Qu’est-ce qui explique la colère de certains musulmans contre la France? (analyse)
A la réaffirmation par Emmanuel Macron de la liberté de caricaturer la religion, des dirigeants musulmans opposent le respect des croyances et le Turc Erdogan joue l’insulte et la provocation. Illustration d’une grande incompréhension.
Un passage de l’hommage rendu le 21 octobre àSamuel Paty, le professeur du collège de Conflans-Sainte-Honorine assassinécinq jours plus tôt pour avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves, est à l’origine de la poussée de fièvre. « Nous défendrons la liberté que vous enseigniez si bien et nous porterons haut la laïcité. Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent », assure ce soir-là, dans la cour de la Sorbonne à Paris, le président Emmanuel Macron. Justifiée dans le cadre laïque français et dans le contexte émotionnel de l’atteinte aux valeurs de la République qu’a représenté l’assassinat d’un agent de l’Education nationale qui ne faisait que son travail, cette insistance à brandir la caricature (du Prophète, dans l’entendement des musulmans) comme étendard dela liberté d’expression a été mal perçue par des dirigeants islamiques et par une partie des populations de ces pays, dont une extrême minorité a exprimé publiquement sa réprobation.
Emmanuel Macron « a créé une polarisation et une marginalisation supplémentaires qui conduisent inévitablement à la radicalisation », a déploré le Premier ministre pakistanais Imran Khan, cet ancien joueur vedette de cricket qui ne peut pas être taxé d’islamisme, même s’il doit composer avec de très puissantes forces de cette tendance dans son pays. Dans la même gamme de réactions, on prête au roi Abdallah de Jordanie de s’être senti trahi par les propos du président français, lui qui avait fait le déplacement à Paris pour se joindre au grand rassemblement de dénonciation du terrorisme et de soutien aux libertés après l’attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo.
Cette hostilité au pouvoir français n’est peut-être pas motivée par la seule ode à la liberté de blasphémer rappelée à l’occasion de l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine. L’électrochoc qu’il a provoqué a conduit le président français à accélérer l’examen d’un projet de loi sur le séparatisme qui entend contrôler plus strictement les associations et écoles gravitant dans la mouvance islamiste, et assurer la formation des imams dans un cadre national. Or, parmi les 300 prédicateurs étrangers qui officient dans les mosquées de l’Hexagone, la moitié proviennent de Turquie. Depuis son accession au pouvoir en 2003, à l’époque comme Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan a renforcé le contrôle d’Ankara sur les communautés turques en Europe, à travers notamment l’Union des affaires culturelles turco-islamiques (Ditib) chargée du rayonnement de l’islam à l’étranger, et par l’entremise du mouvement islamiste Milli Görüs. Que le gouvernement français décide de regarder de plus près les activités des organisations financées par ces institutions ne peut que contrecarrer la volonté du président turc de contrôler une diaspora, réserve de voix à l’occasion de chaque élection.
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