Formation fédérale: retour étape par étape sur une crise politique interminable
Multiples missions royales, un gouvernement minoritaire de pouvoirs spéciaux soutenu de l’extérieur pour gérer la crise du coronavirus, puis une reprise progressive des négociations… Plus d’un an après les élections, la formation d’un gouvernement fédéral fait trois pas en avant, un pas en arrière. Avant, enfin, le dénouement? Retour, étape par étape, sur une crise politique qui semble de plus en plus interminable.
Didier Reynders (MR) et Johan Vande Lanotte (sp.a) : le déminage des « sages »
Informateurs du 30 mai 2019 au 7 octobre 2019.
Leur mission était « d’objectiver les grands défis qui sous-tendent la formation du prochain gouvernement » et « voir quelles solutions sont possibles ». Ils sont choisis non pas pour les résultats électoraux de leurs formations respectives, mais en tant que « sages » de la politique belge et personnalités ayant déjà occupé cette tâche. Ils reçoivent tous les présidents de partis en mesure de jouer un rôle pour la formation du gouvernement fédéral. Dès le 6 juin, ils excluent la possibilité de former un gouvernement fédéral avec le Vlaams Belang ou le PTB. Le cdH fait savoir qu’il choisira l’opposition dans toutes les entités. Le 1er juillet, le roi les charge de rédiger une note en vue de discussions de préformation, une mission qui permettra également de passer l’été politique au calme.
On avance: à la fin de leur mission, Vande Lanotte et Reynders suggèrent de passer le flambeau aux deux plus grands partis de chaque côté de la frontière linguistique : le PS et la N-VA. Les informateurs jugent qu’il n’est pas impossible de trouver un terrain d’entente, même s’ils n’y sont pas parvenus. À ce stade, il reste quatre autres partis en lice: le MR, le CD&V, l’Open Vld et le sp.a. Et le CD&V ne compte clairement pas y aller sans la N-VA, le premier parti de Flandre, indique dès le lendemain Koen Geens.
Rudy Demotte (PS) et Geert Bourgeois (N-VA) : l’essai « PS-N-VA »
Préformateurs du 8 octobre 2019 au 4 novembre 2019.
Leur mission est de rassembler socialistes et nationalistes autour d’une même table, malgré les exclusives pré-électorales de chacun. Le roi les charge d’examiner « les bases concrètes en vue de la formation d’un gouvernement fédéral autour de leur parti respectif, et ceci avec les quatre autres partis impliqués dans les discussions ». N’étant pas les deux figures de proue des deux partis, cette mission est aussi l’occasion de gagner du temps et d’envoyer des signaux aux partenaires.
C’est l’échec. Au vu de l’impossibilité d’une entente gouvernementale entre le PS et la N-VA, ils demandent au roi d’être déchargés de leur mission.
Paul Magnette (PS) : changement de cap
Informateur du 5 novembre 2019 au 9 décembre 2019.
On repasse à une phase d’information, qui signifie un retour en arrière dans l’élaboration d’une future coalition gouvernementale. Le temps presse: 13 jours, soit le délai le plus court depuis le début du processus. Il rencontre les autres partis qui ont jusqu’à présent participé au processus (MR, CD&V, Open Vld, sp.a) ainsi que les partis écologistes. Une coalition dite « arc-en-ciel » rassemblant les socialistes, les écologistes et les libéraux, auxquels se joindrait éventuellement le CD&V, dispose d’une majorité à la Chambre mais pas dans le groupe linguistique néerlandophone. Or, pour le CD&V et l’Open Vld, c’est un obstacle. D’autant que le CD&V privilégie toujours une option avec la N-VA.
Ça patine. Après avoir travaillé sur les convergences et les thématiques prioritaires pour les différents partis, Magnette souhaite que chacun « prenne ses responsabilités ». Le scénario « arc-en-ciel » complété par le CD&V et/ou le cdH est sur la table. Mais à ce stade, le CD&V et certaines personnalités de l’Open Vld estiment qu’il faut envoyer au front la N-VA. Cependant, les propos de Bart De Wever lors de sa visite chez le roi (« bouillie arc-en-ciel » et « faire passer le goût avec un solide dentifrice flamand ») n’en font pas le successeur idéal.
