Maisons de repos: les 4000 morts qu’on aurait dû éviter (enquête)
Dans les maisons de repos et de soins, trois quarts des infectés par le Covid n’ont montré aucun symptôme. Ils n’ont donc pas été isolés, ni soignés avec les précautions requises et ont transmis la maladie à d’autres résidents. Conséquence : jusqu’à 4000 morts.
Elles sont incontestables : ce sont les données que publie l’institut officiel de santé publique, Sciensano, assisté des Régions : 74,8 % des personnes effectivement positives au Covid-19 ne présentaient aucun symptôme au moment du test entre la mi-mars et la mi-mai. Explications : alarmés par une première étude ponctuelle qui, dès la mi-mars, établit qu’une personne sur six est infectée dans les MRS (maisons de repos et de soins), les autorités décident de faire un testing systématique sur les résidents et personnels. Pour cette campagne de masse, les tests ont été distribués par les autorités régionales, donnant la priorité aux établissements avec un nombre plus élevé de cas suspects. Des écouvillons nasopharyngés (prélèvement par le nez) et oropharyngés (prélèvement par la gorge) ont été collectés auprès des résidents et du personnel et envoyés pour des tests PCR en temps réel dans des laboratoires présélectionnés à travers le pays. 280 427 personnes ont ainsi été testées, la moitié des résidents et l’autre des employés. L’âge médian était de 42 ans pour le personnel et de 85 ans pour les résidents.
Résultats terrifiants
Et les résultats, publiés discrètement dans la revue scientifique médicale The Lancet, sont terrifiants, parce qu’ils montrent qu’en ne testant d’abord que les personnes présentant des symptômes, faute de capacité suffisante de test, les autorités de santé ont » raté » trois quarts des personnes contaminantes, qu’il aurait fallu isoler. L’étude montre que 74,8 % des personnes effectivement positives au Covid-19 ne présentent en effet aucun symptôme au moment du test. Elles n’ont donc pas été isolées dans une partie spécifique de l’établissement, et pouvaient ainsi contaminer d’autres résidents ou d’autres membres du personnel qui ne prenaient pas de précautions particulières.
Les mesures de précaution n’ont pas été prises
Or, jusqu’à présent, il y a eu près de 5 000 morts dans les MRS. Cette étude montre que les trois quarts des personnes infectées n’ont pas reçu les soins adéquats. Cela signifie que l’incurie des autorités, qui manquaient alors cruellement de capacité de testing, alors que l’OMS demande de tester depuis mi-février, a vraisemblablement coûté près de 4 000 vies. Si on les déduit du nombre total des décédés du Covid, car on peut raisonnablement penser que si on avait pris des mesures d’isolement et de désinfection, ils n’auraient pas été contaminés, on tombe à un chiffre de 6 000 morts en Belgique. Ce qui nous met dans la moyenne des pays occidentaux et plus dans le peloton de tête de la mortalité… CQFD.
Selon les scientifiques de Sciensano, » cette analyse d’un grand nombre de tests montre une forte proportion de cas asymptomatiques. La proportion d’infections au Sras-CoV-2 qui étaient asymptomatiques variait de 20 % à 88 % de la population testée dans les autres études disponibles. Le risque de sous-détection des symptômes, bien qu’atténué par l’évaluation médicale, persiste. Des charges virales similaires ont été signalées entre les cas symptomatiques et asymptomatiques permettant la transmission et la propagation du virus. Dans les MRS, les porteurs asymptomatiques du virus pourraient représenter un important moteur de transmission. Pour limiter la propagation du Sras-CoV-2 dans les établissements résidentiels fermés, nous répétons l’importance d’appliquer largement des mesures de prévention et de contrôle des infections à grande échelle tant que l’épidémie se poursuit « .
