Ces pays champions de l’espionnage, aussi sur le sol belge
Une nuée d’espions opèrent discrètement sur le territoire belge, appâtés par les grandes institutions et entreprises et, pour certains, très fermement décidés à contrôler leurs expatriés.
États-Unis, leader mondial du renseignement technique
CIA, NSA, FBI, DIA, NGA, NRO…
En 2013, l’informaticien Edward Snowden révèle l’existence des programmes de surveillance massive de la NSA (ici, son complexe à Fort Meade, dans le Maryland) et de son homologue britannique CGHQ. En 2000, le Parlement européen avait subi les écoutes Echelon orientées vers l’espionnage économique. Entre 2012 et 2014, le service de renseignement militaire danois (FE) a aidé la NSA à intercepter les communications de hauts responsables allemands, français, suédois et norvégiens, dont Angela Merkel. Le service de renseignement extérieur allemand BND a collaboré avec la NSA pour espionner Airbus dont le gouvernement allemand est actionnaire, mais qui est un concurrent de Boeing. La NSA aurait aussi pompé les données personnelles des géants américains du Net (Operation Prism) et jeté un oeil sur certaines transactions bancaires transitant par le réseau Swift (La Hulpe). Grâce à son gigantesque filet dérivant, la NSA est capable d’intercepter la quasi- totalité des communications mondiales sur quelque support que ce soit. Elle bénéficie par traité de l’aide des Five Eyes (Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande). Sa maîtrise du datamining lui permet, grâce à des algorithmes sophistiqués, d’extraire l’info pertinente du magma de ces données. La NSA se fait « pardonner » son hyperpuissance – légale selon la loi américaine – en redistribuant certains produits à ses partenaires et en leur prêtant main-forte dans la lutte antiterroriste.
Royaume-Uni, fidèle second
Mi 5 (photo: son siège au bord de laTamise), MI6, GCHQ, Metropolitan Police…
En 2018, une enquête du parquet fédéral attribuait au GCHQ le piratage de Belgacom et de sa filiale internationale Bics entre 2010 et 2013 (Operation Socialist). L’opérateur national a dû débourser 50 millions d’euros pour sécuriser son réseau. L’affaire a été classée sans suite faute de preuves suffisantes, le Home Office ayant refusé de collaborer à l’enquête. Réputés avoir inventé l’espionnage moderne et enfanté ce qui allait devenir la CIA, les agents de Sa très Gracieuse Majesté sont passés maîtres dans l’art de manipuler les sources et de retourner les espions des services adverses. En 2018, Sergueï Skripal, un ancien du GRU (renseignement militaire russe) installé à Salisbury, a été empoisonné au novitchok, un agent neurotoxique créé par les services russes. « Poutine va venir me chercher », avait-il annoncé à un ami. Par solidarité avec le Royaume-Uni, de très nombreux pays- mais pas la Belgique -ont expulsé près de 150 diplomates russes.
France, à la défense et à l’attaque
DGSI, DGSE (photo: son directeur, Bernard Emié), DRM, DRSD, DGA, DNRED, ANSSI…
La DGSE (renseignement extérieur) est devenue l’acteur dominant de la vaste scène française du renseignement. Il lui arrive de mener des opérations autonomes sur le territoire belge, ce qui, en principe, nécessite une autorisation. Après le sabotage de la centrale nucléaire de Doel, un intérêt français, en 2014, des agents français ont pris les choses en main, mécontents, dit-on, de la manière dont l’enquête était menée. Un Anversois de Sharia4Belgium ayant eu accès à la zone sécurisée de Doel a été tué en Syrie par un avion français. Comme l’a avoué François Hollande dans Un Président ne devrait pas dire ça (éd. Stock, 2016), la France procède à des assassinats ciblés dans le cadre de la lutte antiterroriste.
