Huile de palme : 9 communautés congolaises portent plainte contre la banque de développement allemande
En 2009, la société canadienne Feronia a repris des plantations Unilever en République démocratique du Congo. Depuis, un conflit s’est installé entre des communautés locales et la société, qui bénéficie d’un prêt de 11 millions de dollars de BIO, la Société belge d’investissement pour les pays en développement. Le 5 novembre 2018, neuf communautés congolaises ont déposé plainte auprès de DEG, la banque de développement allemande, autre créancier de Feronia. Dans son édition du 22 novembre, Le Vif/L’Express, a enquêté sur ce conflit symbolique de la course à la terre africaine.
107 000 hectares, éparpillés sur trois sites dans la dense forêt tropicale congolaise. Soit plus de 1000 kilomètres carrés. C’est la taille des terres détenues par la société canadienne Feronia en République démocratique du Congo. Un quart, environ, sont utilisées pour des plantations de palmiers servant à fabriquer de l’huile de palme vendue principalement dans la capitale du pays, Kinshasa.
En 2009, Feronia, fondée par le financier Ravi Sood, a racheté pour une bouchée de pain (2,6 millions d’euros) la société Plantations et huileries du Congo (PHC) au géant de l’agroalimentaire Unilever, qui avait délaissé ses installations depuis les conflits qui ont ébranlé la RDC en 1996 et la fin du régime de Mobutu.
Les Plantations et huileries du Congo sont intimement liées à l’histoire coloniale belge. En 1910, la Belgique a concédé à l’industriel du savon anglais William Lever d’immenses plantations pour fournir en huile de palme ses usines. Le tout sans le consentement des populations locales et au bénéfice d’une industrie qui profitait financièrement au pouvoir colonial.
Des terres accaparées illégalement ?
Après la reprise des plantations par Feronia, des tensions sont rapidement apparues entre des communautés locales et la société qui désirait relancer une activité qui représente aujourd’hui plus de 4000 emplois fixes et 4000 travailleurs saisonniers ou embauchés à la journée dont la situation socio-économique demeure précaire. Depuis 2015, des rapports d’ONG autant locales qu’internationales, dont le CNCD-11.11.11, Oxfam-Solidarité, Fian et SOS Faim en Belgique, ont décrit les raisons de ce conflit foncier.
Certaines communautés locales estiment que l’occupation des terres par Feronia (et, historiquement, par les plantations Unilever) s’opère sans leur consentement. De plus, les ONG qui travaillent sur ce dossier considèrent que les titres fonciers détenus par la société présentent des irrégularités et que l’utilisation des terres pourrait donc être illégale. Feronia et BIO affirment clairement, pourtant, opérer avec des titres fonciers valides (voir encadré ci-dessous).
Dans la plainte déposée par l’ONG locale Riao-RDC le 5 novembre 2018 auprès du mécanisme de plainte de la Banque allemande de développement (DEG) et de son équivalent néerlandais, le FMO, les neuf communautés représentée par Riao déclarent que Feronia les prive de leur accès à leurs terres coutumières et aux ressources qu’elles contiennent. Conséquence, selon elles : Feronia accroîtrait l’insécurité alimentaire bien plus qu’elle ne contribuerait au développement de la région.
Un prêt belge controversé
Pourquoi ces communautés s’adressent-elles à ce mécanisme ? Après avoir racheté les plantations, Feronia, qui se décrit comme un acteur essentiel pour l’emploi dans la région, s’est retrouvée face à des difficultés financières conséquentes. La société a du investir lourdement pour relancer les plantations et faire face au coût des obstacles liés à une activité industrielle dans les confins de la RD Congo, à plusieurs centaines de kilomètres de Kinshasa, en amont du fleuve Congo. Pour se maintenir à flot, elle s’est tournée vers des partenaires étatiques, qui ont soit acheté des parts (dont la banque de développement britannique CDC) soit effectué des prêts. En 2015, DEG en Allemagne et le FMO au Pays-Bas ont prêté 16,5 millions de dollars chacun. BIO, la Société belge d’investissement pour les pays en développement, dont le capital est détenu par l’état belge (Ministère de la coopération au développement) elle a consenti un prêt de 11 millions de dollars.
