Millenials: bienvenue dans l’époque de la « permacrise »
Pandémie, guerre en Ukraine, crise de l’énergie… 50% des jeunes souffriraient d’anxiété et de dépression. Dans ce climat de « permacrise », faut-il s’inquiéter pour les millenials, ces adultes en devenir ? S’ils sont tous capables de résilience, certains jeunes sont plus vulnérables que d’autres.
26 février 2022. Deux jours après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, dans les colonnes du Sunday Times, le journaliste anglais Josh Glancy écrit : « Nous vivons, semble-t-il, dans une période de crise permanente ». « Comme si l’histoire nous avait arraché nos bouées et brassards pour nous engouffrer dans un tourbillon d’événements qui s’enchaînent tellement vite que nul ne peut en prédire les conséquences », ajoute-t-il. L’auteur nomme cette période cataclysmique la « permacrise ».
24 heures sur 24, 7 jours sur 7, nos cerveaux sont bombardés de nouvelles apocalyptiques : les hôpitaux sont surchargés, la guerre fait rage en Ukraine, l’énergie est impayable, le marché immobilier flambe… Bienvenue dans « l’époque du catastrophisme millénariste à flux tendu », note Josh Glancy.
Au premier rang de ce spectacle morose, les millenials. Nés au moment de l’affaire Dutroux, ils ont grandi avec les images télévisées de l’effondrement des tours jumelles du 11 septembre 2001, des trains explosés à Madrid en 2004, des stations londoniennes décimées en 2005. Lorsque la grande crise financière de 2008 a éclaté, ils ont vu l’inquiétude se dessiner sur le visage de leurs parents alors que Dexia était à terre. Ils ont observé une crise migratoire sans précédent, dont des naufrages, par centaines, de bateaux surchargés de migrants en Méditerranée. Le 22 mars 2016, ils n’avaient pas encore soufflé leurs 18èmes bougies qu’ils étaient secoués par les attentats les plus meurtriers jamais commis en Belgique.
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En toile de fond : la fonte des glaces s’accélère, les eaux montent, les forêts brûlent, les inondations se multiplient… Face à l’inaction des gouvernements, les millenials se mobilisent et défilent, armés de pancartes à slogans verts, dans les rues des grandes villes belges pour réclamer une justice climatique. Mais en mars 2020, une nouvelle crise, cette fois pandémique, vient endiguer la mobilisation. Écoles et universités fermées, leur smartphone est désormais leur unique fenêtre sur le monde.
Quand un vent de liberté souffle à nouveau sur la Belgique fin février 2022, une guerre éclate aux portes de l’Europe et la peur s’installe un peu plus. Au lendemain de l’invasion russe de l’Ukraine, sur les réseaux sociaux, les inquiétudes se multiplient. « Quand je pense à la guerre en Ukraine et à la crise climatique, j’ai le sentiment que quelque chose de grave va arriver », écrit une jeune femme sur Twitter. Ce à quoi une autre étudiante répond : « Je crois que nous sommes la dernière génération qui va pouvoir vivre jusqu’à 80 ans ».
Dans ce torrent de crises successives, faut-il craindre pour ces adultes en devenir ? Quelles conséquences cette « permacrise » a-t-elle sur les millenials ?
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L’anxiété, créatrice de résilience
Si Alexandre Heeren, professeur de psychologie à l’UCLouvain et chercheur qualifié FNRS, constate effectivement que les millennials ont encaissé beaucoup de chocs, « ce n’est pas forcément une mauvaise chose ».
Le professeur a étudié l’éco-anxiété, soit l’impact du changement climatique sur le bien-être psychologique. Lors de son étude, Alexandre Heeren a observé que « chez la plupart des répondants, l’éco-anxiété est associée positivement à un changement de comportement« . « Lorsque l’incertitude se manifeste, l’anxiété est l’émotion qui par défaut s’active », explique le spécialiste. Son rôle est très utile puisque c’est grâce à cette anxiété que les personnes se mobilisent, réagissent. Elles changent de comportement, s’informent davantage, rejoignent des groupes d’action locaux…
« Cette forme d’engagement contribue à une résilience », confirme Fabienne Glowacz, directrice de l’unité de recherche ARCH (adaptation résilience et changement) au sein de la faculté de psychologie de l’ULiège. Si l’être humain est profondément intolérant à l’incertitude, l’anxiété entraînerait la capacité de résilience de l’homme, lui permettant d’encaisser les chocs successifs, notamment en se mobilisant.
