Formation fédérale: Vivaldi, demandez le programme
Egbert Lachaert et Conner Rousseau, missionnaires royaux, travaillent à un texte sur lequel s’accorderaient les sept partis de la coalition Vivaldi. Les derniers points de désaccord, placés entre crochets, font l’objet d’âpres discussions. Dont l’identité du futur Premier ministre…
Les typographes francophones appellent ça des crochets. Un signe de ponctuation, doublé d’un autre qui, ensemble, ouvrent et ferment un espace où l’on met ce qu’on veut : [et]. Les négociateurs du gouvernement fédéral, auxquels le franglais du management n’est pas étranger, eux, appellent ça des brackets. Dans un texte à discuter, ces brackets entourent les phrases, les expressions et les mots sur lesquels les parties prenantes ne sont pas d’accord.
Dans la soixantaine de pages de la note de base – les Flamands disent startnota – que sont en train de composer Egbert Lachaert et Conner Rousseau, il restait, au début de cette semaine, une cinquantaine de ces crochets. » Dont une vingtaine ne sont que symboliques « , précise un négociateur. Celui-ci est convaincu que le vendredi 21 septembre, lorsque les présidents de l’Open VLD et du SP.A viendront faire rapport au roi, ces puissantes barrières typographiques auront disparu. Un autre estime, lui, qu’il n’y a encore que peu de certitudes : » On a zéro accord en deuxième lecture. » Un troisième se réfugie derrière l’adage éculé qui proclame » qu’il n’y a d’accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout « .
La trajectoire budgétaire, les questions migratoires et la sortie du nucléaire sont encore à fignoler.
Mais tous sont d’accord sur une chose, déjà.
Ils sont d’accord sur le fait que ces couples de crochets, posés l’un après l’autre comme les arcades d’un tunnel de montagne, indiquent un seul et unique chemin, celui de la Vivaldi. C’est un sens unique. » Il n’y a plus de retour en arrière possible maintenant. Et la N-VA nous fait tellement de merdes chaque jour que même sans aucun programme commun, on serait tous forcés d’y aller « , souffle-t-on parmi les crocheteurs en quarantaine.
Ces crochets forment un premier cercle très large, dans lequel tout le monde a dû entrer, puis un second plus petit qui n’empêche pas d’avancer, puis un troisième plus petit aussi qui force tout le monde à se serrer, puis un autre et encore un autre, ils sont toujours plus petits, ceux qui y sont entrés sont toujours plus serrés, et, à la fin, il ne reste qu’une petite embouchure, dont sortira une première tête, à franchir. Les brackets, en fait de tunnel, encerclent plutôt un entonnoir, où ont été déversés sept partis forcés de s’entendre.
L’IVG au frigo
Le premier des cercles de l’entonnoir, celui sans le bouclage duquel le CD&V n’aurait jamais voulu s’engager dans ce scénario de la Vivaldi, porte sur la législation sur l’avortement. Lundi 7 septembre au matin, Joachim Coens, président du CD&V, avait d’ailleurs entamé son bureau de parti en déclarant la Vivaldi » sous pression « . Il était très en colère : la startnota reçue la veille, tard dans la soirée, ne prenait pas en compte la position démocrate-chrétienne sur cette question. Il avait vainement tenté de joindre Egbert Lachaert, le lundi à l’aube, et se croyait alors floué.
Depuis Joachim Coens a été rassuré : le document envoyé dans la nuit contenait une version de ce chapitre issue d’un précédent tour de table, auquel le CD&V n’avait pas participé… En l’état actuel des discussions, la libéralisation de l’interruption volontaire de grossesse sera bien reportée par l’installation prochaine de la coalition Vivaldi. La commission Justice de la Chambre relancerait un cycle de consultations, et les chefs de groupe à la Chambre des sept partis de la majorité seraient chargés de s’entendre, à l’unanimité, sur un nouveau dispositif législatif. Ce qui dote le CD&V d’un veto sur le sujet tout en le privant, définitivement, d’une raison de rebrousser le chemin de la Vivaldi.
Second anneau, la trajectoire budgétaire veut être tracée par des libéraux, flamands en particulier, qui savent qu’il leur faudra concéder aux socialistes le dynamitage de la mission De Wever-Magnette et aux écologistes une prime de compagnonnage pour avoir aidé à la dynamiter. C’est donc par l’angle budgétaire qu’Egbert Lachaert et Georges-Louis Bouchez souhaitent cadrer les ambitions sociales d’un exécutif qui, avec cinquante députés rouges et verts, penchera plutôt à gauche. » La dette d’aujourd’hui ce sont les impôts de demain « , a répété, dimanche 13 septembre, en congrès virtuel, Georges-Louis Bouchez. » On s’est mis enfin d’accord sur les données de base, il y a discussion pour savoir si on mise plutôt sur des efforts spécifiques ou sur un objectif, entre une obligation de moyens et de résultats « , pose un négociateur, pas enclin à lâcher de chiffres. Cinglant des efforts ou des objectifs, les crochets devraient s’effacer d’autant plus aisément que la performance budgétaire du très libéral gouvernement de la suédoise n’a pas brillé par sa fiabilité, et que la crise du Covid autorise en cette matière à peu de certitudes : les projections du Bureau du Plan comme de la Banque nationale alternent de révision profonde en modification substantielle.
Personne ne réclame plus le retour de l’âge légal à 65 ans.
