Antimigraines: le casse-tête financier des traitements
De nouveaux traitements pourraient soulager les milliers de personnes qui souffrent de migraines sévères en Belgique. Mais ils sont chers, de l’ordre de 500 euros par mois. A moins que l’Inami n’accepte leur remboursement, ce qui n’est toujours pas le cas.
Un marteau piqueur dans la tête… Dans ces moments de crise, on ne se tape pas la tête contre les murs: ce sont les murs qui frappent. Pour Claire, infirmière de 44 ans, dont vingt-cinq de migraine sévère, cela arrive en moyenne vingt jours par mois, durant au moins quatre heures. Clouée au lit, plongée dans le noir, à l’abri de tout bruit qui risquerait d’aggraver la situation, elle attend que passe la crise, ponctuée de nausées et de vomissements. « Durant ces longues heures, vous êtes défaite, seule, et vous vous sentez foutue pour la vie, raconte-t-elle. Quand ce tsunami s’est éloigné, vous êtes ravagée. Il vous faut des heures pour récupérer, avec la crainte que ce cycle infernal reprenne. » Puisqu’il reprendra. Ainsi va la vie des grands migraineux.
La crise sanitaire du coronavirus ne facilite évidemment pas les choses.
En Belgique, une personne sur quatre souffre de migraines chroniques et quelque 5 % de la population souffre de plus de 8 crises de migraines par mois. Les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes. Selon l’Organisation mondiale de la santé, parmi les 25-49 ans, la migraine est la cinquième maladie la plus invalidante, sur 369. Autrement dit, elle est l’une de celles qui réduisent le plus le nombre de jours de vie en bonne santé. Enfermés dans cette invisible prison, il est impossible à ces patients de mener normalement une vie de famille, de travailler et d’entretenir des relations sociales comme n’importe qui. En un mot: de vivre. Le coût de ces souffrances n’est pas qu’humain. Il est aussi financier. En Belgique, 1,9 million de jours de travail sont perdus chaque année. Et, selon des statistiques européennes datant de 2010, la migraine coûterait 985 millions d’euros aux finances belges, chaque année.
Les anticorps monoclonaux
Les anticorps monoclonaux se fixent sur une cible spécifique dans le corps. Les traitements à base d’anticorps monoclonaux anti-CGRP, qui agissent préventivement, bloquent ainsi l’activité d’une protéine appelée CGRP, qui joue un rôle important dans le déclenchement des migraines. En bloquant cette protéine, le traitement évite l’apparition des crises et en réduit la fréquence et l’ampleur, pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
Espoir et avis négatifs
Dans ce sombre tableau, une pointe de lumière est apparue à partir des années 2014. Des médicaments d’une nouvelle classe thérapeutique – un traitement par anticorps monoclonal anti-CGRP (voir l’encadré ci-dessous) – ont été conçus pour combattre la migraine. Trois d’entre eux, Aimovig, Ajovy, et Emgality ont été validés par l’Agence européenne du médicament. Une quatrième firme a développé un traitement similaire, le Vyepti. « Administrés une fois par mois en injection sous-cutanée, ces produits présentent des résultats spectaculaires pour 60 à 70% des patients, détaille le docteur Jean Schoenen, qui dirige l’unité de recherches sur les céphalées à l’hôpital de la Citadelle, à Liège. « Avec ces molécules, j’ai repris une existence normale, assure Claire. Au lieu de vingt crises par mois, je n’en connais plus que quatre à cinq et un simple antidouleur permet de les calmer. Je découvre une vie que je ne connaissais pas! J’en oublie que je suis atteinte de migraines chroniques sévères. »
Dans la communauté des migraineux, ces produits soulèvent beaucoup d’espoir. Il existe certes des traitements classiques, non spécifiques à la migraine, qui permettent de soulager leurs souffrances, mais ils ne sont efficaces que pour un patient sur deux en moyenne et provoquent d’importants effets secondaires. Plusieurs pays, dont les Etats-Unis, l’Allemagne, la Suisse, l’Espagne et le Luxembourg, ont déjà décidé d’accorder le remboursement des nouveaux traitements anti-CGRP. Sans intervention de la sécurité sociale, il en coûterait entre 400 et 600 euros par mois aux patients.
