Migration: les prémices d’une nouvelle crise?
Les candidats réfugiés sont abandonnés à leur sort en Bosnie. Et de plus en plus nombreux à tenter de rejoindre l’Espagne. Il faut peut-être y voir un contrecoup de l’épidémie de coronavirus.
On est loin des concentrations enregistrées en 2015. Mais la détresse des migrants en Bosnie-Herzégovine, aux portes de la Croatie et, plus encore, celle de ceux qui arrivent, depuis les côtes africaines, aux îles Canaries espagnoles laisse augurer qu’en matière de migrations, 2021 sera probablement moins calme que l’année écoulée.
La crise de la Covid-19, qui a moins frappé le sud que le nord de l’Eurafrique, a retenu un certain nombre de candidats de tenter la traversée de la Méditerranée ou de la mer Egée. Quelque 36.400 personnes ont été recensées débarquant dans l’Union européenne au cours du premier semestre de 2020. La tendance à la baisse observée depuis 2015 s’est accentuée. Il y a six ans, au pic de la « crise des réfugiés », 1,82 million de migrants avaient atteint ses terres. Ils étaient encore plus de 140 000 à y parvenir en 2019.
Une aide européenne mais…
En 2015 et 2016, la route des Balkans des candidats à l’asile à Berlin ou à Londres passait par la Grèce, la Macédoine du Nord et la Serbie pour rejoindre la porte d’entrée de la Hongrie. Quelques fermetures de frontières et un accord turco-européen plus tard, les migrants sont moins nombreux et ils doivent traverser désormais la Grèce, l’Albanie, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine pour rejoindre une autre entrée, pas vraiment plus accueillante que la Hongrie de 2015, la Croatie. C’est dans ce cul-de-sac que résident quelque 7.500 citoyens venus principalement d’Afghanistan, d’Irak et d’Iran. Une douzaine de camps les abritent dans cette république fédérale issue de l’ex-Yougoslavie.
Pourquoi, quand il s’agit de violations de droits de l’homme et du droit international, la Commission s’abrite-t-elle derrière les prérogatives des états membres?
Un des plus proches de la frontière croate, celui de Lipa, qui pouvait abriter jusqu’à 2.000 réfugiés, ne répondait pas aux normes de sécurité et d’hospitalité de l’Organisation internationale des migrations (OIM), faute notamment de raccordement à l’électricité ou de distribution d’eau. Face à l’opposition de la population locale, le gouvernement fédéral bosnien se montrait impuissant à le doter de l’infrastructure requise. L’institution liée au système onusien a donc décidé de le déserter le 23 décembre. Mais sans anticiper les conséquences de ce retrait. Le même jour, des résidents boutaient le feu à une partie du camp. Et persistaient ensuite à y demeurer malgré des conditions de vie encore plus dégradées.
Le dimanche 3 janvier, l’Union européenne, tout en considérant « inacceptables » les conditions d’accueil à Lipa, a débloqué 3,5 millions d’euros au titre de l’assistance humanitaire à la Bosnie pour l’aider à résoudre le problème. Mais le ministre bosnien de la Sécurité Selmo Cikoti? a jugé que les délais pour l’aménagement du camp risquaient d’être longs, traduisant à tout le moins un manque de volontarisme de la part du gouvernement.
Violence et impuissance
L’autre écueil, de taille, rencontré par les réfugiés sur cette route est le comportement des forces de l’ordre croates à la frontière avec la Bosnie. L’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International a documenté le cas de 16 migrants victimes de violences, ligotés et torturés. La Commission européenne a condamné ces pratiques mais s’est retranchée derrière la faiblesse de ses moyens de contrôle pour vérifier l’usage de l’aide accordée aux Etats et derrière la souveraineté de ceux-ci sur les questions de sécurité et de surveillance de leur territoire.
Vice-présidente du goupe Renew Europe au Parlement européen et membre du parti néerlandais Démocratie 66, l’eurodéputée Sophie In’t Veld estime cependant que la Commission ne fait pas ce qui est en son pouvoir pour contrôler l’action des Etats. Elle fustige aussi le double standard des dispositions adoptées par l’exécutif européen en matière d’action aux frontières. « Ce qui est intéressant, c’est que, lorsqu’il s’agit de fermer les frontières, la Commission a beaucoup de créativité. Par exemple, l’accord passé avec la Turquie sur la réception des réfugiés n’a pas de base légale en droit européen, c’est une « invention ». Pourquoi donc, quand il s’agit de violations de droits de l’homme ou du droit international et quand des vies sont en jeu, tout à coup, la Commission devient-elle très timide et s’abrite-t-elle derrière les prérogatives des Etats membres? Elle est très sélective: parfois, elle se montre flexible ; parfois, elle décrète qu’elle ne peut rien faire. »
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Turquie, Grèce, Bosnie: les foyers de tensions autour de la gestion des migrations par l’Union européenne ne manquent pas sur sa façade orientale. On peut prédire sans crainte de trop se fourvoyer qu’un autre émergera en 2021. Selon le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), 22.249 candidats réfugiés ont rejoint les îles Canaries en 2020 au terme d’une traversée périlleuse depuis les côtes africaines. Ils avaient été 2.698 en 2019. Les migrants proviennent essentiellement du Mali, meurtri par la guerre avec les groupes djihadistes, du Sénégal et du Maroc, frappés, eux, par la crise. Ainsi, si ce continent a surmonté la pandémie de coronavirus avec moins de pertes humaines que sous d’autres cieux, il est à craindre que les conséquences du ralentissement de l’économie mondiale soit en définitive plus préjudiciable à ses enfants.
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