L’ombre de l’ours russe
FSB, SVR, GRU…
Les omniprésents services russes étendent leurs tentacules jusqu’au sommet de l’Etat. Vladimir Poutine lui-même est issu du KGB, ancêtre du FSB et du SVR. Un rapport du Parlement britannique de 2020 a dénoncé l’entrisme russe dans les élites britanniques politiques, économiques, culturelles ou sportives, en apportant la preuve des interventions du Kremlin dans les élections législatives et les référendums sur l’indépendance écossaise (2014) et le Brexit (2016). La propagande russe encourageait le Brexit pour affaiblir la construction européenne et retrouver son statut de puissance mondiale. A côté de ces manoeuvres de désinformation et de déstabilisation dans lesquelles ils sont passés maîtres, les services russes continuent de recourir à un espionnage plus classique. Le 30 mars dernier, un conseiller de l’état-major italien de la Défense a été surpris en train de donner à un attaché militaire de l’ambassade de Russie 181 documents classifiés « confidentiel défense » contre 5 000 euros. Parfois soupçonnée d’une trop grande tendresse envers la Russie, l’Italie a expulsé deux fonctionnaires de l’ambassade de Russie et convoqué l’ambassadeur. En République tchèque, le mystère de l’explosion d’un dépôt de munitions dans l’est du pays, en 2014, vient d’être résolu. Il a été attribué avec certitude aux deux agents du GRU qui ont empoisonné Sergueï Skripal ( voir « Royaume-Uni, fidèle second ») .
Résultat: 18 employés de l’ambassade de Russie à Prague ont été expulsés. Deux diplomates russes ont dû aussi plier bagage en Bulgarie après la découverte en mars d’un réseau d’espionnage supervisé par un ancien dirigeant du renseignement bulgare. Pour la justice bulgare, c’était une affaire « sans précédent depuis 1944 », année du coup d’Etat communiste. En avril, les Etats-Unis ont annoncé l’expulsion de dix diplomates russes et des sanctions contre des dizaines d’individus et entreprises en guise de représailles contre l’intrusion massive de pirates informatiques russes dans les serveurs d’agences fédérales américaines et contre la diffusion de fausses informations dans le cadre de l’élection présidentielle de novembre 2020. En 2019, le Service d’action extérieure de l’UE estimait à 200 le nombre d’espions russes en poste à Bruxelles, attirés par l’Otan, les institutions européennes et les entreprises de haute technologie.
La Chine hypercyber
MSE et ses 50 000 agents illégaux dits « poissons d’eau profonde », APL2, APL3, APL4, DLI..
La Chine dispose d’un appareil d’espionnage et de hacking à la mesure de son nouveau statut de puissance mondiale. Dès 2012, la Sûreté de l’Etat s’inquiétait de la livraison à Belgacom (Proximus) et Mobistar (Orange) de matériel 4G en provenance de Huawei, le géant chinois des télécommunications fondé par un ancien officier de l’Armée populaire de libération. Un récent rapport néerlandais indique qu’entre 2002 et 2010, Huawei (photo) a eu accès à toutes les données du réseau mobile de KPN et, notamment, aux conversations de l’ancien Premier ministre Jan Peter Balkenende. Bien qu’évincé du Royaume-Uni et de la Suède pour la 5G, Huawei n’a pas renoncé à s’imposer en Europe et pratique un lobbying forcené.
La Sûreté de l’Etat ne cesse de mettre en garde les entreprises et les autorités académiques contre le risque de pillage scientifique et économique, entre autres, par des étudiants-militaires chinois. En 2019, la VUB a mis fin à sa collaboration avec l’Institut Confucius dont le directeur était soupçonné de recruter des informateurs. L’arrivée d’Alibaba à Liège suscite le même genre d’inquiétude. La loi chinoise de 2017 sur le renseignement national oblige, en effet, toutes les entreprises chinoises à coopérer avec les agences de renseignement chinoises. La Chine est-elle à l’origine du sabotage par déni de service du réseau Belnet (fournisseur d’accès de 200 institutions), le jour où le Parlement belge devait entendre des experts sur la répression au Xinjiang (Ouïghours)? Est-ce ce pays qui a espionné le SPF intérieur durant plusieurs années? Impossible de mettre un nom sur ces « attaques étatiques », mais l’on sait que la Chine peut s’appuyer sur son « proxy », la Corée du Nord.
