paul Hymans, puis le premier président de la Commission européenne, Jean Rey, jusqu’aux contemporains Charles Michel ou Guy Verhofstadt.
Le Vif a rencontré Corentin de Salle, directeur scientifique du Centre Jean Gol et coordinateur, avec son homologue flamand Jimmy Koppen, de l’ouvrage.
Historiquement, les villes étaient les places fortes du libéralisme, alors qu’aujourd’hui il est plutôt plus vigoureux dans les zones rurales et semi-rurales. Est-ce le parti ou la société qui a changé?
C’est plutôt la société. Dans nos villes, énormément d’axes importants portent le nom de grands libéraux: Rogier, Janson, Tirou, de Brouckère, etc. Cela témoigne aussi d’une époque où le suffrage universel n’existait pas encore, et où un pourcentage très faible de la population pouvait voter. La propension d’une certaine élite urbaine était de voter pour le parti libéral. La fusion des communes a, beaucoup plus tard, dilué assez largement le poids du parti en incluant les banlieues ouvrières de certaines villes. Inversement, dans les campagnes, la sécularisation a fait reculer le parti catholique. Ce sont des éléments qui montrent que la société a changé, tandis que le message, lui, est resté assez similaire. Même si le parti a bougé sur l’échiquier politique. Là aussi, parce que le contexte politique a évolué plutôt que le message.
A propos d’échiquier, les libéraux flamands sont beaucoup plus « en pointe » sur les combats éthiques que vous, qui vous êtes toujours montrés plus divisés, de l’avortement à l’euthanasie, en passant par les droits des minorités sexuelles…
J’avais tendance à penser ça aussi avant de publier ce livre. Indéniablement, il y a eu un véritable ressourcement avec Guy Verhofstadt. En 1979, au congrès de Courtrai, les libéraux flamands adoptent un manifeste très radical, inspiré de Friedrich Hayek, Milton Friedman, John Rawls, James Buchanan, etc. Ils reviennent à des principes très purs, mais c’était aussi lié à une forme d’exaspération à l’égard de la domination du CVP. Quand arrive le gouvernement Verhofstadt, qui est le gouvernement éthique par excellence, une série d’avancées sont décidées. Mais les libéraux francophones en sont aussi…
Mais ils disposent sur ces sujets de la liberté de vote au Parlement, et se divisent…
Oui. Chacun jouit de la liberté de conscience au parti libéral. Mais, à côté de ça, il y a un élément qu’on a un peu oublié dans les années Verhofstadt, c’est que le VLD a failli se retirer du gouvernement sur le vote des étrangers extraeuropéens aux élections communales. C’était aussi une question d’éthique. Il y a eu des résistances au MR également, mais moins. Et quand on voit le dernier dossier en date, celui de la neutralité, les libéraux francophones sont beaucoup plus en phase avec Jules Bara, le grand ministre de la Justice du XIXe siècle, et son inflexibilité.
(1)Liberté et progrès, sous la direction de Corentin de Salle et Jimmy Kopper, éd. Jourdan, 250 p.
Tout de même, depuis Omer Vanaudenhove en 1961, qui abandonne l’anticléricalisme traditionnel du Parti libéral, le parti de l’élite urbaine s’élargit, surtout côté francophone, à toutes les classes moyennes, y compris conservatrices…
Ce n’est pas qu’une stratégie électorale opportuniste. On se situe juste après le Pacte scolaire, et Vanaudenhove constate que la guerre scolaire a pris fin, que les catholiques ne seront plus l’ennemi atavique. Ce repositionnement est précédé d’une refondation doctrinale menée par Roger Motz, qui pousse, déjà, les libéraux à plutôt mettre en avant les questions socio-économiques. C’est le moment de la Loi unique, aussi, où on fait un deal avec le PSC – CVP: d’accord pour augmenter la charge fiscale, mais à condition de réduire les dépenses publiques. Honnêtement, en écrivant ce livre, je n’ai jamais vraiment trouvé de trahison majeure par rapport à nos principes. C’est même plutôt l’inverse: on a parfois payé le prix de ce que j’appelle le syndrome du scorpion, on a, en vertu de l’attachement à certains principes, travaillé contre nos propres intérêts électoraux. C’était le cas avec le suffrage universel…
Que le parti n’a pas du tout voté dans un enthousiasme unanime…
Non, bien sûr. Mais en 1900, lorsque Paul Hymans accorde les doctrinaires et les progressistes sur le suffrage universel masculin, on savait qu’on en paierait le prix. Il y a toujours eu cet attachement très fort, partagé à l’époque par les socialistes, à l’émancipation de l’individu. On peut aussi parler de la crise financière, qui a vu Didier Reynders nationaliser les banques au détriment de tous les petits épargnants qui votaient pour nous, ou de la scission avec le FDF en 2010, qui nous a coûté beaucoup à Bruxelles, ou du Pacte de Marrakech, qui a fait exploser le gouvernement Michel… Et c’est tout à notre honneur.
Mais, aujourd’hui, le MR assume défendre le réseau catholique d’enseignement, non?
C’est le paysage qui change autour de nous. Ici, ce n’est pas qu’on aime particulièrement l’école catholique ou même la religion, mais c’est un réseau considéré comme libre: nous le défendons au nom de la liberté. Ce contre quoi on a toujours lutté, c’est contre une forme d’aliénation, de domination de l’Eglise sur les esprits, et on pense qu’aujourd’hui l’aliénation prend d’autres formes, et que le danger d’une aliénation vient désormais beaucoup plus de l’islam que du catholicisme.
L’investissement dans certaines « guerres culturelles » ne marque-t-il pas un tournant par rapport à celui de Vanaudenhove qui avait mis ces querelles de côté pour se focaliser sur la lutte contre le « travaillisme », insistant sur la centralité des questions économiques?
Vanaudenhove le fait parce que le conflit était neutralisé par le Pacte scolaire. Il se reconcentre sur le socio-économique, par rapport à ces grandes forces que sont les syndicats. Mais l’actualité de ces quinze dernières années a vu la résurgence du fondamentalisme. On ne sait pas faire parler les morts, mais je pense que Paul Janson, s’il vivait encore, serait certainement favorable au vote des étrangers, mais il serait aussi dans le même camp que nous par rapport au fait religieux. En relisant certains textes de nos pères fondateurs anticléricaux, je me disais d’ailleurs qu’on pouvait parfaitement remplacer « catholicisme » par « islam politique ».
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