Carte blanche
Covid à l’hôpital: l’indispensable et difficile empathie des soignants (carte blanche)
Le Professeur Fabio Silvio Taccone est médecin intensiviste à l’hôpital Erasme de Bruxelles, un des responsables covid pour les unités de soins intensifs. Depuis près de deux ans, il se bat, au chevet des malades, avec une rare persévérance contre le virus. Il vient de perdre, à cause de ce virus, deux personnes qu’il connaissait très bien, qu’il a lui-même soignées et tenté de sauver. Il a posté, en italien, sur son profil Facebook ce billet que nous avons traduit avec son accord et que nous lui avons demandé de pouvoir le publier sur notre site.
Une carte blanche du Professeur Fabio Silvio Taccone
Qu’est-ce que l’empathie ? C’est ce sentiment, cette capacité à comprendre l’état d’esprit des autres – le personnel médical en réanimation vit ce sentiment tous les jours, s’identifiant autant que possible aux émotions du patient et de sa famille.
Il est vrai toutefois qu’un peu de détachement – et pourquoi pas parfois un peu de cynisme – permet au personnel soignant de ne pas être noyé par le flot d’émotions, d’oublier un peu la souffrance et les morts dont ils sont témoins tous les jours et de continuer à s’occuper de la prochaine « affaire », du prochain patient, en espérant qu’une nouvelle vie sauvée puisse maintenir l’optimisme et la motivation qui sont toujours nécessaires pour exercer ce métier exigeant.
Avec l’arrivée de la Covid, l’obsession de trouver les soins les plus efficaces et d’avoir accès au matériel de protection PPE (dont les masques chirurgicaux et FFP2) ainsi que les vagues successives qui nous ont submergés, les longs débats avec des familles à cause de la désinformation sur les réseaux sociaux, les luttes vaccinales, les confinements, les vérités cachées du web ont parfois rendu notre travail de soignant mécanique, répétitif, obsessionnel… L’empathie a laissé beaucoup de place à la résignation et l’incompréhension. D’abord applaudi puis vilipendé, le personnel médical a été écrasé par la fatigue, la colère, l’indifférence, la négativité, l’inconnue du futur… et a sans doute voulu oublier, plus que d’habitude, la souffrance des patients pour ne pas alimenter la sienne de manière vertigineuse.
Ces deux dernières semaines, j’ai dû dire au revoir à deux personnes que je connaissais bien : un collègue médecin et un très bon coiffeur italien. Deux personnes qui se sont battues longtemps contre un ennemi trop fort qui a fini par les anéantir… Ces histoires m’ont fait réaliser comment, pour vraiment comprendre la Covid et ses répercussions sur le monde, il faut sentir et vivre de près la douleur, et aussi pouvoir accepter – avec beaucoup de difficulté – la « défaite » en tant que soignant, espérant avoir aidé les patients et les familles sur leur long parcours de séjour, de survie, d’espoir et de fin d’adieu. Le sentiment d’échec intérieur est difficile à supporter mais la conviction d’avoir été un soutien valable me maintient à flot. Salutation à Daniel et Salvatore ! Votre combat a contribué à accroître nos forces résiduelles pour affronter cette longue route … Kende Malamu … Ciao… vous avez laissé un souvenir merveilleux chez tous ceux qui vous ont connus.
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