Pour le professeur Yves Coppieters, épidémiologiste à l’ULB, » il ne fait pas de doutes que les deux mois que nous avons perdus avant de lancer le dépistage de masse ont eu un prix fort pour les patients, et particulièrement pour les plus sensibles et les plus vulnérables. Une partie notable de cette surmortalité est à attribuer directement aux retards pris au début de la crise, notamment en matière de dépistage et de tests. On voit aujourd’hui que le virus parvient à se renforcer, alors même que l’isolement continue d’être imposé, notamment dans les homes, alors qu’on pratique les gestes barrières et le port du masque. Cela signifie que sa progression est très sournoise. Et qu’il faut continuer à être ultravigilant, moins de 10 % de la population étant immunisés par des anticorps à ce coronavirus « .
» De nombreux nids de poules «
» Hélas, l’hypothèse que plus de 3 000 patients soient décédés à cause du retard pris entre fin janvier et la mi-mars se tient. Il faut toutefois nuancer, car on ne sait pas, et on ne saura sans doute jamais combien de ces patients positifs au Covid-19 ont effectivement développé des symptômes importants ou sont effectivement décédés. Le nombre de victimes est donc nécessairement une fraction de ces milliers de tests positifs. Certes, dans l’autre sens, on ignore combien de ces infectés, qui jusque-là s’ignoraient, ont pu contaminer d’autres proches qui ont pu déclencher la maladie plus tard et en décéder. Un phénomène évidemment plus important dans les homes, vu les caractéristiques des résidents et le caractère clos des lieux « , commente Yves Van Laethem, professeur d’infectiologie à l’ULB et porte-parole interfédéral de la lutte contre le coronavirus. » On a manqué de tests, de tigettes de frottis, de réactifs. On est donc tombés dans de nombreux nids de poules tandis que le système allemand a semblé rouler comme sur un billard et a sauvé beaucoup de vies. Il est frappant d’apprendre qu’il y a eu davantage de décès en Belgique qu’en Allemagne. Il est peut-être temps de se dire que reconstruire une usine qui produit des réactifs à moins de cent kilomètres de nos grandes villes ne serait pas une mauvaise idée. Cependant, il faut se garder d’appliquer une vision en noir et blanc aux responsabilités dans cette crise. Les choses sont plus souvent gris clair et gris foncé. Il y a eu des malentendus, des maladresses, des batailles d’ego, des « tirages à soi ». Sans doute comme dans tous les pays touchés par cette crise « , conclut le porte-parole interfédéral.
L’importance des formes asymptomatiques a été trop longtemps négligée dans notre pays.
» Cette étude prouve définitivement l’importance d’un dépistage à large échelle des sujets asymptomatiques dans les zones où de nouveaux cas surgissent. C’est dès maintenant que nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter une deuxième vague.Le port du masque et la distanciation sociale sont sans nul doute nécessaires mais ils ne suffisent pas. A l’instar de ce qui se fait dans plusieurs pays, des campagnes de dépistage massif doivent être mises en place dans les villes et régions où de nouveaux cas se concentrent. En France, par exemple, plus de 300 000 personnes vont être testées sur base volontaire dans la région de la Loire où six nouveaux foyers sont réapparus récemment. C’est ainsi que l’on pourra contenir le virus là où il se fait oublier et d’où il risque de resurgir avant que la vaccination ne produise ses effets « , expose le professeur Michel Goldman, immunologue à la tête de l’Institut I3h (ULB) et membre de l’Académie royale de médecine.
Tests à grande échelle
» L’importance des formes asymptomatiques a été trop longtemps négligée dans notre pays. Multiplier le nombre de tests comme cela a été fait, c’est bien. Mais encore faut-il les déployer de manière rationnelle et organisée, en l’expliquant au grand public « , ajoute-t-il. Il souligne aussi l’intérêt du projet de l’université de Liège où les étudiants seront testés régulièrement avec de nouveaux tests simples et rapides, réalisés sur la salive plutôt que des frottis nasopharyngés désagréables. » Le développement à large échelle de ces tests rapides vient d’être défini comme prioritaire dans le programme mondial lancé à l’initiative de la Commission européenne. Je suis convaincu que le jour viendra où chacun pourra se les procurer en pharmacie « , conclut Michel Goldman.
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