Georges-Louis Bouchez (MR) et Joachim Coens (CD&V) : tentative de renouveau
Informateurs du 10 décembre au 31 janvier.
La mission est toujours la même, mais avec le regard de présidents de partis fraîchement élus. C’est la première fois depuis les élections qu’un CD&V est aux commandes. S’ils comptent tenir compte du travail effectué par leurs prédécesseurs, ils écartent rapidement l’option « arc-en-ciel » et l’option « bourguignonne » (N-VA, socialistes et libéraux). Ils envisagent une solution « au centre », notamment avec la coalition dite « Vivaldi » (socialistes, libéraux, écologistes, CD&V et éventuellement cdH). Une fuite de la note, plutôt axée centre-droit, provoque les réactions des autres partis. Si la N-VA semble enthousiaste, c’est loin d’être le cas des socialistes. La note aux accents de droite laisse entendre qu’ils – surtout du côté Flamand – veulent toujours la N-VA à bord.
On tourne clairement en rond. Après une consultation royale de plus d’une heure le 13 janvier, preuve que la situation est complexe, le souverain leur demande de « clarifier » les positions de chacun. Notamment après les déclarations de Bart De Wever sur une volonté d’une politique plus sociale du prochain gouvernement lors du Nouvel An de la N-VA. Le 28 janvier, après plus de quatre heures (un record!) chez le roi, le duo est, une fois de plus, prolongé d’une semaine pour « vérifier certains éléments et déposer leurs conclusions finales ». Mais la mission de Bouchez et Coens est écourtée 4 jours à l’avance.
Koen Geens (CD&V): l’heure du choix
Du 31 janvier au 14 février.
Lire aussi : Pourquoi le CD&V se cramponne-t-il à la N-VA ?
Mission: prendre les initiatives nécessaires permettant la mise en place d’un gouvernement de plein exercice. Il travaillera sur la base du rapport des informateurs précédents. Il a répété plusieurs fois par le passé qu’il fallait une coalition avec une majorité en Flandre, c’est-à-dire impliquant la N-VA. Mais tenter, une fois de plus, de marier PS et N-VA n’est-il pas vain?
L’échec est total. Il remet sa démission au roi le jour de la Saint-Valentin, quelques heures après des déclarations de Paul Magnette écartant tout accord futur avec la N-VA. Une nouvelle mission écourtée. Il explique qu’il travaillait sur une note de base avec divers éléments socio-économiques. Il voulait rencontrer toutes les parties concernées, mais « ce processus a été contrecarré par des déclarations claires d’une partie – et je pense que c’est définitif – qu’elle ne veut pas s’asseoir à la table avec une autre partie ». En d’autres termes: il était inutile de continuer sur cette voie.
Patrick Dewael (Open VLD) et Sabine Laruelle (MR): la main aux libéraux
Du 19 février à mi-mars.
Les présidents de la Chambre et du Sénat sont chargés de prendre les contacts politiques nécessaires permettant la mise en place d’un gouvernement de plein exercice. Une sorte de mission de déminage, pour calmer le jeu. Sabine Laruelle est par ailleurs la première femme à se voir confier une mission royale. Le duo a été prolongé par le roi, mais la crise du coronavirus commence à prendre de l’ampleur et force les responsables politiques à changer de stratégie.
Début de la crise sanitaire: l’échec d’un gouvernement d’urgence PS/N-VA
Au début de la crise du coronavirus en Belgique, l’idée d’un gouvernement d’urgence circule. Le président de la N-VA, Bart De Wever, appelle à la formation d’un gouvernement d’urgence pour faire face à la pandémie de coronavirus et ses conséquences économiques. Paul Magnette (PS) envisage sérieusement l’option, malgré les promesses du passé de ne jamais gouverner avec les nationalistes flamands.
Les discussions n’avancent guère. Puis, sur VTM, Bart De Wever réclame un gouvernement provisoire d’un an, qui ne serait pas seulement limité à la gestion de la crise. Mais il ne veut pas que Sophie Wilmès garde les rênes, tandis que Paul Magnette, qui rappellait régulièrement que la N-VA venait sans cesse avec des revendications institutionnelles, ne veut pas « changer de capitaine en plein tempête. » Il finit par proposer de soutenir l’actuel gouvernement de l’extérieur.
