Comment Liège compte se reconstruire, trois mois après les inondations (analyse)
Trois mois après que la catastrophe naturelle la plus meurtrière de l’histoire de la Belgique a frappé le bassin liégeois, sur les rives de la Vesdre, de l’Ourthe et de la Meuse, on tente de (se) reconstruire. Tout en veillant à mieux se préparer au pire. Immersion en terre inondable.
Sur le seul territoire de la ville de Liège , on dénombre 13 780 personnes sinistrées et deux décès, un lourd bilan qui passe à quarante-et-un morts si l’on regarde l’ensemble du territoire qui a été inondé à la mi-juillet. Une calamité naturelle qui avait été annoncée quelques mois auparavant par deux jeunes urbanistes français, Lucile Barcelo et Alban-Valérian Dumont, lesquels mettaient en garde contre le risque submersif à Liège et invitaient à se « préparer au pire ».
> Lire à ce sujet notre bilan un mois après les inondations.
Maintenant qu’il est arrivé, quelles leçons en retenir? L’échevin de la Propreté, Gilles Foret (MR), se rappelle avoir passé la journée du 15 juillet 2021 à scruter le ciel et le niveau de la Meuse en alternance, se rendant à vélo sur les hauteurs de Vaux-sous-Chèvremont pour tenter de mesurer l’ampleur de la catastrophe en cours. « Sur le moment, c’est difficile de réaliser, se souvient-il. La première pensée que l’on a en tant qu’élu dans une telle situation, c’est: » Comment peut-on venir en aide aux citoyens? « ». Une aide qui reste plus nécessaire que jamais, particulièrement en ce qui concerne son échevinat: à l’heure d’écrire ces lignes, ce ne sont pas moins de 100 000 mètres cubes, ou plus de 90 000 tonnes de déchets qui ont été ramassés dans les différentes voiries inondées. Un « volume incroyable », concède Gilles Foret, qui tente de gérer au mieux le flux de déchets en collaboration avec les différents organes responsables.
Le plus préoccupant n’est pas « les charges que la réparation entraînera mais bien la perte annoncée de recettes, tant en matière de précompte que de l’impôt des personnes physiques ».
Willy Demeyer
Ses services ne sont pas les seuls sur le qui-vive. Echevin des Travaux publics, Roland Léonard (PS) évoque avec regret le sentiment d’impuissance face à la montée des eaux, mais se souvient de la frénésie avec laquelle ses services ont contribué à la confection et à la distribution de milliers de sacs de sable pour tenter de faire face à la crue dans les rues du centre-ville. Une fois l’eau redescendue, le constat est de vingt-trois bâtiments publics touchés, parmi lesquels dix-sept écoles, deux crèches et une mairie de quartier, la plupart situées à Angleur et Chênée, les deux cités les plus touchées par la catastrophe. La priorité pour Roland Léonard? « Rendre ces services de proximité aux citoyens le plus rapidement possible. » Et de raconter l’histoire de cette jeune maman qui l’a interpellé quelques jours seulement après la crue pour savoir quand l’école des Grands Prés, à Chênée, rouvrirait ses portes. « Cela m’a frappé de réaliser à quel point ces fermetures ajoutaient à la désolation sur place et à l’inquiétude des citoyens. » Dont acte: « On s’est fixé comme objectif de rouvrir toutes les écoles touchées le 1er septembre, et on a réussi pour toutes sauf celle des Grands Prés, justement, où on a installé une structure provisoire, juste en face, en attendant. » Car si la dévastation a parfois été d’une dangereuse rapidité, pour de nombreuses victimes prises par les flots en une poignée de minutes seulement, la reconstruction, elle, prend du temps.
Relancer le flux d’activité
« Les bâtiments publics ont des impositions en matière de sécurité, il n’est pas question de les rouvrir sans que la détection incendie soit rétablie, par exemple, ce qui nécessite beaucoup de prestations », souligne Roland Léonard. Plus de quatre-vingts chantiers, en l’occurrence, à l’heure d’écrire ces lignes, lesquels représentent une addition de plus d’un million et demi d’euros, « mais il s’agit d’un montant provisoire parce qu’on n’a pas encore reçu toutes les estimations ». Autre chantier coûteux: l’assèchement du lit de la Vesdre, « des travaux titanesques, qui vont aussi dépasser le million d’euros ». Et c’est sans compter sur les autres prestations engagées pour faire face à l’impact exceptionnel de la dévastation.
