Quelles pistes privilégier pour la reconstruction de Liège suite aux inondations?
Liège connaît depuis longtemps sa vulnérabilité face à l’eau. Des mesures techniques ont été prises pour y faire face dès les grandes inondations de 1925. C’était sans compter le changement climatique. Lutte contre l’étalement urbain, recul des digues, aménagement des habitations: à l’heure de la reconstruction, quelles pistes privilégier?
Le risque submersif est inscrit au coeur de Liège. Le développement industriel de la vallée est lui-même intimement lié à l’eau puisque les richesses en charbon de ses sous-sols sont la résultante géologique de zones humides datant du Carbonifère (-300 millions d’années). Mais les activités extractives ont contribué à faire remonter le niveau de la nappe phréatique tandis que la fin des charbonnages a signé l’arrêt de certaines activités de pompage. Le passé poursuit Liège, que l’avenir menace de ses degrés en plus.
En mars 2021, soit quatre mois avant les inondations qui ont frappé la ville, deux jeunes urbanistes français attiraient déjà l’attention sur ce lien particulier, désormais ambivalent, de Liège avec l’eau, dans un article paru dans la revue Dérivations (1). Ils y rappelaient que si le système de démergement mis en place par les autorités après les inondations de décembre 1925 – quarante-deux stations de pompage, vngt-cinq bassins d’orage… – avait permis jusqu’à présent de faire face au risque, ces dispositifs (prévus pour une période de retour de trois cents ans) pourraient s’avérer insuffisants face au changement climatique, qui provoque une augmentation des phénomènes pluvieux en alternance avec des périodes de sécheresse fragilisant les sols. « Nous avions bien sûr décidé de prendre ce risque au sérieux dans notre étude, mais quand ça s’est produit réellement, cela a été un choc. C’est indescriptible. A mon sens, l’appel à quitter la ville résume tout: Liège n’était pas préparée à ce risque« , commente Lucile Barcelo, coautrice de l’article avec Alban-Valérian Dumont.
Au fil du temps, on oublie le risque. Or, si on le regardait en face, on rendrait les aménagements plus acceptables pour la population. »
Lucile Barcelo
Au même mois de mars 2021, Jacques Teller, professeur d’urbanisme à l’ULiège et directeur du laboratoire Lema (Local Environment Management and Analysis), publiait sur son blog un article soulignant que « dans un scénario pessimiste, la Meuse pourrait retrouver son lit originel et inonder une part considérable de la plaine alluviale liégeoise, de Flémalle à Herstal, au cours des cent prochaines années. » Il y précisait que l’augmentation de l’aléa d’inondation en raison du changement climatique était particulièrement marquée en Wallonie, en raison des caractéristiques topographiques des vallées mosanes, plus encaissées qu’en France et aux Pays-Bas, « avec moins d’espace pour stocker de grands volumes d’eau dans les plaines inondables et des fonds de vallée densément construits ».
Même sans compter le changement climatique, ce n’était un secret pour personne – les cartes d’aléa (outils de référence pour mesurer le risque d’inondations) en témoignent – qu’en province de Liège, 14% des logements sont en zone inondable, les affluents de la Meuse – en particulier l’Ourthe, l’Amblève et la Vesdre – étant soumis à un risque de débordement important. La ville de Liège elle-même se trouve presque entièrement dans une zone inondable d’aléa dit « très faible », en ce compris la zone qui a été inondée à Angleur. Ce n’était pas non plus un secret que les populations les plus défavorisées économiquement étaient et demeurent les plus exposées au risque.
> Lire à ce sujet: Liège: une déferlante de déchets après les inondations
Où vivre?
A présent que la catastrophe n’est plus une menace théorique mais un souvenir traumatique, la question de l’aménagement et de la (re)construction des terres liégeoises prend une nouvelle dimension. Jacques Teller, en charge de la consultation citoyenne de la population sinistrée dans le cadre de l’analyse indépendante sur la gestion des voies hydrauliques demandé par Philippe Henry (Ecolo), ministre wallon du Climat et des Infrastructures, résume ainsi la situation: « Concernant les nouveaux projets, le ministre a pris position, considérant qu’on ne devrait pas pouvoir reconstruire dans des zones d’aléa moyen et élevé, sachant qu’on a encore dans les cartons des projets qui concernent ce type de zones à l’échelle de la Région, des demandes de permis en cours, rappelle-t-il. Pour les zones d’aléa faible et très faible, les recommandations portent sur le type de constructions et les contraintes qu’on pourrait apporter en matière d’aménagement des sous-sols, de la localisation des chaudières, des électroménagers, des systèmes de batardeaux, de manière à limiter les dommages en cas d’inondation. »
C’est par l’eau qui venait du dessus et non par la Meuse que les rez-de-chaussée de certaines maisons ont été inondés. Cela demande réflexion. »
Jean-Michel Javaux
Une piste est également de reculer les digues pour rendre aux cours d’eau de la latitude, tout en aménageant les berges en espaces verts, récréatifs, de mobilité douce. « A Nimègue, aux Pays-Bas, on a reculé les digues de trois cents mètres, donne comme exemple Jacques Teller. A Anvers, on a exploité toute la profondeur de quai pour stocker de grands volumes d’eau sur cinquante à cent mètres. Mais dans le bassin de la Vesdre, on est actuellement à l’extrême inverse, avec des maisons très au bord de la rivière et une situation d’exposition au risque maximale. »
> Lire aussi: Liège: assurances tous risques?