Olivier Luminet, professeur de psychologie à l’UCLouvain, reconnaît également le rôle mobilisateur des émotions. « Lorsqu’on ressent des émotions, c’est parce qu’on se sent concerné par la chose ». « Et l’émotion, par définition, engendre l’action« , développe-t-il. Comme en témoignent les marches pour le climat : le sentiment de peur a amené les jeunes à se mobiliser pour l’écologie. Reste à savoir si ces mobilisations, enrayées par la pandémie et les confinements successifs, vont reprendre de si tôt. « Nous allons voir si, dans les prochains mois, les jeunes sont dans une peur mobilisatrice ou bien dans une peur plus paralysante », soulève Olivier Luminet.
Pas tous égaux
Certains jeunes seraient plus touchés que d’autres par cette anxiété. L’étude menée par le professeur Alexandre Heeren a conclu que pour 10% de la population, l’éco-anxiété serait trop sévère et mènerait à l’épuisement, la dépression, des troubles du sommeil, l’addiction, l’enfermement, l’inaction, mais, surtout, des difficultés à transitionner au niveau écologique. « Si une personne est en permanence anxieuse, l’anxiété ne sert plus du tout sa fonction mobilisatrice », explique-t-il.
Fabienne Glowacz a étudié l‘impact de la crise pandémique sur leur état psychologique des étudiants. Il en ressort que plus de la moitié d’entre eux présentent des symptômes d’anxiété et de dépression, tels que des troubles du sommeil et de l’appétit, ou encore une perte de motivation face à cet avenir mortifère. Faut-il craindre dès lors que les millennials d’aujourd’hui deviennent les grands angoissés de demain ?
« Pour voir les conséquences de cette anxiété sur le long court, il va falloir attendre dix ou quinze ans », estime le chercheur Alexandre Heeren. Actuellement, deux scénarios se dessinent quant au profil de ces adultes en devenir : soit des personnes extrêmement résilientes, capables de s’adapter et de faire face à la multiplicité de crises, soit des personnes très vulnérables, usées par l’incertitude. Dans le futur, on peut imaginer les millenials constitueront une sorte « d’hybride » entre ces deux profils.
Si l’humain est doté d’une capacité étonnante de résilience, les personnes qui disposent déjà d’une série de ressources, financières ou relationnelles, feront plus facilement usage de cette force. Mi-février, le Conseil Supérieur de la Santé tirait une nouvelle fois la sonnette d’alarme quant aux conséquences de la pandémie sur le bien-être psychologique de la population. « Nous avons constaté, lors de la crise du Covid-19, que les inégalités augmentent », indique Olivier Luminet, également membre du CSS. Les personnes étant déjà dans une situation de précarité ne vont pas pouvoir faire usage de cette résilience et vont donc être extrêmement fragilisées. Si d’une part, certains jeunes vont sortir grandis de cette crise, « d’autres se verront sans doute marqués à vie par leur vécu lors de la pandémie », ajoute le chercheur.
Même constat du côté de Fabienne Glowacz : la chercheuse a observé que les jeunes qui étaient déjà vulnérables avant la crise sanitaire sur le plan social étaient plus impactés par la crise que les autres.
« Il est temps d’entraîner à la résilience »
Comment préserver les millenials de l’anxiété alors que l’avenir semble mortifère ? « Investir dans la santé mentale est essentiel », martèle Olivier Luminet. Le professeur déplore une hyper attention sur la santé physique, au détriment du bien-être mental. « La santé mentale et la santé physique sont en fait étroitement liées, et malheureusement, nos politiques ne s’en rendent pas compte. »
Pour Alexandre Heeren, « il est plus que jamais temps d’entraîner à la résilience, à accuser les chocs, à devenir résistant ». Comment fonctionne le cerveau ? Quels sont ses mécanismes automatiques ? S’il est insupportable pour l’humain d’être exposé à l’incontrôlable, « il doit pouvoir apprendre à faire avec ». L’enjeu sera également de mener un « dialogue intergénérationnel », estime le professeur. « Nous allons avoir des jeunes adultes qui effectivement ont été exposés à beaucoup plus d’incertitudes que ne l’ont été les décideurs politiques au passage à l’âge adulte, et il va falloir faire en sorte que ces deux générations puissent discuter », conclut-il.
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