Un an de Covid, épisode 5: le jour où les espoirs de déconfinement ont été douchés
Une phrase a suffi. Elle a été prononcée par Pedro Facon, au début du comité de concertation, vendredi 26 février, et a reporté tous les espoirs d’assouplissement des mesures d’au moins une semaine.
Il y a un an, le 2 mars 2020, l’ensemble des autorités belges se réunissaient pour établir une stratégie commune face à un virus peu connu. Une autre époque, certains disent un autre monde : Sophie Wilmès était Première ministre, Maggie De Block ministre de la Santé, et personne n’osait vraiment croire que ce qui se produisait déjà en Italie du Nord pouvait se reproduire en Belgique. Un an plus tard, le gouvernement fédéral a changé, Alexander De Croo le dirige, des ministres se sont disputés, des politiques ont affronté des experts, deux vagues ont déferlé et 22 000 personnes sont décédées. En cinq épisodes, redécouvrez cette année comme aucune autre.
La semaine avait commencé comme toutes les autres pour Alexander De Croo. Elle se terminerait par le comité de concertation de vendredi, et dimanche, Frank Vandenbroucke avait tracé un chemin: il n’y en aurait, disait-il, aucun.
Il y en avait en fait un, il passait par la campagne de vaccination, marchait sur des données épidémiologiques coincées sur un inquiétant plateau, et donnait sur une forme de libération, certains parlaient même de retour à la liberté. Les choses, cette semaine, devaient bouger, et Alexander De Croo le savait. Et comme chaque semaine de comité de concertation, il devrait contenir des offensives. Alors, le lundi, il convoqua une conférence de presse sans en avertir ses vice-Premiers francophones, pour faire présenter une modélisation mathématique qui décomptait les semaines jusqu’à la victoire.
La versoepelbrigade
La veille, Alexander De Croo avait, comme à chaque semaine de Codeco, invité les ministres-présidents au 16, rue de la Loi, dans la grande salle du Conseil des ministres, pour discuter de mesures en plusieurs paquets: en mars la réouverture des métiers de contact, l’extension de la bulle en extérieur de quatre à huit personnes, le retour de l’enseignement supérieur au présentiel partiel. En avril et mai, des ouvertures graduées de la culture, du sport, puis de l’Horeca. La victoire était au bout de ces semaines. Mais les plus pressés voulaient la voir surgir en jours. Alors les pressés pressèrent. Mais les pressions vinrent de là où Alexander De Croo ne s’y attendait pas. Le mercredi, un président de parti francophone allégua l’absurdité de la bulle de un, qu’il dit n’avoir pas toujours respectée. Soudain, joyeux, Alexander De Croo se dit « Bouchez! » – c’était Nollet. L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme. Désormais, alors que pointait la fin de la bataille, les écologistes avaient piqué aux libéraux la bannière de la versoepelbrigade.
Alexander, doit-on vraiment aller avec toi à la conférence de presse, si c’est pour ne rien annoncer?
Le vendredi, à 7 h 30, un kern réunit le Premier et ses sept vice-Premiers. On discute toujours de ces paquets, et de ce qu’ils contiennent tussen haakjes, et Georges Gilkinet insiste pour élargir la bulle à l’intérieur, et accélérer le rythme prévu des réouvertures. « Si tu veux un troisième lockdown dans trois semaines, c’est ça qu’il faut faire », lui répond Alexander De Croo. A neuf heures, le kern se termine, et chacun se prépare à sa bagarre de l’après-midi, les uns pour remplir les paquets de mars et avril de dispositions libératoires, les autres pour les en vider. Mais les principes généraux sont acquis, pour la bulle extérieure, pour l’enseignement supérieur, et, pour un peu plus tard, pour les autres secteurs. En matinée pourtant, Pedro Facon, le commissaire corona, ancien conseiller de Maggie De Block, requinqué récemment d’un long burnout, transmet des données qui font peur au Premier: on a hospitalisé 200 personnes infectées au cours des 24 dernières heures.
Ces chiffres ont de quoi vider les paquets, et le Premier doit en avertir les participants au comité, prévu à 14 heures au palais d’Egmont. Il appelle les ministres-présidents et ses vice-Premiers, dans un ordre qui taquine quelques susceptibilités. Sophie Wilmès, par exemple, est avertie par Pierre-Yves Jeholet avant de recevoir le coup de téléphone de son Premier ministre. Mais tout le monde est au courant au moment où Alexander De Croo ouvre la séance du Codeco.
Dire qu’il n’y a rien à dire
Il y a deux petites bouteilles de Spa, une plate et une pétillante, devant chaque siège occupé, et De Croo cède la parole au commissaire corona. Pedro Facon est flanqué de son adjointe Carole Schirvel, et de Sophie Quoilin, du SPF Santé publique. Il redit ce qu’il a expliqué plus tôt au Premier ministre et que tout le monde sait désormais. Sophie Wilmès dit qu’elle comprend mais que l’information aurait pu leur parvenir plus tôt, et Pedro Facon que les chiffres sont arrivés quand ils sont arrivés, que c’était son devoir de prévenir le Premier et que c’est son rôle de conseiller le gouvernement dès qu’il en a la possibilité. Il revient de burnout mais il est déjà énervé.
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Alexander De Croo propose un time out d’une semaine avant de décider du chemin sur lequel on s’engage, et surtout de la vitesse à laquelle on l’emprunte. Jan Jambon dit que bien sûr, Elio Di Rupo dit qu’effectivement, Rudi Vervoort aussi, Pierre-Yves Jeholet dit que tout de même ce que le ministre de la Santé a fait dimanche et ces modèles mathématiques présentés lundi ce n’est pas très participatif comme processus décisionnel. Alexander De Croo répond qu’il n’est pas d’accord et qu’on ne pouvait pas faire autrement. Georges Gilkinet dit qu’il ne faut pas perdre l’adhésion de la population alors que c’est ce qui est en train de se passer. Alexander De Croo répond qu’il n’est pas d’accord et qu’on ne pouvait pas faire autrement, et de toute façon tout le monde est d’accord: les métiers de contact reprendront bien le 1er mars, comme prévu, mais pour le reste il faut attendre une semaine avant de décider vraiment.
Elio Di Rupo demande s’il doit vraiment participer à la conférence de presse si c’est pour ne rien annoncer. Alexander De Croo sourit. Pierre-Yves Jeholet dit que lui, il y va, et Jan Jambon aussi, comme Oliver Paasch. Alors tous les ministres-présidents quitteront le palais d’Egmont pour descendre au sous-sol du 16, rue de la Loi, et, devant toutes les caméras de Belgique, pour dire qu’il n’y a rien à dire.
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