Mission royale de Magnette et de De Wever: dans le silence des échanges
Chargés d’une mission royale, Paul Magnette et Bart De Wever sont censés troquer une réforme de l’Etat contre des avancées sociales. Mais pour ça, il va falloir convaincre d’autres partis, qui ne veulent ni de l’une, ni des autres…
Comme chargé sur un pendule, le silence s’échange drôlement. Lorsque les » rois mages « , Georges-Louis Bouchez (MR), Egbert Lachaert (VLD) et Joachim Coens (CD&V) faisaient mine de travailler à la constitution d’une coalition » Arizona « , à laquelle personne ne crut, à part ceux qui voulaient y croire, ils laissèrent Paul Magnette, président du PS, dans un silence qui se voulait inquiétant. Il n’inquiéta que ceux qui avaient envie de s’inquiéter, à savoir les socialistes tentés par une alliance avec la N-VA.
Les » rois mages » s’y étaient trouvés avant ça, dans le silence, par le travail de Paul Magnette lui-même qui, avec Conner Rousseau, président du SP.A, avait longtemps laissé sans nouvelles Egbert Lachaert en particulier, que la peur de l’opposition aurait dû définitivement désolidariser de la N-VA. Elle ne désolidarisa que ceux qui avaient envie de se désolidariser, à savoir les libéraux tentés par une alliance sans la N-VA.
Et ils s’y retrouvent après ça, dans le silence, les » rois mages « , mais aussi les autres présidents de parti, désormais que Bart De Wever et Paul Magnette ont reçu du roi Philippe la mission de discuter pour former un gouvernement fédéral. Ils feront un rapport intermédiaire le vendredi 31 juillet.
Ils ont repris la charge des » rois mages » en la faisant éclater, Paul Magnette et Bart De Wever. Ils discutaient tous les deux, avec Conner Rousseau, en parallèle et en silence depuis un petit temps, et, une fois intronisés, ils ont passé leur première semaine de mission à ne pas donner de nouvelles à leurs homologues. La reprise en main, l’adoubement par le Palais, puis le silence : Bart De Wever et Paul Magnette se sont surtout occupés, cette première semaine, d’humilier des homologues qui ont le tort de présider de plus petits partis que les leurs tout en ayant infiniment plus de pouvoir qu’eux, puisque leurs trois formations dirigent le gouvernement.
Le silence a été rompu pendant le week-end du 25 juillet. Contact a été repris. Georges-Louis Bouchez et Egbert Lachaert ont été invités mardi, au siège de la N-VA, pour se voir présenter les premiers résultats des discussions entre socialistes et nationalistes. Les verts n’avaient, mardi 28, pas encore été invités, eux. Le silence leur est plus lourd.
Avaler le mirifique
Les termes de leur échange sont connus.
Bart De Wever et Paul Magnette travaillent à un grand accord institutionnel troqué contre de mirifiques avancées sociales. Depuis un an et demi, c’est ce que Bart De Wever dit, par médias interposés, à Paul Magnette.
Les mirifiques avancées sociales, tout le monde les connaît. Elles étaient dans le programme électoral pour lequel Paul Magnette s’est battu : le retour de l’âge légal de la pension à 65 ans, une taxation plus juste des gros revenus et des gros patrimoines, la pension minimum à 1 500 euros net, le salaire minimum à quatorze euros de l’heure, entre autres.
La N-VA a certes promis qu’elle serait plus sociale, et la crise du coronavirus a rendu légitime la dépense publique, mais Paul Magnette les obtiendrait que ça ne serait considéré que comme un maigre minimum pour avoir renoncé à ce qu’il avait promis depuis si longtemps, à savoir de ne pas gouverner avec la N-VA. Mais Paul Magnette ne peut pas obtenir moins. Ces conquêtes sont le prix de son renoncement.
L’avantage de ces éventuelles conquêtes c’est qu’après tout beaucoup de partis, en Belgique francophone, en seraient heureux. Ecolo les avait dans son programme électoral aussi. Le PTB itou. Le CDH n’y verrait pas grand inconvénient. DéFI non plus.
Le seul que ça embêterait, ça serait le MR.
Mais il paraît que la N-VA échangerait volontiers un grand accord institutionnel contre de mirifiques avancées sociales. Et le président du MR, Georges-Louis Bouchez, répète depuis novembre dernier qu’il faut, pour » assurer la stabilité du pays « , que s’entendent séparatistes flamands (vingt-cinq sièges) et socialistes francophones (dix-neuf sièges) et flamands (neuf sièges). Donc si la N-VA avale cette révision du programme économique de la suédoise, que le CD&V (douze sièges) l’avale aussi, que le CDH (cinq sièges) vient grignoter avec, le MR (quatorze sièges) devrait bien finir par se résoudre à déglutir lui aussi, avec son frangin de l’Open VLD (douze sièges). Avec dégoût, le nez pincé, sans doute, et certainement au prix d’une ou deux douceurs fiscales, mais il devrait finir par emboucher cette mixture sociale. Surtout qu’une fois que les septante sièges socialistes, démocrates-chrétiens et nationalistes seront rassemblés, il ne faudrait plus en trouver que cinq pour disposer à la Chambre d’une majorité appuyant ces mirifiques avancées sociales telles que les briguent les socialistes qui espèrent que ces négociations avec la N-VA aboutiront. Les derniers bureaux du PS ont démontré qu’il y en a, et le G9 tenu ce lundi 27 juillet également.
