Quatre ministres du Climat: c’est trois de trop ? (analyse)
En politique belge comme dans certains romans policiers, la clé d’une énigme paraît toujours devoir se trouver dans le nombre de personnages. Ici, des ministres. Jusqu’à ce que des enquêteurs ennuyeux fassent remarquer que la réalité est plus complexe…
Et ils étaient neuf. Neuf suspects et probablement neuf coupables. Neuf ministres de la Santé que six réformes de l’Etat avaient pourvus de compétences liées à la santé publique, comme les hôpitaux, bien sûr, mais aussi les études de médecine, ou les crèches, par exemple. Neuf ministres qui se sont rangés, au fond assez docilement, sous l’égide fédérale, sous Maggie De Block (Open VLD) puis sous Frank Vandenbroucke (Vooruit). Mais ils étaient neuf, et leur nombre a suffi à en faire la cause motrice des errements belges dans la crise du coronavirus. Le PTB notamment, qui s’est lancé dans une campagne unitariste, « We are one », en a fait une bannière. Bien sûr, plus l’enquête progresse et plus le nombre des ministres de la Santé apparaît comme marginal dans la large question de l’organisation des soins de santé, et dans celle, encore plus vaste, de l’architecture fédérale belge.
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Depuis plusieurs semaines, au Parlement, une commission mixte Chambre-Sénat de quatorze députés et quatorze sénateurs « entend dresser un inventaire objectif des difficultés liées à la répartition actuelle des compétences entre Etat fédéral et entités fédérées« , spécialement pour les matières liées aux soins de santé. Elle doit rendre des recommandations avant la fin de l’année. Les différents intervenants qui s’y sont succédé sont généreux en critiques, mais celle des neuf ministres n’a pratiquement pas été évoquée, par exemple par les mutualités, invitées le 29 octobre: le problème des réformes de l’Etat n’est pas d’avoir multiplié les ministres, mais plutôt d’avoir rendu plus complexe le travail des acteurs de la santé sans en améliorer la qualité.
Et s’ils étaient un seul? Ils étaient toujours neuf fin 2020, lorsque la réponse de la Belgique face à la deuxième vague a été saluée de toutes parts, et ils étaient tout autant neuf, au printemps-été 2021, lorsque la Belgique s’est distinguée par la vitesse avec laquelle elle a vacciné sa population. Certaines compétences formellement régionalisées en 2011 ne sont toujours pas concrètement exercées par les Régions, tant les transferts – de compétences, de législation, de fonctionnaires et de moyens – sont lents, et il n’est pas interdit de penser qu’en retransférer à l’échelon fédéral, fût-ce sous l’égide bienveillante d’un ministre unique, ne sera pas beaucoup plus rapide. La commission mixte d’évaluation, cela dit, ne risque pas d’aboutir à des conclusions révolutionnaires, aussi peu en tout cas que les précédentes, qui avaient respectivement préparé la troisième réforme de l’Etat à la fin des années 1980 et examiné les trois premières avant la quatrième, pendant les années 1990, sans qu’on puisse se dire qu’elles aient beaucoup contribué à la clarification du paysage institutionnel.
Climat d’inquiétude pour quatre suspects
Et ils étaient quatre. Quatre coupables idéaux, quatre ministres du Climat, incapables de s’accorder sur une répartition de l’effort climatique à accomplir entre Régions bruxelloise, flamande, wallonne et Etat fédéral, alors qu’a commencé, le 1er novembre, une COP26 dont tout le monde se presse à dire qu’elle est celle de la dernière chance. C’est sur la ministre flamande Zuhal Demir (N-VA), et sur son gouvernement, que se concentrent les critiques. Mardi 2 novembre, l’exécutif régional du nord du pays n’avait toujours pas pu s’entendre pour dégager des mesures supplémentaires pour lutter contre le réchauffement. Avec, ici encore, la solution sempiternelle: tout irait mieux si une seule personne décidait de tout.
La compétence climat devrait être prise en charge par le Premier ministre et les ministres-présidents.
Paul Furlan (PS).
Et s’ils étaient un seul? Ils sont en effet nombreux à estimer que ces matières devraient être pilotées depuis l’étage fédéral. Alexander De Croo (Open VLD), vice-Premier ministre du gouvernement Michel l’avait évoqué dès l’été 2016, en marge de la fête de la Communauté flamande. Deux ans plus tard, Sophie Wilmès (MR), déjà ministre mais pas encore Première, cosignait avec plusieurs influents camarades de parti une carte blanche appelant à des « refédéralisations », et évoquait spécifiquement le climat. « Climat, énergie, mobilité, commerce extérieur, santé, les possibilités de refédéraliser ne manquent pas », expliquaient les signataires. « Alors que la COP21 battait son plein à Paris, nos quatre (!) ministres du Climat – pour un pays de 30 000 km2, rappelons-le – peinaient à se mettre d’accord sur les futures ambitions climatiques de la Belgique », déploraient-ils.
