Les cinq bombes à retardement de la gestion de la crise en Belgique
L’heure reste à l’urgence sanitaire, mais la gestion de notre pays est loin d’être parfaite et les sujets s’accumulent sur la table d’une future commission d’enquête parlementaire.
Voilà notre pays montré du doigt sur la scène internationale. Le nombre de morts est important chez nous, proportionnellement à la population globale. Le quotidien français Libération épingle ce mardi un bilan « qui s’aggrave très vite » et Philippe Laurent, ancienprésident de la Croix-Rouge, souligne dans un texte que nous avons publié que « notre bilan n’est pas brillant : au classement mondial des pays qui connaissent le plus de décès par rapport à la population, la Belgique se classe troisième derrière l’Italie et l’Espagne ».
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Morts par habitants en Europe : le bilan de la Belgique s’aggrave très vite https://t.co/nwrJGnadUi pic.twitter.com/3YueRXf7EI
— Libération (@libe) April 14, 2020
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Tout cela s’explique en partie par une transparence complète des données, incluant aussi les morts suspectes non diagnostiquées Covid-19. Mais certains s’inquiètent d’ores et déjà de la mauvaise image que cela véhiculera de notre pays. Et si l’urgence consiste à éviter une relance de l’épidémie pour en « limiter » le bilan autour des 7000 morts (selon les experts), on ne peut s’empêcher de pointer du doigt les critiques qui s’accumulent sur la table d’une future commission d’enquête parlementaire. Parce qu’elles sont nombreuses.
Le manque d’anticipation
Lorsque Le Vif.be s’était interrogé sur ce taux élevé de décès chez nous, fin de la semaine passée, nous mettions déjà en exergue une comptabilité particulièrement minutieuse. Yves Coppieters, professeur en épidémiologie à l’ULB, pointait aussi du doigt les mesures prises en début d’épidémie. « Plus on prend en charge l’épidémie tôt, plus on dépiste systématiquement, plus on isole rapidement les gens, plus la mortalité diminue, expliquait-il. La mortalité un peu lourde en Belgique est malheureusement toujours liée à ce léger retard et à la mauvaise gestion dans le démarrage de l’épidémie. » Comme si nous nous avions toujours un temps de retard…
Théoriquement, en outre,au moins deux plans existaient pour mettre en garde contre la possibilité d’une pandémie et imaginer ce qui devait être fait pour en limiter l’impact. Un plan belge en cas de pandémie grippale en 2006 et un avis du comité bioéthique en 2009 insistaient déjà sur la nécessité de la recherche, des masques, des tests… En dépit de cela, la réaction des autorités belges a donné, par moment, le sentiment d’une grande improvisation. Même si le recours à de nombreuses expertises a donné le sentiment que la situation était bien maîtrisée.
S’ajoute à cela le débat au sujet du financement de la sécurité sociale et du passif laissé par le gouvernement Michel (et par ses prédécesseurs) qui aurait fait souffrir toute la sécurité sociale.
La saga des masques
Ce fut sans aucun doute l’aspect le plus visible des atermoiements politiques dans la gestion de la lutte contre le coronavirus : la pénurie de matériel médical de protection, singulièrement les masques. Des premiers marchés publics foireux à une livraison de trois millions de masques inutilisables en passant par l’effarante destruction de stock de guerre par l’actuelle ministre de la Santé, Maggie De Block, sans le remplacer, nous sommes passés par les épisodes les plus invraisemblables. Le marché est, il est vrai, sous pression en raison du caractère mondial de la pandémie et du comportement cow-boy de certains Etats, mais cela ne suffit pas à expliquer l’inconsistance belge dans ce domaine. Et la question n’est toujours pas résolue, en dépit de la création de filières de production nationales.