Le deuxième terme
Tout irait bien donc pour Paul Magnette et Bart De Wever si, dans un échange, il n’y avait pas deux termes.
Or, le deuxième terme de cet échange entre socialistes et nationalistes, face aux mirifiques avancées sociales, c’est le grand accord institutionnel. Bien sûr, dans l’expression » grand accord « , il y a le mot » accord « , et c’est ce à quoi les deux présidents, Paul Magnette et Bart De Wever, se sont engagés à travailler. Ils se sont donné cinquante jours pour voir si s’accorder était possible.
Mais dans l’expression » grand accord « , il y a aussi le mot » grand « . Et ils ont beau être deux à se dire que quelques mirifiques avancées sociales valent bien un grand accord institutionnel et vice versa, ils ont beau être les présidents des deux plus grands partis de Belgique, l’un flamand, l’autre francophone, à deux, ils sont encore beaucoup trop petits.
Pourtant, ils ont commencé à prendre ce chemin tout seuls. Ils veulent se mettre d’accord et puis associer ceux qui seraient susceptibles de s’associer. On n’a jamais vu ça dans toute la longue histoire des six réformes de l’Etat.
En 2010-2011 comme avant, on a toujours bien veillé à associer les autres susceptibles de s’associer. C’est un indispensable prérequis. La base de la base. En 2010, Elio Di Rupo a toujours associé tout le monde, et a d’ailleurs toujours évité de ne négocier qu’avec la N-VA, lui. Il est parvenu à boucler une réforme de l’Etat engageant huit partis, dont deux n’étaient même pas au gouvernement. En 2000, Guy Verhofstadt a toujours associé tout le monde, dont un parti qui n’était même pas au gouvernement. En 1992, Jean-Luc Dehaene a toujours associé tout le monde, dont trois partis qui n’étaient même pas au gouvernement. En 1989, Jean-Luc Dehaene, qui fut formateur mais pas Premier ministre, a toujours associé tout le monde. En 1980, Wilfried Maertens a toujours associé tout le monde. En 1970, Gaston Eyskens a toujours associé tout le monde. Cet entêtement associationniste n’est pas une maladie belge. C’est une évidence constitutionnelle. Pour faire une réforme de l’Etat, il faut convaincre beaucoup de monde.
Il faut s’accorder à la majorité simple sur une liste d’articles à réviser dans la Constitution, et puis il faut dissoudre le Parlement et convoquer des élections anticipées et puis voter les nouveaux articles à une majorité des deux tiers. C’est extrêmement compliqué et ça ne se négocie pas à deux partis qui se donnent cinquante jours pour réussir.
Ou alors on peut toujours voir ce qui est faisable dans les dispositions législatives modifiables avec une majorité spéciale, comme par exemple pour en finir avec le régime des facilités, dont lalibre.be écrivait, dimanche 26 juillet, que la N-VA l’envisageait. La modification d’une loi spéciale ne demande pas la dissolution du Parlement, mais, numériquement, c’est encore plus exigeant que pour réviser un article de la Constitution : il faut non seulement deux tiers des parlementaires qui le veuillent, mais il faut aussi, en plus, recevoir l’assentiment de la moitié de chaque groupe linguistique à la Chambre.
Faire ce que personne ne veut faire
C’est donc au moins aussi extrêmement compliqué qu’une révision de la Constitution. Et, dans tous les cas, cela demande d’associer des partis susceptibles de s’associer à la conclusion d’un grand accord institutionnel.
Cela demande d’associer les autres.
Or les autres, pour le moment, ils sont à rien. Ils ont attendu une semaine, ruminant leur humiliation, préparant leur réplique. Car on ne leur dit rien mais ils connaissent les termes de l’échange.
Et ils n’ont rien à gagner à conclure un grand accord institutionnel qui ne sera, au mieux, qu’un petit arrangement superficiel.
En Flandre, les autres pourraient accepter de s’associer à un grand accord institutionnel, même s’ils n’avaient rien demandé : aucun des partis démocratiques flamands n’avait une réforme de l’Etat à son programme électoral, mais l’idée qu’il faut plus de Flandre et moins de Belgique domine le débat public.
