La barbarie de Boutcha va-t-elle définitivement changer la tournure de la guerre en Ukraine?
Des civils abattus derrière un vélo, dans la rue, ou en groupe derrière une maison détruite: le massacre qui a eu lieu à Boutcha par les troupes russes, dans la banlieue de Kiev, provoque l’indignation internationale. Qualifié de crime de guerre par le président Zelensky, de « possible génocide » par le premier ministre espagnol, cet acte de barbarie pourrait changer la tournure de la guerre en Ukraine.
De plus en plus de nouvelles images -effroyables- apparaissent sur le web, montrant des corps de dizaines civils tués, au lendemain ce qui apparaît pour certains comme être un crime de guerre perpétré par les troupes russes à Boutcha, petite ville dans la banlieue de Kiev.
Il y a des dizaines de victimes, au moins, et selon le maire de Boutcha, 280 autres morts sont enterrés dans des fosses communes de la ville. « Tous ces gens ont été abattus », a-t-il déclaré à l’AFP. Au total, 410 corps de civils ont été dénombrés dans les villes et villages autour de Kiev depuis un mois. Les journalistes qui sont entrés à Boutcha ont vu les morts de leurs propres yeux — ceux de l’AFP en dénombrent une vingtaine — tous des civils, laissés à la rue. Trois gisent à côté de leurs vélos. Ils étaient apparemment en train de rouler lorsqu’ils ont été abattus, d’autres gisent à côté de voitures criblées de balles. Un autre corps sans vie, les mains ligotés dans le dos, est à la vue de tous dans la rue. Les scènes semblent tout droit sorties d’un film d’horreur.
Les survivants de cette petite ville en banlieue de Kiev sont en état de sidération. « Connards », dit Vasily, 66 ans, à l’agence Reuters alors qu’il regarde furieusement les morts dans la rue devant chez lui. « Le char qui était derrière moi tirait. Ce sont des chiens. »
Une résistance acharnée de l’armée ukrainienne
Les nombreux chars incendiés témoignent de la résistance acharnée de l’armée ukrainienne. Un peu plus tôt, Boutcha était le théâtre de la première embuscade dans laquelle une colonne entière de voitures blindées et de chars russes a été détruite.
L’avancée russe s’est stoppée avant qu’elle ne puisse atteindre le centre-ville de Kiev. Aujourd’hui, l’armée de Vladimir Poutine s’est retirée de toute la région autour de la capitale. La Russie a elle-même revendiqué avoir « atteint ses objectifs de guerre ». Elle veut désormais se concentrer sur le sud et l’est de l’Ukraine. Mais le départ de Boutcha ressemble plus à une fuite après une défaite qu’à un départ victorieux.
Des habitants racontent à la BBC qu’après la destruction de la première colonne russe fin février, de jeunes conscrits russes ont supplié les habitants de ne pas les remettre aux troupes ukrainiennes. Mais maintenant, il semble que ces mêmes conscrits aient eux-mêmes fait de nombreuses victimes. Pendant cinq semaines, les troupes russes ont occupé et bombardé Boutcha, Irpin et d’autres faubourgs de Kiev. Irpin est devenu mondialement connu pour le pont que les troupes ukrainiennes avaient abattu pour ralentir l’avancée russe. Le pont effondré avait ensuite servi d’abri aux habitants d’Irpin, qui de là, un par un, ont traversé des planches et des pierres sur la rivière pour atteindre Kiev. Plus d’une fois, ces civils ont été la cible de tirs des troupes russes, ce qui avait également suscité l’indignation internationale.
Les récits des survivants d’Irpin et de Boutcha se rejoignent. Ils s’apparentent également à ce qu’il se passe à Marioupol, la ville portuaire totalement détruite du sud. La cité est coupée du monde extérieur par les troupes russes depuis des semaines. À Boutcha aussi, les gens ont passé cinq semaines dans des abris anti-aériens ou dans d’autres endroits qu’ils pensaient sûrs. Ils y étaient enfermés. Sortir dehors mettait automatiquement sa vie en danger. Mais rester à l’intérieur était aussi dangereux. Parce que les soldats russes saccageaient les maisons, interrogeaient les gens et, semble-t-il maintenant, les tuaient quand bon leur semblait.
Les Russes avaient également coupé l’électricité, l’eau et l’approvisionnement alimentaire à Boutcha, et un complexe résidentiel après l’autre était incendié. A moins de 30 kilomètres de Kiev, les rescapés allumaient parfois des feux de bois à l’extérieur de leurs immeubles pour cuisiner un peu plus de nourriture.
Enfer de cinq semaines
Depuis le 27 février, les troupes russes sont arrivées et la ville s’est transformée en un enfer de cinq semaines. Ni nourriture ni boisson nulle part, mais des chars et des véhicules blindés partout. Les soldats russes partout eux aussi, n’hésiteraient à vous tirer sur les civils, dénonce Human Rights Watch.