L’accord de coopération, dit « burden sharing », signé par les ministres Marie-Christine Marghem (MR) pour le fédéral, Céline Fremault (CDH) pour la Région bruxelloise, Paul Furlan (PS) pour la Région wallonne et Joke Schauvliege (CD&V) pour la Région flamande, avait en effet été signé in extremis, début décembre 2015, afin que Charles Michel (MR) puisse s’en prévaloir à la tribune parisienne de la COP21, après qu’une première version ait été, depuis les bureaux de Jan Jambon (N-VA), vice-Premier ministre, et de Geert Bourgeois (N-VA), ministre-président flamand, retoquée. « De vrais accords climat de cette envergure, il n’y en avait pas eu avant nous, et il n’y en aura plus après, vous verrez », se souvient Paul Furlan, mi-suspect mi-détective, qui estime « qu’il serait plus simple et plus efficace que les objectifs et les trajectoires soient fixés par l’échelon fédéral. Et c’est un régionaliste convaincu qui vous le dit: après la fixation des objectifs, le niveau régional peut être plus efficace pour mettre en oeuvre les politiques adéquates. »
En outre, la compétence climat en tant que telle n’a, en Belgique, aucune existence constitutionnelle officielle: ce sont des matières comme le logement, la mobilité, l’énergie, l’aménagement du territoire ou l’agriculture qui ont été partiellement ou totalement cédées aux Régions. « C’est pour cela qu’un seul ministre ne pourrait être compétent pour tout », ajoute Paul Furlan. Il estime « qu’une solution intermédiaire serait que le Climat soit entre les mains des chefs de gouvernement, le Premier ministre et les ministres-présidents. Ils sont les seuls à pouvoir imprimer des politiques de manière vraiment transversale: moi, après l’accord sur le « burden sharing », je suis allé me faire engueuler dans mon propre gouvernement parce qu’on faisait trop d’efforts par rapport aux autres, et puis devant notre propre parlement, parce qu’on n’en faisait pas assez… »
Dire qu’il suffirait qu’un seul ministre soit en charge du climat pour que nos objectifs soient remplis, c’est une réponse un peu trop facile »
Céline Fremault (CDH).
« La politique de lutte contre le réchauffement concerne tellement de domaines qu’il ne faudrait pas un seul ministre du Climat pour la Belgique, mais que tous les ministres belges soient ministres du Climat », résume Jean-Marc Nollet (Ecolo), ministre wallon de l’Energie entre 2009 et 2014, qui se souvient de collègues « plutôt plus alignés à l’époque qu’aujourd’hui. Notre homologue flamande Freya Van den Bossche (Vooruit) nous répétait que la Flandre ne voulait juste pas aller aussi loin que nous, en Wallonie. » C’est pourquoi les projets inaboutis de loi spéciale climat, portés notamment par Ecolo, ne prévoyaient pas de vraiment refédéraliser les compétences, mais de donner au fédéral le pouvoir de fixer les objectifs de réduction des émissions, et d’assurer leur suivi.
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« Il me semblait idiot d’avoir régionalisé les politiques de l’énergie, et cela vaut aussi pour le climat », ajoute Marie-Christine Marghem, qui a pu mener cinq ans d’enquête au ministère fédéral de l’Energie et du Climat. « Quand il arrive que les intervenants, par hasard ou par miracle, parviennent à trouver un compromis, c’est malgré le système, et pas grâce à lui. Mais après cet accord difficile sur le « burden sharing », je me rappelle de plusieurs réunions avec Jean-Luc Crucke (MR), Bart Tommelein (Open VLD) et Céline Fremault (CDH), où les ministres régionaux de l’Energie m’avaient assez violemment prise à partie parce que j’avais posé le constat qu’il nous faudrait peut-être envisager de prolonger notre production nucléaire, dès lors que les Régions ne décarbonaient pas assez leur production énergétique. »
« Mais dire qu’il suffirait qu’un seul ministre soit en charge du climat pour que nos objectifs soient remplis, c’est une réponse un peu trop facile », objecte Céline Fremault, qui se demande si le Premier ministre aurait pu annoncer des objectifs plus ambitieux si ce seul ministre du Climat avait été, au hasard, Zuhal Demir. « Je suis la preuve vivante, avec mes collègues, que des accords climatiques sont possibles, puisqu’on avait fini par en obtenir, quand bien même nous étions quatre à table. Et même un peu plus que quatre: les chefs de gouvernement, au fédéral et en Flandre, étaient très attentifs… Mais cela dit, je suis favorable depuis des années à la création d’une agence interfédérale pour le climat », dit-elle.
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Le mobile? L’argent…
La Région flamande se trouvait, déjà alors, moins encline à promettre des efforts. D’une part parce que les prospères activités économiques qu’elle héberge – particulièrement autour du port d’Anvers – pourraient se voir menacées par une transition trop brutale, et d’autre part parce qu’elle s’y sentait moins financièrement contrainte que ses voisines plus pauvres. « Les financements européens liés aux droits d’émission arrivent sur un compte fédéral, et ils ne peuvent être reversés aux Régions que lorsque celles-ci se sont mises d’accord. On avait besoin de cet argent, en Région bruxelloise, pour mettre en oeuvre toute une série de mesures d’isolation ou d’installations photovoltaïques: ce sont des dizaines de millions d’euros qui dormaient sur ce compte », ajoute encore Céline Fremault, qui présidait la conférence interministérielle sur le climat, et qui se remémore « ces six semaines de réunions jour et nuit et de pressions de toutes parts, y compris de la mienne: j’avais dit que je n’irais pas me ridiculiser à Paris si nous n’avions pas un accord, ça avait eu son petit effet, et il n’a pas fallu une réforme de l’Etat pour ça », ironise l’humaniste. Sans livrer elle non plus, donc, ce coupable pourtant idéal de tous les romans politiques belges.
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