Mais en Belgique francophone, aucun autre ne pourrait vouloir s’associer à un petit arrangement superficiel, surtout qu’ils n’avaient rien demandé : aucun des partis démocratiques francophones n’avait une réforme de l’Etat à son programme électoral, et l’idée qu’il faut plus de Belgique et moins de Flandre domine le débat public.
Tous les programmes électoraux francophones, ceux avec lesquels les candidats se sont présentés aux élections, ceux pour lesquels vous avez voté, celui avec lequel le même Paul Magnette qui est censé avec Bart De Wever échanger un grand accord institutionnel contre de mirifiques avancées sociales, s’est présenté aux élections, s’opposaient à une réforme de l’Etat.
Le PS ne voulait pas d’une réforme de l’Etat. Certains y plaident désormais pour certaines refédéralisations, et d’autres pour certaines régionalisations, mais rien dans son programme n’allait dans aucun de ces deux sens.
Le MR ne voulait pas d’une réforme de l’Etat. Certains y plaident désormais pour certaines refédéralisations, et d’autres pour certaines régionalisations, mais rien dans son programme n’allait dans aucun de ces deux sens.
Ecolo ne voulait pas d’une réforme de l’Etat. Certains y plaident désormais pour certaines refédéralisations, mais rien dans son programme n’allait dans ce sens.
Le CDH ne voulait pas d’une réforme de l’Etat. Certains y plaident désormais pour certaines refédéralisations, mais rien dans son programme n’allait dans ce sens.
DéFI ne voulait pas d’une réforme de l’Etat. Certains y plaident désormais pour certaines refédéralisations, mais rien dans son programme n’allait dans ce sens.
Mais Paul Magnette et Bart De Wever mènent une mission censée associer une majorité de ces derniers à leur intiative.
Le choix de Lachaert
Eux deux pourraient tous les deux se mettre d’accord sur un échange de mirifiques avancées sociales contre un grand accord institutionnel. Mais comme même la N-VA sait qu’elle ne trouvera pas en cinquante jours une majorité pour le sceller, un petit arrangement superficiel précéderait le grand accord institutionnel. Certaines compétences – la justice, la police, voire les soins de santé, par exemple – seraient déjà scindées en deux (ou trois, si les négociateurs wallons se rappellent qu’existe Bruxelles) départements, dotés de budgets avantageux pour les francophones. Et ceux parmi ces derniers qui s’associeraient à ce petit arrangement superficiel s’engageraient à discuter d’un grand accord institutionnel dès la prochaine dissolution, qui pourrait intervenir avant 2024.
Mais il n’y a pas beaucoup de francophones susceptibles de s’associer à ce petit arrangement superficiel.
Il y a le PS, bien sûr, prêt à le faire en échange de mirifiques avancées sociales. Il y a le CDH, peut-être, prêt à le faire en échange par exemple d’un refinancement de la justice qu’il réclame depuis longtemps. Mais à part eux, et encore, il n’y a personne.
Ecolo ne veut en aucun cas gouverner avec la N-VA.
DéFI non plus.
Et le MR ne veut en aucun cas gouverner en avalant simultanément de mirifiques avancées sociales et un grand accord institutionnel. Il perdrait tout dans l’avalement des deux termes de l’échange. Ses sept ministres fédéraux, sa volonté de gouverner avec la N-VA pour ne pas négocier de grand accord institutionnel tout en enregistrant de mirifiques avancées fiscales, son plaisir diffus d’être au centre du jeu et de tout contrôler sans vraiment le mériter, sa dignité, tout.
Georges-Louis Bouchez devrait donc assez vite régurgiter son refus de s’associer à cet échange.
Il fera tout pour que son parti frère en fasse autant. Il reste moins de dignité, et de ministres fédéraux, à un Open VLD qui, lui, n’est pas hostile à un petit arrangement superficiel préalable à un grand accord institutionnel : un seul des deux termes de l’échange le dérange.
Egbert Lachaert devra donc choisir.
Si Egbert Lachaert accepte les termes de l’échange associant socialistes belges et séparatistes flamands, la charge de Paul Magnette et de Bart De Wever aura fait éclater les libéraux belges.
Et si Egbert Lachaert refuse les termes de l’échange associant socialistes belges et séparatistes flamands, les libéraux belges auront fait éclater la charge de Paul Magnette et de Bart De Wever.
Egbert Lachaert et Georges-Louis Bouchez pourront alors retrouver ce plaisir diffus d’être au centre du jeu et de tout contrôler sans vraiment le mériter.
Alors, ils devront poser les termes d’un nouvel échange.
On parierait bien qu’ils le poseront avec les verts, cette fois, qui n’ont encore été associés à rien, qui ne veulent en aucun cas gouverner avec la N-VA, et dont pour le moment personne ne parle.
C’est que dans le silence se nouent parfois de drôles d’échanges.
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