Selon les plaignants, les banques de développement comme DEG et BIO étaient au courant du conflit foncier au moment de leur prêt mais « ont failli dans leur devoir de due diligence en oubliant de s’assurer que leur client ait résolu les abus des droits humains et les conflits terriens en cours. » Les ONG qui soutiennent Riao voient dans Feronia un cas symbolique de l’appui des investissements des gouvernements européens aux entreprises de l’agro-business.
BIO, pour sa part, a confirmé son soutien à Feronia. Elle met en avant les mesures activées par la société canadienne et sa filiale congolaise pour résoudre les conflits sur le terrain et accélérer la mise en place de leurs engagements sociaux, tels que la construction d’infrastructures pour les travailleurs et les communautés (puits, réhabilitation de routes, de centres de soins, d’écoles et programmes de développement). Toutefois, l’avancée de la réhabilitation ou construction des infrastructures est remise en question par une visite de terrain du CNCD, en juillet dernier, mais aussi de parlementaires allemands, fin août.
Feronia et sa filiale congolaise PHC se présentent, de leur côté, comme les seuls acteurs de développement d’envergure dans une région où l’emploi et les infrastructures manquent. Elles rappellent également qu’elles ont signé des cahiers des charges (des listes d’engagements réciproques) avec les communautés locales, depuis novembre 2017, dans le cadre d’un processus de réconciliation décrié par les ONG qui soutiennent la plainte de Riao.
Dans son numéro du 22 novembre 2018, Le Vif/L’Express a rencontré et interrogé des acteurs de chaque côté de ce conflit foncier qui concerne de près la coopération belge au développement. Le dossier Feronia se trouve à la croisée de deux mouvements historiques : la queue de comète de la colonisation belge et la récente ruée sur les terres africaines, devenues depuis une dizaine d’années l’objet de l’appétit des entreprises de l’agro-business, qui, ont promis le miracle du développement local tout en lorgnant d’importants profits sur la vente du produit de ces terres.
Selon Feronia et BIO, la filiale PHC qui opère les trois plantations détient des titres de concessions valides, qui lui permettent d’exploiter la terre avec un bail de 25 ans, renouvelable, mais sans la détenir (c’est l’état qui les détient). Entre 2013 et 2016, Feronia a renouvelé ses titres fonciers, qui sont mis à disposition, à Londres et à Kinshasa, pour qui veut les consulter. Toutefois, plusieurs ONG contestent depuis plusieurs années la validité de ces titres et ont commandité une analyse légale, en 2017, sur base de ces titres. Elle pointe plusieurs irrégularités. Elles touchent notamment à la fragmentation des concessions en concessions plus petites. L’objectif était, selon un des investisseurs de Feronia, Kuramo Capital, d’offrir une garantie aux IFD sur les terrains que Feronia exploite réellement, mais aussi de pouvoir envisager de renoncer à des terres qu’elle n’exploiterait pas à l’avenir. Selon l’analyse, un simple renouvellement des concessions ne suffit toutefois pas s’il y a fragmentation. Par ailleurs, cette analyse souligne que les contrats de concession de 2015 et 2015 détenus par PHC semblent invalides car il se réfèrent à des certificats d’enregistrement plus ancien détenu par une société qui s’appelle PHC mais avec un numéro d’enregistrement différent. Paul Dulieu, de Feronia, explique que PHC a du changer de structure, passant de sociétés à responsabilité limitée à société anonyme pour se mettre en conformité avec des normes régionales. « Le détenteur ne changeait pas, donc il n’y a pas eu de processus de changement de détenteur pour les biens et les contrats, que ce soient les voitures ou les terres. » Un défi juridique plus important encore se pose pour Feronia et toutes les entreprises agricoles à capitaux étrangers : la loi agricole de 2011 mentionne que les exploitations doivent être détenues en majorité par des nationaux congolais. Toutefois, elle n’est pas encore mise en oeuvre en l’état, le Sénat ayant réclamé que cette disposition soit supprimée pour ne pas effrayer les investisseurs étrangers.
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