Conséquences en cascade
Pour réduire le risque, il convient aussi d’intervenir en amont, notamment en réduisant l’artificialisation des sols sur les plateaux et/ou en mettant des conditions à l’urbanisation en hauteur (construction de bassins d’orage, de bassins de rétentions, etc). « La Région wallonne est inscrite dans une politique de « stop béton » qui prévoit qu’en 2050, on ne doive plus artificialiser de sol de manière à ne pas construire sur des zones qui accéléreront le flux depuis le moment où l’eau tombe sur les plateaux jusqu’au moment où elle atteint les vallées », détaille Jacques Teller.
Sans cette lutte contre l’étalement urbain, qui ouvre des autoroutes de ruissellement en cas de fortes précipitations, inutile de s’éloigner des berges dans l’espoir d’être à l’abri. « A Amay, ce ne sont pas les zones inondables qui ont été inondées, rappelle Jean-Michel Javaux (Ecolo), bourgmestre de la ville. Le quartier de Bende, par exemple, l’a été par l’eau qui dévale du zoning de Villers qui a totalement bétonné les terres agricoles. On a aussi reçu les eaux d’un nouveau lotissement de cent maisons: toutes ces eaux sont venues par le ruisseau de Bende qui, rien que cet été, a débordé trois fois! C’est donc par l’eau qui venait du dessus et non par la Meuse que les rez-de-chaussée des maisons ont été inondés. Même si les conséquences ont été moins dramatiques qu’ailleurs, cela demande réflexion. » Le coeur de celle-ci étant qu’une mesure prise quelque part peut entraîner un problème ailleurs: des communes qui continuent de construire beaucoup parce qu’elles ne sont pas en zone inondable peuvent en « créer » dans d’autres communes. Une approche globale est donc indispensable.
Pour Lucile Barcelo, il importe aussi de développer une « culture du risque » qui consiste à ne pas croiser les doigts en espérant que tout va bien se passer, mais à accepter de prendre des mesures qui ont du sens. « Au fil du temps, on oublie le risque. Or, si on le connaissait et qu’on le regardait en face, en disant « voilà, ce quai est inondable », on rendrait les aménagements plus acceptables pour la population. » Cette culture du risque repose par ailleurs sur l’idée qu’un aménagement capable de secourir en cas de danger peut aussi avoir une fonction quand tout va bien. « Il faut penser en termes de risques mais aussi de bénéfices puisque 99% du temps, la rivière ne déborde pas », ajoute Jacques Teller. « Tout à coup, au bord de l’eau, vous n’avez plus un parking dégueulasse, mais une noue urbaine, avec des arbres, un petit écosystème, imagine Lucile Barcelo. En ce sens, les urbanistes parlent de réenchanter, c’est-à-dire de rendre à nouveau acceptable. » Acceptables le risque, et ses conséquences…
Rêves de pilotis
C’est intuitif: pour lutter contre les inondations et prendre en compte le risque climatique, il faudrait construire des maisons sur pilotis, voire des constructions flottantes. Pour le professeur d’urbanisme Jacques Teller, l’idée a son intérêt mais ne peut représenter une solution globale. « Sur certaines constructions, on peut envisager d’avoir du pilotis: c’est déjà le cas du centre commercial de Belle-Ile (Angleur), qui prévoit le stationnement en rez-de-chaussée et les commerces à l’étage. Donc, construire quinze ou vingt bâtiments à Verviers ou Pepinster sur pilotis, pourquoi pas. Mais penser qu’on pourra généraliser ce type de constructions me paraît délicat car cela induit un autre rapport à la ville. A partir du moment où le bâtiment n’a plus de rapport au sol, on observe les mêmes phénomènes que dans les grands ensembles de tours dans les années 1970: une absence de contrôle social avec des formes d’appropriation inadaptée des pieds d’immeuble. »
L’urbaniste pointe par ailleurs un obstacle psychologique: comme le confirme la consultation citoyenne, l’épisode d’encerclement pendant lequel certains Liégeois ont dû monter à l’étage de leur habitation pendant vingt-quatre à quarante-huit heures a engendré un fort traumatisme. « Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, c’est un stress très important, lié à l’isolement mais aussi au bruit: le bruit des éléments qui viennent taper sur les murs, le bruit du cours d’eau lui-même. Je peux vous dire que les personnes qui ont vécu ça ne rêvent pas d’une maison sur pilotis… »
(1)Risque submersif à Liège: se préparer au pire, par L. Barcelo, A. Dumont, Dérivations, numéro 7, mars 2021, pp. 146-177.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici