Pourquoi la visite de Joe Biden à Bruxelles était indispensable: « Ça facilite certaines choses »
Joe Biden a quitté la Belgique et Bruxelles, après une visite de deux jours. Europe, Otan, Belgique: quelles conclusions tirer après le passage du président américain dans notre pays? On a posé six questions à Tanguy Struye, professeur à l’UCLouvain, spécialiste des Etats-Unis et des relations internationales.
De façon globale, quelles leçons tirer de la visite de Joe Biden à Bruxelles?
C’est plutôt une réussite, et ce n’est pas négligeable aujourd’hui dans la diplomatie. Une réussite pour les deux camps, aussi bien les Américains que les Européens. Au niveau gestuel, on a vu que tout s’est fait dans une bonne humeur et que tout le monde était plus à l’aise qu’avec Trump. Donc c’est clairement un bon signe. Sur le fond, on a renforcé les relations transatlantiques par rapport à toute une série de sujets. La déclaration de l’OTAN signée par les 30 pays fait tout de même 30 pages. On y voit une cohésion par rapport à beaucoup de questions. Excepté pour la Chine, où la réponse donnée est un peu différente. Un autre point positif pour les relations UE-USA, c’est l’accord Boeing-Airbus, qui traînait depuis longtemps. C’est positif car cela permet de se concentrer sur autre chose durant les prochaines années, et d’établir des relations économiques. Donc, ça facilite certaines choses. Il restera toujours des différends entre les deux côtés de l’Atlantique, mais on est revenu dans une relation de confiance qui permet de discuter sur des sujets plus délicats à l’avenir.
En quoi la relation Etats-Unis – Europe va-t-elle changer, par rapport à l’ère Trump ?
De manière générale, les Américains et Européens seront plus forts dans la situation actuelle. Ça ne veut pas dire qu’ils vont réussir, mais la relation sera plus forte que sous Trump. Sur les questions climatiques, de droits de l’Homme, de démocratie. Et au niveau de l’Alliance transatlantique en tant que défense collective. Evidemment, il y aura encore des différences sur des engagements, ou des politiques à mener en Ukraine, en Syrie, ou par rapport à la Chine. Mais on a rétabli les bases et la confiance. Et dans les relations internationales aujourd’hui, c’est indispensable.
Au niveau de l’Otan, que peut-on noter?
Ce qui est à souligner, c’est un paragraphe sur la Chine, même si Macron est intervenu. Ça reste intéressant de voir que la Chine est sur le radar de l’Otan. Et le rôle de l’Otan par rapport à la Chine sera à mon sens un gros dossier dans les années à venir. Pour le reste, il n’y a rien de neuf. Ils mettent la pression sur la Russie, les guerres hybrides, sur l’importance de la défense collective, sur les enjeux internationaux (Afrique du Nord, Mali, Syrie, Ukraine).
On a rétabli les bases et la confiance. Et dans les relations internationales aujourd’hui, c’est indispensable.
Biden reconnait la menace chinoise, peut-on y voir un risque?
Par rapport à la Chine, tout le monde y voit une menace. La grande différence est géographique. Les Etats-Unis sont en face de la Chine, de l’autre côté de l’Océan Pacifique. Alors que l’Europe est un continent qui n’est pas directement lié géographiquement à la Chine. Ça amène une grande différence par rapport à la perception de la menace et à la réponse à donner. Car quand les Américains voient le développement chinois en Mer de Chine du Sud, ça les concerne directement. Ça concerne un peu moins Bruxelles.
La visite de Joe Biden va-t-elle changer certaines choses dans la relation bilatérale entre Belges et Américains?
La rencontre entre Joe Biden, Alexander De Croo et le Roi Philippe, je ne dis pas que ce n’est pas important, mais c’est clair que pour les Etats-Unis, ce n’est pas la France ou l’Allemagne. Par contre, c’est très honorifique pour la Belgique d’accueillir Biden. Pour sa réputation et son prestige international. Même si au final, c’est beaucoup plus important pour les Belges que pour les Américains. La Belgique joue beaucoup la carte européenne. Donc beaucoup de dossiers sont abordés au niveau européen. Ce qui ne veut pas dire que les relations commerciales bilatérales entre nos deux pays n’auront pas un petit boost. Mais la Belgique reste un petit joueur, qui a tendance à jouer au niveau européen. Ce qui est tout à fait normal, car on a plus de poids de la sorte. Au niveau bilatéral, c’est donc plus positif pour la Belgique que pour les Etats-Unis. D’autant plus que la Belgique fait partie des plus mauvais élèves au niveau de l’OTAN. C’est problématique, mais pas uniquement envers les Etats-Unis. Davantage envers l’Alliance en tant que telle. La Belgique fait ce qu’on appelle du « free riding » : elle profite de l’Alliance sans y contribuer suffisamment. Ce qui est de moins en moins apprécié par les autres pays, qui augmentent leur budget. Il est évident que si on ne contribue pas assez, les 29 autres pays vont se poser des questions. Ça pourrait donner lieu à des menaces.
C’est très honorifique pour la Belgique d’accueillir Biden. Pour sa réputation et son prestige international. Même si au final, c’est beaucoup plus important pour les Belges que pour les Américains.
Biden rencontre Poutine aujourd’hui/mercredi, à quoi peut-on s’attendre?
C’est difficile à prédire. La seule chose qu’on peut espérer, c’est des discussions franches, et que les deux pays établissent des nouvelles règles pour communiquer. Afin de régler leurs différends sur des bases pragmatiques. Si on parle trop des droits de l’Homme et de démocratie, ça ne sera pas spécialement bon signe. Biden peut en parler, mais sur le fond, ils ont plutôt intérêt à se demander comment établir de nouvelles règles entre Russes et Américains, et voir comment ils peuvent collaborer sur des dossiers comme la Syrie, et l’Ukraine, où il y a quand même des possibilités de négocier. Ce sera aussi un round d’observation : qui dit quoi, comment, est-ce qu’il y a moyen de discuter, est-ce qu’on peut aller plus loin dans les discussions… ? Ce sont toutes des questions qui se poseront aujourd’hui. Obtenir des résultats importants, ce serait chouette, mais il s’agira plus d’un premier round d’observation. L’important serait aussi d’annoncer d’autres discussions diplomatiques prochainement. Si c’est le cas, ça veut dire qu’ils se parlent. Si on annonce rien, c’est n’est pas spécialement positif.
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