Le pouvoir de Biden en jeu en Géorgie
Du résultat du double scrutin sénatorial du 5 janvier en Géorgie dépendra la capacité du président démocrate à gouverner sans entraves.
Les deux grands partis ne s’y trompent pas: le futur politique des Etats-Unis se joue début janvier en Géorgie. Le 3 novembre dernier, en parallèle à l’élection présidentielle, se décidait à travers le pays le renouvellement d’un tiers du Sénat fédéral. Les démocrates, qui espéraient reprendre le contrôle de la chambre haute à Washington, ont dû partiellement déchanter après que, dans divers Etats (Kentucky et Texas, notamment), les sénateurs républicains sortants sont parvenus de justesse à se maintenir en poste. Mais le coup est toujours possible. Pour parvenir à réaliser cette prouesse, et prendre, pour la première fois depuis janvier 2011, un contrôle conjoint de l’exécutif et du législatif fédéral qui leur permettrait de mettre en oeuvre l’agenda politique de Joe Biden sans entraves de la part des républicains, les démocrates doivent espérer une issue favorable au scrutin de rattrapage le 5 janvier dans l’Etat de Géorgie. Ils doivent y remporter les deux sièges mis en jeu pour porter leurs effectifs à cinquante membres sur les cent que compte le Sénat, la voix déterminante revenant alors à la future vice-présidente Kamala Harris.
La Géorgie, par le bouleversement de sa démographie, est en mutation favorable aux démocrates.
Début novembre, les deux candidats républicains David Perdue et Kelly Loeffler, qui se représentaient à leur poste, ont échoué de peu à réunir 50% des votes. En conséquence, ils devront affronter une fois encore leurs challengers démocrates, le pasteur noir Raphael Warnock et le tout jeune candidat de confession juive Jon Ossoff. Les jeux sont très loin d’être faits, tous les instituts de sondage plaçant les candidats au coude-à-coude.
« La liberté contre le socialisme »
« Nos adversaires sont des radicaux qui veulent éteindre l’économie, couper les crédits de la police et augmenter vos taxes. » Le message martelé par les deux sénateurs républicains, défenseurs farouches du président Trump, est symptomatique d’une dynamique visant à installer doute et peur chez leurs administrés, faute de pouvoir proposer un message constructif ou un programme politique structuré. David Perdue refuse d’ailleurs de débattre avec son opposant Jon Ossoff, de 37 ans son cadet. Lors d’un récent débat télévisé, Kelly Loeffler, de son côté, s’est systématiquement adressée à son opposant Raphael Warnock en le traitant de « gauchiste extrémiste » alors que son programme, s’il propose un soutien aux communautés les plus précarisées, ne contient aucune entrave à l’esprit d’entreprise américain. Tout au plus Raphael Warnock présente- t-il le défaut, au regard des républicains, d’être favorable à l’avortement, bien aligné en cela sur le credo démocrate, un positionnement plus étonnant en sa qualité d’homme d’église.
Kelly Loeffler, plus riche membre du Sénat fédéral, qui présente la particularité de ne pas avoir été élue mais envoyée à Washington par le gouverneur de Géorgie Brian Kemp en remplacement d’un sénateur malade, est une femme d’affaires qui a fait fortune dans le secteur financier. Elle qui se vante d’avoir connu une jeunesse marquée par le souci des factures provient en réalité d’une riche famille propriétaire de terres agricoles dans l’Illinois. Après avoir grimpé les échelons de la haute finance, cette travailleuse infatigable s’est peu à peu rapprochée des cercles républicains en qualité de donatrice pour se voir finalement adoubée par le gouverneur de Géorgie, à une époque où celui-ci était encore en bonne entente avec Donald Trump.
David Perdue, de son côté, est sénateur républicain de Géorgie depuis 2014. Originaire de cet Etat, l’ancien PDG de grandes entreprises s’est fait une spécialité du dégraissage d’effectifs, dont il a largement profité au plan financier. Se profilant lors de sa première élection comme grand défenseur à Washington du « point de vue du travailleur moyen », il a été accusé à de nombreuses reprises d’avoir profité d’informations sensibles pour accroître son patrimoine financier. Le sénateur de Géorgie est un trader assidu, il a réalisé 2.596 transactions boursières en six ans à son poste. A l’aube de la crise du coronavirus, il a acheté massivement, après une réunion d’information confidentielle et avant que le public américain soit mis au courant de la gravité de la pandémie, des actions d’un fabricant de masques. Il a été exonéré de poursuites par la commission d’éthique du Sénat.
Aux antipodes de cette attitude carnassière, son opposant Jon Ossoff, tout jeune politicien rompu depuis ses stages de fin de secondaires à la politique fédérale où John Lewis, figure des droits civiques récemment décédé, était son mentor, se présente comme un individu intègre, ne cherchant pas la facilité en matière de prises de position. Il a déclaré dans une interview ne supporter ni le Green New Deal, ni l’assurance-santé universelle, ni l’augmentation de sièges de la Cour suprême, autant de positions allant à l’encontre de celles de figures démocrates de sa génération. S’il devait être élu, Jon Ossoff deviendrait le plus jeune sénateur en poste à Washington.
Etat « en transition »
Les jeux sont loin d’être faits pour l’élection. Les chances de voir les deux démocrates triompher sont réelles, entre autres grâce au travail effréné de Stacey Abrams, cheffe de la minorité démocrate à la Chambre des représentants de la Géorgie, qui se bat depuis dix ans pour que les minorités raciales – acquises à la gauche – soient inscrites sur les listes électorales. La Géorgie est, comme le Texas, un Etat dit « en transition ». Généralement promise aux républicains – le dernier candidat démocrate élu au Sénat fédéral l’a été en 1996 – la Géorgie, par le bouleversement de sa démographie, est en mutation favorable à la gauche. Et tout indique que le fossé entre les électeurs urbains démocrates, jeunes et diplômés, et la base électorale de droite des campagnes grandira dans les années à venir, et ce à l’avantage de la gauche.
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Rien n’indique cependant que cette évolution surviendra assez tôt pour autoriser le président Biden à gouverner efficacement. L’élection consacrera-t-elle alors une nouvelle ère de paralysie partielle du pouvoir? L’hypothèse viendrait, sans nul doute, nourrir encore davantage un pourrissement politique déjà bien ancré dans le pays. Ce fut notamment le cas après les élections de mi-mandat de 2010, lorsque les républicains, ayant repris le contrôle de la chambre basse, avaient fait de la répudiation de l’Obamacare un abcès de fixation constant, parasitant les deux présidences de Barack Obama.
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