La vie romanesque de Joe Biden, « l’homme des résurrections improbables »
Toute sa vie est faite de hauts et de bas, de tragédies et de réussites. Cette existence romanesque et les côtés obscurs du candidat démocrate, Sonia Dridi, auteure de Joe Biden. Le pari de l’Amérique anti-Trump, les a découverts en rencontrant son entourage et ses amis d’enfance.
Quand Sonia Dridi, ex-correspondante de France 24 au Caire, arrive aux Etats-Unis, en juin 2015, Joe Biden est encore le vice- président populaire de Barack Obama, avec qui il affiche une grande complicité. Il est l’homme des dossiers internationaux, une figure expérimentée et sympathique. Mais depuis, il a vieilli, maigri, il manque d’énergie et ses discours sont ennuyeux. Donald Trump se fait un plaisir de le surnommer « Sleepy Joe », « Joe l’endormi ». Lorsqu’on lui a proposé d’écrire un livre sur Biden (1), la correspondante à Washington a donc beaucoup hésité. Le candidat démocrate à la présidentielle de novembre 2020 lui semblait peu attrayant, sans relief, un papy has been. Et puis, en discutant avec ses conseillers politiques, ses soutiens et ses amis d’enfance, elle a découvert une vie romanesque qui l’a fascinée.
Joe Biden aime répéter qu’il s’est marié à quelqu’un de « plus intelligent » que lui.
Joe Biden apparaît vieilli, fatigué, parfois confus. Sa santé physique et mentale inquiète-t-elle au sein du Parti démocrate?
Les démocrates préfèrent ne pas aborder le sujet, vu l’enjeu électoral. Mais il est certain que Joe Biden n’est pas en grande forme physique à la veille de cette présidentielle cruciale, et cela rend son entourage anxieux. Dès 1988, Biden a eu de sérieux ennuis de santé : il a subi des opérations suite à deux ruptures d’anévrisme. Il avait mal vécu l’échec, quelques mois plus tôt, de sa première candidature à la présidence. Il trouvera la force de se relever grâce à ses proches et à sa deuxième famille, le Sénat. Sa femme Jill et lui sont persuadés que, s’il avait continué la campagne, il serait décédé avant l’élection. Ce qui inquiète les démocrates aujourd’hui, ce sont les déclarations maladroites de leur champion: il confond parfois les personnes, les dates, les lieux, les faits, ce qui pose question sur son âge et ses capacités.
Si Joe Biden succède à Donald Trump, il sera donc un président de transition?
Lui-même le reconnaît. S’il est élu, Joe Biden aura 78 ans au moment de son investiture, en janvier 2021. Il deviendrait le président le plus âgé de l’histoire des Etats-Unis et ne se représenterait pas pour un second mandat. D’où l’importance inédite, sur le « ticket » démocrate, du poste de « VP », vice-président. Biden a parié sur une femme, susceptible de devenir candidate à la présidentielle de 2024. Si Joe Biden bat Donald Trump, Kamala Harris, 55 ans, sénatrice de Californie, sera la première femme « VP », la première Noire et la première Américaine d’origine asiatique à occuper cette fonction. Sa désignation a été pour Biden l’occasion de dynamiser sa campagne, car beaucoup de démocrates sont déçus d’avoir comme candidat un homme blanc âgé.
Barack Obama et Joe Biden ont affiché une grande complicité à la Maison-Blanche. En sera-t-il de même entre Joe Biden et Kamala Harris, si leur « ticket » l’emporte?
Sur le plan politique, ils sont sur la même longueur d’ondes: elle est centriste comme lui. Mais tous deux ont un caractère bien trempé. On peut donc s’attendre à quelques accrochages à la Maison-Blanche. Le choix de Kamala Harris est un geste vers l’électorat féminin. Et, vu le contexte du mouvement de protestation contre le racisme, le candidat démocrate était sous pression pour choisir une femme noire comme colistière. Mais la désignation de l’élue de Californie est surtout un choix du coeur: la sénatrice était très proche de Beau, le fils adoré de Joe Biden, mort en 2015 d’un cancer du cerveau. Ils étaient procureurs au même moment, ont collaboré sur de nombreux dossiers, et sont devenus amis.
La vie de Joe Biden ressemble à des « montagnes russes », écrivez-vous: des tragédies terribles et de grandes réussites. Comment s’est-il remis de la perte, fin 1972, de sa première femme et de sa fille?
La vie de sénateur de Biden a débuté avec un cauchemar: un semi-remorque percute et envoie dans un fossé le SUV conduit par sa femme Neilia, à bord duquel se trouvaient leurs trois enfants. La jeune femme et Naomi, leur fille de 13 mois, sont tuées. Les deux garçons sont en vie, mais Beau a de nombreuses fractures et Hunter est blessé à la tête. Joe Biden pense alors au suicide. Il tient le coup pour ses fils. Sénateur à Washington, il rentre tous les soirs à Wilmington, le plus souvent en train, pour s’occuper d’eux. Il devient un visage familier des employés de la compagnie ferroviaire américaine, d’où son surnom d’ « Amtrak Joe ».