Un autre sujet pourrait s’ajouter au premier : celui des recommandations faites au plus haut niveau en matière du port du masque par la population. Depuis le début, la ministre répète que cela n’était pas nécessaire – en vertu des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais aussi parce que cela risquerait de donner un sentiment exagéré de protection nuisible pour la distanciation sociale. Des experts se sont insurgés. Ce week-end, l’Académie de médecine a plaidé en faveur du port du masque. Et demain, lors de sa nouvelle réunion, le Conseil national de sécurité devrait cette fois affirmer que c’est une voie à suivre. D’étonnants retournements de vestes…
La trop lente progression des tests
« Testez, testez, testez… » Depuis le début de cette crise planétaire, l’OMS ne cesse de répéter ce leitmotiv. En Belgique, la capacité de tests a été très en-dessous des besoins, jusqu’il y a une semaine encore, suscitant de vives critiques de la part des partis qui soutiennent le gouvernement fédéral de l’extérieur. Alors que le gouvernement fédéral promettait une capacité de 10000 test par jour, on restait loin du compte. La situation se régularise peu à peu, grâce notamment à la créativité d’universités belges, mais un déconfinement devrait à tout prix s’accompagner d’un testing massif. Et l’on n’oubliera pas les épisodes pour le moins curieux qui ont jalonné, là aussi, la gestion de crise, quand le ministre de l’Intérieur, Pieter De Crem, avait saisi par erreur des réactifs pour180.000 tests, de peur qu’ils partent à l’étranger alors que ces produits étaient à destination de…l’Université de Namur.
https://twitter.com/catherinefonck/status/1248559437327065089Catherine Fonckhttps://twitter.com/catherinefonck
3679 tests #covid19 réalisés sur 24h alors que le #begov promet une capacité de 10000 tests/j depuis le 26/3…Avec des directives de testing des autorités tjrs hyper strictes. C’est incompréhensible. Les besoins sont criants. Il est urgent d’élargir les directives de testing! https://t.co/7m4gBPM76A
— Catherine Fonck (@catherinefonck) April 10, 2020
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Les mesures trop laxistes
Ce n’est pas – encore ? – un sujet de récrimination, mais le caractère somme tout « laxiste » du confinement à la belge au regard de ce qui s’est fait en Chine, en Italie, en Espagne ou en France… pourrait surgir si le bilan était effectivement important. Là-bas, on a arrêté de façon bien plus drastique l’activité économique ou on a limité les promenades extérieures de façon bien plus stricte. « Si un jour notre courbe épidémique recommence à monter, je pense qu’il faudra envisager des mesures plus strictes, soulignait encore ce matin le désormais célèbre épidémiologiste Marc Van Ranst (KUL), furieux du relâchement constaté dans le respect des mesures. J’ai appelé ça ‘le style Wuhan’, mais j’aurais dû appeler ça ‘le style parisien’, ça me semble un peu moins effrayant. En France, on a un confinement nettement plus strict qu’en Belgique. »
Les maisons de repos oubliées
C’est « le » grand sujet des derniers jours : les maisons de repos donnent l’impression d’avoir été les grandes oubliées de la gestion de la pandémie et le bilan y est très lourd. « Les maisons de repos et de soins se sentent délaissées par les autorités, écrivions-nous fin de semaine dernière. Manque de matériel, personnel en sous-effectif et pas assez testé, résidents non hospitalisés… la situation s’aggrave de jour en jour. » Depuis, la situation a été prise à bras-le-corps – enfin – et les tests se multiplient… mais un peu tard.
S’il salue la prise de conscience, remarquable singulièrement en Wallonie ou l’action de la ministre de la Santé, Christie Morreale (PS), est unanimement saluée, Luc Vandormael, président de la Fédération des CPAS wallons, cite… John Lennon pour dénoncer les manquements en tous genres constatés depuis le début de la crise : « La vie c’est ce qui arrive pendant que vous prévoyez autre chose « . « Lors de la crise H5N1, beaucoup de précautions ont été prises, argumente-t-il. Le cap a été passé sans trop de dommages. A posteriori, certains ont estimé que l’on en avait trop fait. Cela ne vaut pas seulement en Belgique. Ainsi, en France, la Ministre de la Santé d’alors, Roselyne Bachelot fut copieusement brocardée. Avec le Covid-19, un mouvement de balancier a joué. Clairement, les risques n’ont pas été anticipés, voire sous-estimés. La non-reconstitution du stock fédéral en est l’illustration la plus frappante. Notre devoir est, pour l’immédiat, de permettre une résilience solidaire et humanitaire. Le temps de la critique sur les responsabilités n’est pas pour maintenant. La crise passée, la question de l’anticipation d’un possible nouveau péril sanitaire devra être débattue et les leçons tirées.«
Ajoutez à cela que la gestion de crise par la Première ministre Sophie Wilmès, louée dans un premier temps, commence à être critiquée en Flandre et vous concluerez vous aussi que les lendemains politiques risquent de susciter de vives tensions.
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