Allemagne-Namibie: réparation pour le génocide des Hereros et des Namas
Ancienne puissance coloniale en Namibie, l’Allemagne n’a reconnu jusqu’ici que partiellement sa responsabilité dans le massacre des Hereros et des Namas, qui se sont révoltés contre la colonisation au début du XXe siècle. Les dispositions complémentaires négociées avec Windhoek sont loin de faire l’unanimité chez les descendants des victimes.
C’est une page peu connue mais dramatique de l’histoire allemande. Entre 1884 et 1915, l’Allemagne est puissance coloniale dans l’actuelle Namibie, au sud-ouest de l’Afrique. Privés de leurs terres et de leur bétail par les colons allemands au début du XXe siècle, deux peuples, les Hereros et les Namas, se révoltent en 1904. Les représailles sont terribles. Le général Lothar von Trotha, chargé de rétablir l’ordre, ordonne l’extermination des deux groupes. Les survivants sont repoussés vers le désert d’Omaheke. Sans eau ni nourriture, la plupart périssent sous un soleil de plomb ou dans des camps de concentration, comme le redouté Shark Island.
Des ossements des victimes et des crânes sont envoyés en Allemagne pour des expériences scientifiques à caractère racial. Le médecin Eugen Fischer, dont les écrits ont influencé Hitler, a officié à Shark Island avec des expériences cherchant à prouver la supériorité de la race blanche. En quatre ans, 75 000 personnes sont massacrées. Selon les historiens, 65 000 des 80 000 Hereros et 10 000 des 20 000 Namas sont assassinés entre 1904 et 1908. Cette extermination est aujourd’hui considérée par les historiens comme le premier génocide du XXe siècle.
Aide au développement ciblée
L’Allemagne n’a jusqu’ici que partiellement reconnu sa responsabilité dans l’anéantissement des deux peuples, qui ne représentent plus que 6% de la population namibienne, contre 60% avant le génocide. Par étapes, la République fédérale restitue à la Namibie une partie des crânes et ossements de victimes qui se trouvaient encore dans les collections de certains musées d’Allemagne. Une cérémonie religieuse de restitution a été organisée en 2018. Plusieurs crânes ont alors été rendus à la Namibie pour y être enterrés dignement. Exclus de la célébration, une partie des descendants des victimes manifestent leur frustration devant l’église qui accueille la cérémonie. Les pourparlers entre l’Allemagne et la Namibie semblent alors au point mort.
Les Hereros et les Namas, expropriés par les Allemands, n’ont pas été indemnisés ni n’ont retrouvé leurs terres, aujourd’hui toujours aux mains des descendants de colons blancs.
Trois ans plus tard, les choses semblent enfin bouger. Après plus de cinq ans de négociations entre les gouvernements allemand et namibien, un accord pourrait être signé autour du 29 mai, date de la commémoration du génocide en Namibie. Il est loin de faire l’unanimité chez les descendants des victimes.
Selon des indiscrétions, le président de la République Frank-Walter Steinmeier s’apprêterait à présenter les excuses de l’Allemagne aux deux peuples décimés et l’Allemagne pourrait verser à la Namibie une indemnité sous forme d’aide au développement pour financer des projets dans l’éducation, les infrastructures, le système de santé ou l’acquisition de terres. Ces projets doivent prioritairement profiter aux Hereros et aux Namas.
Pour la plupart des descendants des survivants, le principe d’une négociation entre Windhoek et Berlin est tout simplement inacceptable. « Les Hereros et les Namas sont minoritaires au sein du gouvernement, rappelle l’historien Christian Kopp, de l’association allemande Pas de prescription pour les génocides. Les descendants des victimes ne se sentent pas représentés, même si le chef des négociations côté namibien est un Herero. Les différentes associations de défense des intérêts des victimes n’ont pas été associées aux négociations qui se font entre les deux Etats, c’est pourquoi nous sommes très critiques envers l’accord qui pourrait être prochainement signé. » D’autant que les Hereros et les Namas, expropriés par les Allemands, n’ont pas été indemnisés ni n’ont retrouvé leurs terres, aujourd’hui toujours aux mains des descendants de colons blancs.
Lorsque la Namibie a proclamé son indépendance vis-à-vis de l’Afrique du Sud en 1990, ceux-ci n’avaient pas été expropriés. La majorité des Namibiens d’origine allemande ont des difficultés avec le débat actuel et nient toujours, pour certains, l’existence du génocide, selon le bureau namibien de la Fondation Friedrich Ebert, proche du Parti social démocrate allemand SPD.
Considérations politiciennes
Rejetant les négociations bilatérales, une partie des victimes a d’abord tenté d’obtenir gain de cause face à la justice américaine, dans le cas d’un procès intenté à New York. Les juges américains, après avoir tancé à plusieurs reprises le gouvernement allemand pour obstruction – l’Allemagne n’a tout simplement pas répondu à la plupart des convocations des juges de New York – se sont finalement déclarés non compétents, sans trancher sur le fond.
Paradoxalement, c’est cet échec aux Etats-Unis qui semble avoir débloqué les négociations à Berlin. Désormais assuré qu’il n’y aura pas un second front de réclamations, le gouvernement allemand s’apprête à solder le dossier. Berlin semble surtout pressé de signer un accord, avant la fin de la législature en septembre, avec le souci d’éviter que le prochain ministre des Affaires étrangères, potentiellement un Vert plus favorable aux Hereros et aux Namas, ne soit tenté d’aller plus loin dans les concessions aux anciennes victimes.
« Ce ne sera qu’une demi-reconnaissance de la culpabilité allemande, déplore Christian Kopp. L’Allemagne a jusqu’ici toujours argumenté qu’il ne pouvait y avoir eu de génocide au sens juridique du terme en Namibie, puisque la notion juridique de génocide remonte à 1948. Avec cette logique, on pourrait aussi dire que la Shoah n’était pas un génocide du point de vue juridique, ce qui est absurde! » Son organisation se bat aussi pour que les ossements de victimes abrités dans des musées allemands soient enfin inhumés dignement en Namibie. Certaines « collections » sont toujours à la disposition des scientifiques.
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