Le coronavirus s’installe en Belgique: d’affaires courantes à pouvoirs spéciaux sur fond de crise
17 mars 2020
Le coronavirus rebat les cartes politiques et sonne la fin des affaires courantes. L’heure n’est alors plus à la formation d’un gouvernement mais à la stabilité. Crise oblige, une formule particulière est mise en place : un gouvernement minoritaire, mais de plein exercice, avec le MR, l’Open VLD et le CD&V et soutenu en externe par d’autres partis (PS, sp.a, Groen, Ecolo, cdH, Défi, N-VA). La Première ministre obtient la confiance pour six mois. Les décisions prises dans le cadre de la lutte contre le coronavirus se font ainsi en concertation avec les partis qui le soutiennent depuis l’opposition, sous forme d’un Kern élargi rassemblant les présidents des partis concernés.
La crise s’éloigne: les « renifleurs » socialistes et la « majorité relative »
De mi-mai à mi-juin 2020
La crise sanitaire commence à se calmer et le besoin d’avancer à nouveau dans la formation d’un gouvernement se fait sentir. Les deux présidents socialistes Paul Magnette (PS) et Conner Rousseau (sp.a) mènent toute une série de consultations informelles pour déminer le terrain en vue de la formation d’un futur gouvernement fédéral. Mi-juin, ils remettent un « rapport final » et suggèrent que la Première ministre Sophie Wilmès prenne la formation en mains. La proposition des socialistes : une tripartite classique, minoritaire mais « à majorité relative », avec l’appui extérieur de la N-VA ou des Verts. Mais la proposition n’emballe pas tout le monde, singulièrement les partis de l’ancienne suédoise.
CD&V, Open VLD et MR prennent l’initiative
À partir de mi-juin 2020
La Première ministre, Sophie Wilmès (MR), et les présidents des trois partis membres du gouvernement fédéral, Georges-Louis Bouchez (MR), Joachim Coens (CD&V) et Egbert Lachaert (Open VLD) prennent l’initiative. Objectif : « dégager une majorité parlementaire qui mènera une politique de soutien et de relance efficace. » Mais ils ne comptent suivre la proposition socialiste de tripartite classique minoritaire. Sur la table, la coalition dite « Arizona », qui allierait MR, Open VLD, CD&V, sp.a, N-VA et CDH. Mais des obstacles viennent mettre à mal les négocitations. Tout d’abord, difficile à dire si le sp.a est vraiment prêt à lâcher le PS, Conner Rousseau peine à imposer ses conditions. Ensuite, de nombreuses réunions annulées. Enfin, le débat sur le vote à la Chambre de la loi sur l’IVG, dont Joachim Coens veut faire une question de gouvernement. Avant d’être rejoint en ce sens par Bart De Wever.
Les présidents du MR, du CD&V et de l’Open VLD « invitent » finalement la N-VA et le PS à négocier ensemble, suspendant les travaux pour l’Arizona. Cette mise en retrait fait suite aux déclarations de Paul Magnette qui annonce « envisager de gouverner avec la N-VA » en fonction du contenu qui serait à négocier. Ces déclarations ont fait émerger « une nouvelle possibilité » dès lors que le PS « n’exprimait plus de véto » à l’encontre de la N-VA, justifie le trio.
Un nouvel essai PS-N-VA, ou le retour du Roi
A partir du 20 juillet
Après les trois « rois mages », comme ils ont été surnommés par la presse flamande, le roi Philippe est de retour dans le processus de formation fédérale, à la veille de la fête nationale. Il a, après des consultations téléphoniques avec les présidents de tous les partis impliqués dans les discussions politiques après les élections, chargé les présidents du PS, Paul Magnette, et de la N-VA, Bart De Wever, de prendre les initiatives nécessaires permettant la mise en place d’un gouvernement qui s’appuie sur une large majorité au parlement.
Selon Magnette, le temps presse: « il reste 50 jours pour trouver une solution. A défaut, il faudra convoquer de nouvelles élections. » « Il n’y a aucune garantie de succès, mais je pense que nous devons explorer cette voie, que nous devons prendre cette responsabilité », fait pour sa part savoir Bart De Wever.