De quoi laisser craindre le pire pour les finances de la Ville? « On ne peut pas dire que les finances communales soient au beau fixe, surtout après la crise de la Covid », concède Gilles Foret, tandis que le bourgmestre Willy Demeyer (PS) se veut rassurant. Il assure « travailler à ce qu’on puisse régler toutes nos factures, en actionnant tous les leviers possibles et en s’adressant à la Région, au Fédéral, ainsi qu’aux assureurs ». Mais il reconnaît avec un rire désabusé que les finances « allaient déjà mal », le plus préoccupant n’étant pas « les charges que la réparation entraînera mais bien la perte annoncée de recettes, tant en matière de précompte que de l’impôt des personnes physiques. Toute non-activité posera potentiellement problème ». Raison supplémentaire de rétablir les activités le plus rapidement possible.
« La catastrophe nous pousse donc aussi à porter notre attention sur la gestion de la ville. Prenez les espaces vides au-dessus des commerces, par exemple. S’ils étaient habités, cela ne changerait certes rien en cas d’inondation, mais les calamités de cet été nous forcent à rouvrir le dossier parce qu’elles ont donné lieu à un problème de logement et il faut étudier toutes les pistes possibles pour le densifier à Liège. On est face à une hausse des prix du logement, que ce soit en vente ou en location, or il faut maintenir la classe moyenne et penser aux jeunes qui se lancent sur le marché du travail et dont le salaire ne leur permet plus de se loger à Liège. » Mais aussi, de manière tout aussi urgente, « se pencher sur la culture du risque et la gestion de ce dernier dans le cadre d’une Belgique fédéralisée. Les crues de juillet ont montré la nécessité d’une meilleure communication entre les différents organes, ainsi que le besoin d’établir des procédures au cas où cela viendrait à se reproduire ». En attendant, rappelle Gilles Foret, « la priorité est de faire en sorte que les citoyens retrouvent le plus rapidement possible un semblant de normalité« .
L’amère à boire
Arrivée suite à une pandémie et une attaque informatique qui a maintenu les services de la Ville à l’arrêt, la déferlante de pertes matérielles et humaines entraînée par les inondations laisse craindre le pire pour des finances communales dont l’échevine, Christine Defraigne (MR), en charge du portefeuille, reconnaît amèrement que les qualifier de « pas vraiment au beau fixe » est un euphémisme. Bourgmestre faisant fonction le 15 juillet fatidique, elle se souvient avoir « réalisé très vite que la ville était menacée et tenté de prendre les mesures nécessaires pour minimiser le nombre de victimes », et avoue que « trente-huit morts, c’est beaucoup trop ». Outre le tragique bilan humain, elle pointe un bilan financier préoccupant: « Fin septembre, on en était à dix millions d’euros rien que pour les réquisitions nécessaires pour assurer le nettoyage et déblayer les zones sinistrées. Il faut ajouter à ça des dizaines de milliers d’heures supplémentaires et une aide de la Région qui se chiffre actuellement à 3 870 000 euros, ce qui laisse un trou de plusieurs millions d’euros à combler. » Et de coûteuses répercussions pour les citoyens? « Je ne suis pas partisane de l’augmentation des impôts, parce que nos concitoyens ont énormément souffert », assure celle qui préfère envisager « une rationalisation en bonne intelligence », même si « ce n’est pas simple et qu’il y a un arbitrage politique derrière ». Quant à savoir si la Ville est au bord du gouffre financier, « nous ne sommes pas aux Etats-Unis (NDLR: où la ville de Detroit a déclaré faillite en 2013) mais les pouvoirs publics sont exsangues, tant aux échelons communal que régional ou fédéral, et il y a une meilleure organisation à trouver pour parvenir à réduire les coûts ». Et éviter de couler.
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