La vie de sénateur de Biden a débuté avec un cauchemar
Jill, la seconde épouse de Joe Biden, joue-t-elle un rôle public comparable à celui de Michelle Obama pour l’ancien président?
Quand elle rencontre Joe Biden, en 1975, Jill Jacobs se désintéresse de la politique et n’a pas du tout envie de devenir une personnalité publique. Mais peu à peu, comme Michelle Obama, elle y prend goût. Cela dit, jamais Jill n’a fait autant campagne que pour cette élection-ci. Elle a mis de côté son travail d’enseignante et s’est engagée à temps plein dans le combat électoral de son mari. Car elle ne veut surtout pas voir Donald Trump décrocher un second mandat! Toujours élégante, elle s’exprime, en ces temps de coronavirus, depuis le sous-sol de leur maison du Delaware ou de leur résidence secondaire sur la côte. Joe Biden aime répéter qu’il s’est marié à quelqu’un de « plus intelligent » que lui. Enseigner est pour Jill une vocation. Quand elle est devenue la seconde dame des Etats-Unis, elle a poursuivi ce métier à plein temps, ce qui a surpris. Avec Michelle Obama, elle a oeuvré, à la Maison-Blanche, pour les familles de soldats, initiative largement appréciée.
Après quatre années de présidence folle, le rendez-vous de novembre est un référendum sur Donald Trump.
Quel est le caractère de Jill Biden?
C’est une grand-mère facétieuse. Ses petits-enfants racontent que cette fan de course à pied ramasse des serpents morts et les met dans un sac pour faire peur à quelqu’un! En 2004, des membres éminents du Parti démocrate tentent de convaincre Joe Biden de se présenter à l’élection présidentielle afin d’évincer George W. Bush. Mais sa femme ne pense pas que cette année-là soit la bonne. Elle inscrit en gros au feutre noir sur son estomac « non », et parade ainsi en réunion! Jill est connue pour sa franchise, on l’a encore constaté pendant la campagne actuelle. Elle a dit aux électeurs démocrates que son mari n’était peut-être pas le candidat idéal, mais qu’il fallait voter pour lui quitte « à se boucher un peu le nez », car il est le plus à même de vaincre Trump.
C’est le rejet de Trump qui fait de Biden, politicien démodé, l’homme providentiel?
Après quatre années de présidence folle, le rendez-vous de novembre prochain n’est pas une élection normale. C’est un référendum sur Donald Trump. L’Amérique anti-Trump mise tout sur un candidat par défaut. L’électeur semble prêt à accepter les gaffes et les faux pas d' »Uncle Joe », vétéran de la politique américaine. Joe Biden reste assez populaire malgré ses relations amicales avec certains politiciens ségrégationnistes et ses marques d’affection old school auprès des femmes, parfois embarrassantes et troublantes. Catholique, il s’est opposé à l’IVG, avant d’annoncer, en juin 2019, sous la pression des progressistes, qu’il n’est plus opposé à l’usage de fonds fédéraux pour financer des avortements.
« Average Joe », « Monsieur Tout-le-Monde », comme on le surnomme, aime passer du temps avec sa famille, ne boit pas d’alcool, ne fume pas et raffole des crèmes glacées. Au début des primaires démocrates, la campagne de Joe Biden patine, alors que les autres candidats, plus dynamiques et audacieux, redonnent du « peps » à un parti encore traumatisé par la défaite d’Hillary Clinton. Pourtant, coup de théâtre, c’est le chouchou des seniors qui, à 77 ans, s’impose. Un come-back que personne n’avait prédit. Joe Biden est l’homme des résurrections improbables.
L’élection présidentielle se jouera à nouveau dans quelques Etats pivots, où les derniers sondages sont serrés. Qu’est-ce qui fera pencher la balance?
En temps de crise, un candidat prévisible et consolateur, ce qu’est Joe Biden, rassure plus qu’un impulsif. Il ne déchaîne pas les passions, mais il n’est pas détesté par une partie des électeurs comme l’a été Hillary Clinton. Il a de bonnes chances de l’emporter si les démocrates se mobilisent en masse. Les trois débats télévisés entre les deux candidats, le 29 septembre et en octobre, seront sans doute décisifs. Biden parviendra-t-il à tenir tête à un Trump agressif? Apparaîtra-t-il en bonne forme physique? L’autre élément clé de la présidentielle est lié aux violences des manifestations antiracistes. Biden arrivera-t-il à rassurer l’électorat centriste et les républicains enclins à voter pour lui? Pour attirer le vote blanc, Donald Trump agite le spectre de banlieues tranquilles menacées. Comme Richard Nixon en 1968, il se revendique défenseur de la loi et l’ordre. Il affirme que Joe Biden est un pantin manipulé par la gauche radicale, que « des gens dans l’ombre contrôlent la rue ». Correspondante en Egypte pendant cinq ans, j’y ai été confrontée à des théories du complot. Je ne m’attendais pas à voir, aux Etats-Unis, le président utiliser le même genre de discours complotistes que les dirigeants de régimes autoritaires.
(1) Joe Biden. Le pari de l’Amérique anti-Trump, par Sonia Dridi, éd. du Rocher, 224 p.
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