La découverte de nombreux corps à Boutcha a suscité l’indignation mondiale. Le parquet ukrainien tient déjà un dossier de tous les crimes commis par l’armée russe et parle de crimes de guerre. Mais ce mot est également de plus en plus utilisé en dehors de l’Ukraine.
Indignation internationale
La ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, a déclaré à la BBC qu’elle était « consternée par les atrocités commises à Boutcha ». Truss soutient une enquête internationale sur les crimes de guerre russes en Ukraine. « Le Royaume-Uni travaille avec d’autres pays pour rassembler des preuves à l’appui d’une enquête de la Cour internationale de justice sur les crimes de guerre. »
Carla Del Ponte, ancienne procureure en chef des tribunaux de l’ONU sur le Rwanda et l’ex-Yougoslavie, a appelé à l’arrestation du président russe Vladimir Poutine dans une interview au journal suisse Le Temps. « Poutine est un criminel de guerre« , a déclaré Del Ponte. « Si la Cour internationale de justice trouve des preuves de crimes de guerre, vous devez remonter la chaîne de commandement jusqu’à ceux qui donnent les ordres. »
« Meurtriers, tortionnaires, violeurs, pilleurs »
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fustigé les troupes russes, composées selon lui de « meurtriers, tortionnaires, violeurs, pilleurs » après le massacre de civils mis au jour à Boutcha.
Les images de dizaines de cadavres dans des fosses communes ou jonchant les rues des environs de la capitale ukrainienne ce week-end, à la suite du retrait russe, ont révulsé les Occidentaux, comme le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, parlant d’un « coup de poing à l’estomac ».
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres s’est dit « profondément choqué par les images de civils tués à Boutcha », et le bureau des droits de l’Homme des Nations unis a évoqué de « possibles crimes de guerre ».
L’utilisation de fosses communes a également choqué. « 280 personnes » ont été enterrées « dans des fosses communes » car elles ne pouvaient être inhumées dans les cimetières communaux, tous à portée des tirs russes pendant les combats.
Le porte-parole du président ukrainien, Serguiï Nikiforovil, a déclaré à la BBC sur le sujet: « Nous avons trouvé des fosses communes. Nous avons trouvé des gens avec les mains et les jambes ligotées (…) avec des impacts de balles à l’arrière de la tête », et il s’agissait « clairement de civils ».
Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a été plus loin, en évoquant un possible génocide. « Nous allons faire tout notre possible pour que ceux qui ont perpétré ces crimes de guerre ne restent pas impunis et puissent comparaître devant les tribunaux, dans ce cas précis devant la Cour pénale internationale, pour répondre de ces cas présumés de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et, pourquoi ne pas le dire également, de génocide », a déclaré Sanchez.
Zelensky avait lui aussi accusé la Russie de commettre un « génocide » en Ukraine, au lendemain de la découverte de nombreux corps à Boutcha. Mais Sanchez est l’un des premiers dirigeants européens à employer le terme de « génocide », avec son homologue polonais Mateusz Morawiecki, qui a demandé la mise en place d’une commission d’enquête internationale sur « le génocide » en Ukraine.
L’UE discute « en urgence » de nouvelles sanctions contre Moscou
Conséquence directe de ces événements tragiques, l’UE discute en « urgence » de nouvelles sanctions contre Moscou, réclamées notamment par la France et l’Allemagne, a indiqué le haut représentant de l’UE Josep Borrell.
L’UE « condamne dans les termes les plus forts les atrocités rapportées commises par les forces armées russes dans plusieurs villes ukrainiennes occupées, qui ont maintenant été libérées », a ajouté M. Borrell dans un communiqué. Plus que jamais, cette nouvelle montée de violence dans la guerre en Ukraine pourrait aiguiser un peu plus encore les tensions entre Russes et Occidentaux. Et venir écorcher un peu plus encore toute solution diplomatique dans la résolution du conflit.
Moscou va enquêter sur une « provocation » contre l’armée russe
La Russie a annoncé qu’elle allait enquêter sur une « provocation » visant à « discréditer » les forces russes en Ukraine, après la découverte d’un grand nombre de cadavres de civils à Boutcha, près de Kiev.
Le patron du Comité d’enquête russe, Alexandre Bastrykine, a ordonné de « donner une évaluation judiciaire de la provocation de la part de l’Ukraine concernant le meurtre de civils à Boutcha ».
« Afin de discréditer les militaires russes, le ministère de la Défense ukrainien a diffusé auprès des médias occidentaux des images tournées à Boutcha, dans la région de Kiev, comme preuve d’une tuerie de masse des civils », accuse le communiqué. « Selon les informations du ministère russe de la Défense, tous les matériaux diffusés par le régime de Kiev sur les crimes des militaires russes dans cette localité ne correspondent pas à la réalité et ont un caractère provocateur », affirme-t-il. Selon la même source, M. Bastrykine a ordonné de prendre des « mesures exhaustives » pour identifier toutes les personnes impliquées et établir si elles doivent être poursuivies pour diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe, un crime apparu dans le code pénal russe après l’offensive en Ukraine et passible de 15 ans de prison.
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