Hausse du nombre de gorilles au Rwanda : menace ou opportunité ?
Les derniers recensements indiquent que les gorilles sont en augmentation au Rwanda. Une aubaine pour le pays dont 10% des revenus du tourisme reviennent aux habitants, mais aussi un danger par rapport à la densité.
L’énorme mâle grignote une appétissante pousse de bambou, puis s’allonge avec flegme et relâche même bruyamment quelques gaz: il ne semble nullement importuné par le meuglement des vaches et les coups de bêche des fermiers, que l’on distingue à une cinquantaine de mètres.
Ce gorille au « dos argenté » (ou Silver Back) et sa famille évoluent ce jour-là tout près du talus qui marque l’extrémité du parc national des Volcans, au Rwanda, un sanctuaire où les grands singes sont désormais à l’étroit. Le Rwanda partage avec l’Ouganda et la République démocratique du Congo (RDC) le célèbre massif des Virunga. Située au coeur de la région densément peuplée des Grands Lacs, cette chaîne de huit majestueux volcans est aussi, avec la forêt ougandaise de Bwindi, le seul habitat au monde des gorilles de montagne, dont la population augmente.
« Lors du recensement de 2010, il y avait 880 gorilles de montagne. En 2015, un autre recensement a montré qu’il y en avait 1.063″ au total, expose fièrement à l’AFP le ranger Felicien Ntezimana, avant d’entamer la randonnée qui, à travers des champs fertiles, mène à la forêt brumeuse où vivent les mythiques animaux. Ce primate à la superbe fourrure sombre, épaisse et brillante, est depuis 2018 considéré comme « en danger » et non plus « en danger critique » d’extinction, comme le sont tous les autres grands singes. Les gorilles de montagne reviennent de loin. Dans les années 1980, lorsque la célèbre primatologue américaine Dian Fossey fut assassinée ici, le massif des Virunga n’en comptait plus que 250, après des décennies d’un impitoyable braconnage.
Avant détestés, aujourd’hui appréciés
Depuis, leur nombre a quadruplé, notamment grâce à une sécurité renforcée et à l’implication des communautés. Au Rwanda, 10% des revenus du tourisme (soit 25 millions de dollars avant le Covid) reviennent aux habitants sous forme de projets et 5% via un fonds de compensation. « Détestés » par le passé, les primates sont aujourd’hui surnommés « ceux qui apportent le lait », s’amuse un vieil habitant de Musanze, la ville qui borde le parc. « Les touristes dépensent de l’argent pour eux et cet argent revient à nous sous forme de nourriture, de logements et de bonnes conditions de vie », se félicite Jean-Baptiste Ndeze. Cette résurrection spectaculaire n’est pas sans conséquences.
Avec une vingtaine de familles connues et surveillées par les autorités rwandaises (contre six il y 25 ans), la densité s’est accrue. Et ces primates habitués aux humains s’aventurent par conséquent chez leurs voisins. « Nous observons plus souvent des gorilles qui sortent du parc et qui cherchent de la nourriture à l’extérieur (…). Ils passent également plus de temps en dehors du parc, et ont tendance à s’éloigner plus de la bordure », explique Felix Ndagijimana, directeur pays du Fonds Dian Fossey pour les gorilles. Le singe à la force herculéenne, qui peut peser jusqu’à 200 kilos, est vulnérable aux maladies humaines, comme la grippe, la pneumonie ou même Ebola.
Un problème de densité
La densité fait peser d’autres menaces à l’intérieur même du sanctuaire. Les interactions entre ces familles se sont fortement accrues et peuvent déclencher des combats, au cours desquels les bébés courent de grands risques. Le Fonds, qui s’inquiétait de voir la croissance de la population ralentir, a mené il y a dix ans une étude sur une zone spécifique du parc: elle a notamment conclu à une multiplication par 5 du nombre d' »infanticides ». « Les infanticides sont un grand problème car ils ont un immense impact à la baisse sur la progression de la population », déplore Felix Ndagijimana. Ce problème de densité est aujourd’hui bien plus prégnant au Rwanda, où en raison de la pression démographique la surface du parc a été grignotée de moitié au XXe siècle. Une seule famille de gorilles vit dans la partie ougandaise des Virunga, et le parc est « immense » côté congolais, note Benjamin Mugabukomeye, du Programme international de protection des gorilles, une organisation régionale.
Le Rwanda a décidé d’étendre de 23% la surface de son parc d’ici cinq à dix ans. Un projet ambitieux, qui doit démarrer en 2022 et nécessitera de restaurer la forêt mais aussi de déplacer 4.000 familles d’agriculteurs. « C’est un processus que nous menons de manière très très prudente », insiste Prosper Uwingeli, le directeur du parc, soulignant que des études de faisabilité sont en cours ainsi qu’une cartographie précise des familles concernées. Kigali prévoit des indemnisations mais aussi la construction de « villages modèles », dont un prototype est sorti de terre à Musanze. Outre une immense école et une usine d’oeufs, des immeubles de briques y abritent des appartements impeccables, mobilier inclus.
Dans ce pays où le régime est salué pour ses projets de développement mais aussi critiqué pour son autoritarisme, les responsables affirment que l’extension est une « responsabilité » envers les singes et une « opportunité » pour les humains. Mais au bord du parc, à quelques jets de pierre de l’énorme gorille, un paysan bêchant sa terre noire se montre inquiet. Les gorilles « ne sont pas un problème », balaye ce producteur de pommes de terre. Mais « cet endroit est très fertile, il m’a permis de nourrir ma famille », ajoute-t-il. « Là où ils veulent nous relocaliser, le sol n’est pas aussi fertile. Donc l’argent qu’ils nous donneront doit être significatif pour notre subsistance ».
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