L’Iran et ses agents terroristes
Vaja, Organisation du renseignement du Corps des gardiens de la révolution, Bureau 101, J-2…
La Sûreté de l’Etat surveille les entreprises belges tentées de vendre à l’Iran du matériel à double usage civil et militaire, mais aussi les équipes clandestines qui circulent en Europe pour intimider ou tuer des opposants au régime. Trois Belges d’origine iranienne et un membre de l’ambassade d’Iran à Vienne avaient prémédité de faire sauter une bombe au rassemblement du Conseil national de la résistance iranienne à Villepinte (France), le 30 juin 2018. En première instance, le trio a été condamné à Anvers à des peines entre 15 et 18 ans de prison et le diplomate Assadollah Assadi (photo), qui n’a pas fait appel, à vingt ans de prison. Le patron de la Sûreté de l’Etat, Jaak Raes, écrivait le 20 février au procureur fédéral que « le projet d’attaque a été conçu au nom de l’Iran, et sous son impulsion » par le Département 312, un service du ministère du Renseignement et de la Sécurité figurant sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne.
Turquie espionnage diasporique
MIT, JiTem…
La mosquée Fatih de Beringen ( photo) a été accusée d’espionnage au profit de la Turquie après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016 attribuée par le président Erdogan à son ancien allié vivant en exil, Fethullah Gülen. En 2017, la Région flamande lui a retiré sa reconnaissance officielle pour avoir mis le mouvement Hizmet de Fethullah Gülen sur le même pied que l’Etat islamique et ainsi avoir monté les groupes les uns contre les autres. Après le coup d’Etat manqué, toutes les mosquées officielles de la diaspora turque (Diyanet) ont été priées d’envoyer à Ankara les listes des sympathisants gülénistes. Le service de renseignement turc (MIT) gère des milliers d’informateurs, surtout, en Europe, et procède à des liquidations ciblées contre le PKK, y compris en plein Paris. Les services de renseignement français viennent de remettre à l’Elysée un rapport où ils dénoncent la stratégie d’infiltration et de contrôle orchestrée depuis Ankara via le MIT et les ambassades, en s’appuyant sur 650 organisations en Allemagne, France, Pays-Bas et Belgique, dont les célèbres Loups gris interdits en France. Depuis quelques années, l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam) observe un accroissement de l’assertivité des services turcs.
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Maroc, entre espionnage et ingérence
DGED, DGST…
Le Maroc entretient des contacts avec tout binational doté d’un certain pouvoir dans le but de contrôler ses expatriés et de veiller à ses intérêts stratégiques, dont la « marocanité » du Sahara occidental. En 2008, la Sûreté de l’Etat a demandé le départ de trois officiers de la DGED soupçonnés de mener des opérations clandestines en Belgique. La brouille a duré plusieurs années. Le Maroc missionne aussi des lobbyistes, dont une certaine Kaoutar Fal, accusée par la Sûreté de l’Etat d’être une agente infiltrée de la DGED à Bruxelles, interdite de séjour en 2018. Dernier scandale en date: les accusations d’espionnage proférées par le ministre de la Justice contre trois personnes, dont le vice-président de l’Exécutif des musulmans de Belgique, suspecté de vouloir remplacer l’influence de l’Arabie saoudite sur la Grande Mosquée (photo) par celle du Maroc.
Vatican, nid d’espions
Quel Etat peut se prévaloir d’autant de « capteurs » que la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine? Certes, tous les prêtres ne sont pas des agents secrets, mais ils rapportent une masse d’informations au Bureau central des affaires étrangères pontificales, sans compter les 183 nonciatures (ambassades) du Vatican et les ordres religieux ou organisations laïques qui peuvent porter la parole officieuse du pape. Dans Les Espions du Vatican (1), Yvonnick Deno Denoël, spécialiste des questions de renseignement, ayant eu accès à des archives inédites, retrace avec une rare vivacité l’histoire secrète des six derniers pontificats, de Pie XII à François. La neutralité face au pouvoir nazi, le sauvetage de 6 000 réfugiés juifs après l’occupation de l’Italie par les Allemands, l’exfiltration de dignitaires nazis en Amérique latine, les compromissions avec la mafia et la CIA, le parachutage de prêtres- espions à l’Est, les scandales politico- financiers innombrables (Michele Sindona, Paul Marcinkus), le jeu trouble du Saint-Siège lors du génocide des Tutsis, une diplomatie qui compte en décennies, voire en siècles, orientée globalement vers la paix (rapprochement Etats-Unis-Cuba). A chaque page, des opérations hardies. Aujourd’hui, l’un des plus grands défis du micro- Etat est la cyberguerre et l’espionnage numérique.
(1) Les Espions du Vatican. De la Seconde Guerre mondiale à nos jours, par Yvonnick Denoël, éd. Nouveau Monde, 2021, 648 p.
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