Les chiffres du coronavirus en baisse ? « On est davantage sur un plateau que sur une baisse franche »
Depuis plusieurs semaines, Sciensano a changé la communication du bilan de l’épidémie de coronavirus : des tendances sur 7 jours, et non plus des chiffres quotidiens. Comment analyser ces chiffres et où en est vraiment la transmission en Belgique ? On fait le point.
Durant la période la plus forte de l’épidémie, Sciensano communiquait quotidiennement le bilan du coronavirus en Belgique : nombre de nouveaux cas, décès rapportés, personnes admises à l’hôpital et en unité de soins intensifs. Avec la diminution de la propagation du virus dans notre pays, l’institut de santé publique a décidé de changer sa méthode de communication : plus de chiffres jour par jour, mais bien des tendances exprimées sur la semaine écoulée.
Ce qui a changé
Les chiffres quotidiens sont toujours disponibles, mais l’institut recommande de ne pas utiliser les derniers quatre derniers jours, non consolidés. De plus, ils ne sont plus exprimés de la même manière. Avant, ils étaient donnés par jour de rapportage, mais pouvaient indiquer des cas ou décès des jours précédents. Aujourd’hui, ils sont exprimés en fonction de la date à laquelle les décès ont eu lieu.
Un changement de méthode qui peut dérouter les analystes, mais aussi le citoyen. Comment savoir où en est l’épidémie en Belgique lorsqu’on change de méthode en plein processus ? La comparaison, déjà, a changé : on ne compare plus à ce qui se passait la veille, mais à la situation de la semaine d’avant. Un changement qui se justifie notamment par des chiffres plus petits, et donc plus vite changeants. « Cela permet de mieux objectiver l’évolution de l’épidémie, indépendamment des fluctuations des chiffres journaliers », argumente Sciensano sur son site.
Moins de fluctuations, mais avec quelques jours de retard
« C’est vrai qu’entre le lundi et le mardi par exemple, cela peut vite fluctuer, donc l’ancienne méthode pouvait donner de mauvaises impressions. Je peux comprendre que l’on compare à la semaine d’avant, ça peut être plus significatif », commente Nicolas Vandewalle, statisticien et physicien à l’ULiège. « C’est plus compliqué à interpréter quand on travaille avec des petits chiffres comme c’est le cas maintenant, car dès qu’il y a quelques variations importantes, cela se marque directement dans la tendance« , confirme de son côté le professeur en épidémiologie Yves Coppieters (ULB).
Obtenir les chiffres quotidiens n’est cependant pas aussi simple qu’au plus fort de l’épidémie. Yves Coppieters, qui a eu contact avec Sciensano sur le sujet, nous le confirme : « Les chiffres semblent tellement faibles au jour le jour que les laboratoires ne rapportent plus les cas tous les jours. Vu la dynamique à la baisse de l’épidémie, ils font un rapport tous les 2-3 jours. Avec ces retards, ou des notifications en bloc, cela n’a pas de sens de donner des chiffres tous les jours. C’est pour cela qu’ils préfèrent lisser leurs données sur 7 jours. »
C’est aussi pour cela que Sciensano déconseille d’utiliser les données des 4 derniers jours, qui ne sont pas consolidés. Nous n’avons donc plus une photographie d’un instant, comme avant, mais une tendance qui s’exprime avec quelques jours de retard. Une prudence dans les chiffres qui n’est pas nouvelle : « Dans les bilans journaliers, on a toujours eu des données légèrement erronées. Cela provenait des hôpitaux qui tardaient à donner des cas par exemple. C’était corrigé par après », nous confirme Vandewalle.
Derrière une « tendance à la baisse », un plateau à surveiller
Avec sa nouvelle méthode, Sciensano veut des chiffres plus précis, à long terme, et moins sensibles aux changements. Mais l’analyse des chiffres quotidiens est quand même significative. « Il est intéressant d’avoir les deux : la tendance de 7 jours pour voir si c’est à la hausse, en plateau ou à la baisse, mais aussi les données quotidiennes. Avoir les chiffres des 24 heures précédentes est aussi un indicateur de la dynamique de l’épidémie, qui montre par exemple s’il y a un foyer ou s’il y a un changement en nombre absolu », précise Yves Coppieters.