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En Belgique, en revanche, ce remboursement n’a jusqu’à présent pas été accordé pour l’Aimovig, l’Ajovy et l’Emgality. Les firmes qui les produisent en ont pourtant fait la demande il y a belle lurette. Novartis, concepteur de l’Aimovig, a soumis un premier dossier à la Commission de remboursement des médicaments en septembre 2018. L’avis rendu était négatif, essentiellement pour des raisons budgétaires: « Le groupe de travail a estimé que la compensation budgétaire proposée par la société était insuffisante », précise l’Inami. De leur côté, les firmes justifient les prix demandés par les importants investissements réalisés en recherche pour concevoir ces nouveaux traitements.
Un deuxième avis négatif a été rendu pour une demande portant sur un autre dosage, en mars 2019. « La commission a reconnu la valeur ajoutée du produit mais elle a jugé son prix trop élevé, confirme le docteur Schoenen. Elle n’a pas pris en compte l’amélioration de la qualité de vie des patients ni l’impact de leur réinsertion professionnelle. » Le groupe cible se composait alors de patients comptant au moins huit jours de migraines par mois et sur lesquels trois traitements classiques s’étaient révélés inefficaces. Fin novembre 2019 enfin, Novartis a soumis un troisième dossier, qui est toujours en cours. « De ce fait, je ne suis pas en mesure de fournir davantage d’informations à ce sujet, a indiqué le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (SP.A), interrogé en commission parlementaire par la députée Vanessa Matz (CDH). Cela pourrait compromettre le bon déroulement de la procédure de remboursement. » Deux autres dossiers, déposés, pour l’Ajovy de la firme Teva Pharma Belgium, en octobre 2019, et pour l’Emgality de la firme Eli Lilly Benelux, en mars 2020, sont, eux aussi, en cours d’examen à la Commission de remboursement des médicaments.
Programmes compassionnels limités dans le temps
La crise sanitaire du coronavirus ne facilite évidemment pas les choses… « Toute modification de la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables sera publiée au Moniteur belge et sur le site de l’Inami », a laconiquement signalé le ministre Vandenbroucke, sans évoquer le moindre délai. « Pour qu’un traitement soit défini comme remboursable, détaille-t-on à l’Inami, la commission tient compte de son efficacité, de son coût, des autres médicaments disponibles pour cette maladie. Entre autres. Ensuite, elle transmet sa proposition de remboursement – ou non, au ministre des Affaires sociales, qui tranche. Dans la plupart des cas de nouvelles options thérapeutiques, « il existe une incertitude quant au rapport entre la valeur et les coûts du nouveau traitement ». La procédure prend théoriquement 180 jours.
Dans l’intervalle, deux firmes ont lancé un programme dit compassionnel qui permet à des patients très invalidés d’avoir un accès médical d’urgence à l’Aimovig et l’Ajovy, à titre gratuit. Ces programmes sont toutefois limités dans le temps. Quand s’arrêteront-ils? C’est la question qui hante les bénéficiaires de ces traitements. « Notre programme d’aide médicale compassionnelle s’arrêtera au moment où tombera la décision sur l’accès à notre traitement pour les patients en Belgique, détaille la porte-parole de Novartis, sans, forcément, pouvoir citer de date. Actuellement, nous n’acceptons plus de nouveaux patients dans notre programme mais les neurologues peuvent continuer à traiter les patients qui en ont le plus besoin jusqu’au moment de la décision des autorités. »
Du côté de chez Teva, qui commercialiste l’Ajovy, le programme compassionnel se prolongera jusqu’au 30 juin prochain. Ensuite, les patients pourront se procurer le traitement en pharmacie, mais à prix d’or si le remboursement n’est pas accordé. On se doute que les négociations sont serrées. Que se passe-t-il donc au sein de la Commission de remboursement des médicaments? Motus! « Notre dossier de demande de remboursement est en phase finale et est donc confidentiel, déclare-t-on chez Teva. Afin de lui donner toutes ses chances, nous ne sommes pas en mesure de commenter ce sujet plus en détail. »
Depuis le mois de mars 2020, un collectif de patients accompagné de la Ligue belge contre les céphalées et des experts scientifiques du service de neurologie du CHR de la Citadelle à Liège se mobilisent pour obtenir l’accès à ces précieuses molécules. Le combat est d’autant plus difficile que la migraine reste souvent stigmatisée, minimisée et mal comprise. « Si le remboursement n’est pas accordé pour ces traitements, ma vie sera renoncement, s’indigne Claire. Je n’aurai pas d’autre choix que de peser sur la sécurité sociale. »
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