S’ensuit des négociations avec ce que les médias ont appelé « le club des cinq » ou « la bulle de cinq »: N-VA, PS, sp.a, cdH et CD&V. Mais il faut une entité supplémentaire pour obtenir une « large majorité », demandée par le roi: les libéraux ou les Verts ? Si Bart De Wever annonce que « plus personne ne veut du MR », faisant un appel du pied à l’Open VLD, les libéraux persistent sur l’unité de leur famille politique. Les préformateurs ont vu à plusieurs reprises les libéraux et les écologistes, à tour de rôle, sans que rien n’en sorte de concret. Jusqu’à l’élément déclencheur: un communiqué commun publié par les écologistes et les libéraux, fatigués qu’on convoque les uns et les autres pour faire monter les enchères. Le lendemain, une réunion « glaciale » a lieu avec les libéraux, celle avec les Verts est annulée. Dans la foulée, on apprend que le duo Magnette-De Wever demandera au roi Philippe de les décharger de leur mission.
Egbert Lachaert (Open VLD): enfin un tournant?
Du 18 août au 4 septembre
Avant d’accepter la démission du duo, le roi Philippe reprend des consultations avec les différents présidents de partis. Le lendemain, il charge le président de l’Open VLD d’une mission royale pour « prendre les initiatives nécessaires permettant la mise en place d’un gouvernement qui s’appuie sur une large majorité au parlement ».
Egbert Lachaert ambitionne d’à nouveau rencontrer les différents chefs de file avec un regard neuf, sans exclusive, et avec discrétion. « Le pays se trouve dans une de ses plus graves crises depuis la Seconde Guerre mondiale », commente-t-il alors. « Nous avons besoin d’un gouvernement fort, avec un soutien large et une politique équilibrée. En période difficile, le monde politique doit surmonter ses différences d’opinions. »
Le président de l’Open VLD poursuit ensuite sa quête d’un gouvernement, sans la N-VA. Après avoir attendu le CD&V, il finit par réunir les partenaires potentiels d’une coalition Vivaldi.
Egbert Lachaert (Open VLD) et Conner Rousseau (sp.a): une Vivaldi pour le 1er octobre
A partir du 4 septembre
On avance enfin. Dans la foulée de la mission de Lachaert, le Roi le nomme préformateur, en duo avec le président du sp.a Conner Rousseau. A ce stade, sept partis poursuivent les négociations (libéraux, socialistes, écologistes et le CD&V), le cdH reste à quai.
Alors que les négociations pour finaliser la Vivaldi, et se mettre d’accord sur le casting, se poursuivent, Egbert Lachaert est testé positif au coronavirus. Des tests négatifs pour le Roi et les autres présidents de partis, une polémique autour de la quarantaine non respectée de Bouchez et on peut enfin se réorganiser.
Mais en attendant une reprise des discussions physiques, une astuce devait être trouvée pour passer la date butoir du 17 septembre, où la Première ministre Sophie Wilmès aurait dû redemander la confiance à la Chambre. Un accord est donc trouvé pour prolonger l’équipe Wilmès jusqu’au 1er octobre. Le lendemain, les sept partis confirment leur ambition de mettre en place un nouveau gouvernement pour cette nouvelle échéance. Les négociations en présentielle reprennent le 18 et la fin semble se dessiner, même s’il reste des noeuds importants, comme l’identité du futur Premier ministre.
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On y est ? C’était sans compter sur des perturbations de dernière minute. Le 21 septembre, le duo de préformateurs devait céder la main à une formateur ou une formatrice. Mais la tension est vive et un parfum d’échec plane autour de la Vivaldi. Les tensions se cristallisent autour de l’attitude de Georges-Louis Bouchez, et notamment sur ses propos tenus dans le magazine Humo. La confiance est rompue, et la tension est particulièrement vive entre libéraux francophones et socialistes flamands : Bouchez juge le MR esseulé sur les thèmes importants, le sp.a ne veut plus du MR.
Une réunion de la dernière chance a lieu au Palais d’Egmont, avant de voir le Roi, un peu plus tard que prévu. Faute de consensus, le duo présente sa démission, mais le Roi refuse et leur donne 48h pour accorder leurs violons. Mission: « rétablir au plus vite la confiance. »
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