Depuis plusieurs semaines, l’institut présente les tendances comme étant en baisse constante, parfois -3% par rapport à la semaine précédente, parfois -7%. Mais quand on regarde les chiffres quotidiens du mois écoulé, on a l’impression qu’on est davantage sur un plateau depuis un mois que sur une baisse franche. « Je suis surpris qu’on dise que ça soit tout le temps en baisse. Ce que je constate, c’est que ça se stabilise. On a atteint une sorte de plateau », analyse Nicolas Vandewalle. Une stabilisation de la transmission, que confirme la tendance communiquée ce mercredi matin par Sciensano (avec une moyenne de 85 nouveaux cas par jour), qui n’est pas surprenante, mais qui doit quand même attirer notre attention. « C’était attendu, le virus ne disparait pas d’un coup. On doit pouvoir le contrôler. L’épidémie est toujours bien contrôlée en Belgique, ce qui est positif. Mais il ne faut pas s’étonner d’avoir une espèce de ‘bruit de fond’ continu, avec de nouveaux cas tous les jours. »
Une communication risquée ?
Le virus circule toujours, même si les chiffres paraissent faibles. D’autant qu’ils sont sous-estimés par rapport au pourcentage réel de personnes infectées. « Les chiffres par jour ne sont que des cas confirmés par test. Il y a toujours des asymptomatiques, et dont potentiellement transmetteurs », analyse Yves Coppieters. Les chiffres n’isolent, en effet, que les personnes qui sont symptomatiques et qui font la démarche d’aller se faire dépister. Or, toute personne présentant des symptômes similaires à ceux du Covid-19 ne le fait pas. « Si on prend cela en compte, on a au moins le double, si pas le triple, de transmetteurs par jour dans la population. On ne peut pas dire que le virus ne circule plus : il circule faiblement et de manière constante, mais il est toujours là. »
Derrière les « tendances à la baisse » de Sciensano, il est donc intéressant de se pencher sur les chiffres bruts. Car il ne faudrait pas créer la confusion chez le citoyen, à l’aube de vacances, et lui faire penser que le feu est vert et qu’il ne doit plus observer les gestes barrières. « La tendance à la baisse est juste, c’est la réalité des chiffres. Mais les gens pourraient en effet confondre tendance à la baisse et nombre absolu de cas par jour. Ce message répétitif à la baisse amène à croire que la transmission n’est plus là alors qu’elle est quand même assez constante, confirme-t-il. Un avis que partage Nicolas Vandewalle : « Il y a toujours eu une communication dans le but de rassurer les gens. Mais l’excès d’optimisme peut produire l’effet inverse. Il faut garder les gestes barrière. Les experts alertent régulièrement en disant de rester vigilant. »
Une stratégie pour les retours de vacances
« Ma plus grosse crainte, c’est le retour des vacances en Belgique », poursuit-il. Dans tous les pays voisins, notamment la France, il y a aussi cette espèce de ‘bruit de fond’. « En France, il est d’ailleurs plus élevé que chez nous. Il ne faudrait pas réimporter de nouveaux cas, le danger est là. »
Pour Yves Coppieters, l’heure n’est pas encore à l’inquiétude à condition d’avoir une stratégie claire en matière de retours de vacances, notamment de zones à risque. « Certains vacanciers sont déjà sur le point de rentrer en Belgique. Il faut une stratégie claire. Pour moi, il faut tester systématiquement les personnes symptomatiques voire leur entourage, et peut-être même asymptomatiques, et isoler les malades. Mais une quarantaine à tout prix – comme l’envisagent certaines régions du pays – avant de faire le test, ça n’a aucun sens. À ce stade-ci, pour surveiller l’épidémie, il faut avant tout se baser sur le testing et le tracing. » Un testing qui ne peut se faire que moyennant un élargissement des critères donnés par Sciensano pour pratiquer les tests.
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