Sous les crochets suivants, les dispositions à mettre en oeuvre en soins de santé et la sécurité sociale seront évidemment tributaires de la trajectoire budgétaire fixée. 500 millions d’euros seront affectés à refinancer la justice, la police et les pompiers. Il semble acquis que la norme de croissance théorique du budget des soins de santé, qui plafonnait formellement à 1,5 % sous la suédoise, sera haussée à 2,5 %, conformément aux besoins établis de longue date par le Bureau du Plan… et à l’accord qu’avaient noué Bart De Wever et Paul Magnette cet été. L’automaticité de la dotation d’équilibre de la sécurité sociale, par laquelle le budget de l’Etat comble un éventuel déficit, serait réintroduite… mais sans que l’on ne sache comment serait trouvé, dans les caisses de l’Etat fédéral, l’argent éventuellement nécessaire. Aucun des intervenants ne s’oppose plus vraiment à l’augmentation de la pension minimum – les 1 500 euros net d’ici à 2024 figuraient déjà dans la note commune de Bart De Wever et Paul Magnette -, ni à la hausse des allocations les plus basses – la déclaration de politique générale du gouvernement Michel, en 2014, les avait vainement promises à la hauteur du seuil de pauvreté. Renouveler cet engagement ne coûtera rien. Le réaliser sera plus cher. Personne, en revanche, ne réclame plus le retour de l’âge légal de la pension à 65 ans.
D’anneau serré en anneau serré, les marges disponibles pour de nouvelles mesures en économie se réduisent. Les libéraux ne devraient guère obtenir de puissantes réductions d’impôts, d’autant moins que le précédent du tax- shift, non financé, ne cadre pas avec les très économes ambitions budgétaires que veut imposer Egbert Lachaert. En retour, la fiscalité sur le capital et sur les grosses fortunes ne devrait pas se voir alourdie : l’écriture de quelques vagues généralités aidera à l’effacement de ces brackets. La loi sur la compétitivité de 1996, qui limite les augmentations de salaire, serait réinterprétée à travers des circulaires, laissant davantage d’espace de négociation aux interlocuteurs sociaux. Davantage, mais peu. Le resserrement des possibilités de prépension, et l’absence de la moindre mention sur les réductions collectives du temps de travail finiront de frustrer les organisations syndicales.
Ferme et humaine ?
L’anneau institutionnel voit s’opposer ceux qui veulent inscrire l’ensemble des articles de la Constitution à révision pour la prochaine législature, et ceux qui n’en verraient que deux : le 35e, celui qui répartit les compétences entre Etat fédéral et entités fédérées, et le 195e, qui établit la procédure de révision de notre charte fondamentale. La seconde hypothèse contraint presque à une substantielle réforme après 2024, la première force à lancer de très vastes discussions dès aujourd’hui.
Le 16, rue de la Loi devrait se jouer entre Alexander De Croo, Paul Magnette et Sophie Wilmès, qui n’est pas favorite.
Les crochets ceignant le chapitre migratoire avaient déjà été desserrés à l’automne… 2019, lorsqu’une mission de préformation conduite par Paul Magnette, avait déjà vu verts et bleus s’accorder sur une ligne directrice générale, posant la Belgique » du bon côté de l’histoire « , selon la formule de Charles Michel après sa signature du Pacte des Nations unies sur les migrations. Des critères clairs, » transparents et objectifs » pour des régularisations individuelles étaient annoncés dans la note de novembre 2019, joints à une » procédure d’éloignement juste, humaine et efficace, respectueuse des droits fondamentaux « . Entre crochets encore aujourd’hui toutefois, l’enfermement de mineurs dans des centres fermés, régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, garante desdits droits fondamentaux… De même, une première ébauche de consensus entre bleus et verts, partenaires les plus éloignés sur ces thèmes, avait déjà été établie autour de l’ environnement pendant la première mission Magnette. Les objectifs à atteindre (55 % de réduction des gaz à effet de serre d’ici à 2030) ne se discutent plus. Reste la question de la fermeture des centrales nucléaires, que les libéraux refusent et que les écologistes réclament. Plusieurs mécanismes de compensation sont encore à l’examen. Ceux-là sont bien placés pour être parmi les derniers crochets à devoir s’effacer.
Le plan de relance, dont chacun clame depuis des mois qu’il est d’une brûlante urgence, n’est ni en crochets ni en débat dans la note que fignolent Conner Rousseau et Egbert Lachaert. » On n’y trouvera que des constats généraux, fondés notamment sur les consultations que mène Sophie Wilmès depuis plusieurs semaines « , explique un négociateur, qui prévoit, comme tout le monde, que les derniers anneaux de l’entonnoir seront traversés dans les prochaines heures et qui n’évoque pas ce plan de relance par hasard. Car du bout de l’entonnoir ne devra d’abord sortir qu’une tête, et cette tête sera celle du formateur que désignera le roi, une fois la mission d’Egbert Lachaert et Conner Rousseau terminée. Ce formateur sera appelé à s’installer au 16, rue de la Loi. L’actuelle locataire, Sophie Wilmès, n’est pas la plus proche de l’embouchure, que se disputent Alexander De Croo et Paul Magnette. Qu’elle échoue à la franchir en premier, et elle pourrait alors se voir confier la confection et la mise en oeuvre de ce plan de relance, comme vice- Première du gouvernement [Magnette ou De Croo].
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici