« Le nombre de décès causés par le coronavirus est sous-évalué en Belgique »
Les chiffres officiels concernant la (sur) mortalité en Belgique sont disponibles pour le début de la période épidémique. Ils indiquent une sous-estimation de la mortalité causée par le coronavirus par les autorités belges.
Sciensano a mis à jour la semaine dernière son « monitoring de la mortalité » (Belgium Mortality Monitoring). L’Institut de Santé publique y communique les chiffres officiels de la mortalité nationale. Après analyse de ces données qui commencent à couvrir la période épidémique, on constate que, loin d’avoir surévalué le nombre de décès causés par le coronavirus, les autorités belges l’ont, au contraire, sous-évalué.
Les chiffres publiés indiquent clairement et sans surprise, une surmortalité à partir de la mi-mars, soit le début de l’épidémie dans notre pays. Cette surmortalité augmente au fur et à mesure des jours.
Dans son rapport de « surveillance de la mortalité (toutes causes confondues) basée sur les données du Registre National », Sciensano nous apprend que depuis le début de l’épidémie, le nombre de décès en Belgique augmente de manière significative, avec 2.540 décès pour la semaine du 16 mars (semaine 12 dans le tableau ci-dessous). Ce qui représente 265 décès supplémentaires (+11,6%) en comparaison avec la même période des cinq années précédentes.
On observe 3.172 décès toutes causes confondues pour la semaine du 23 mars (semaine 13), soit un excès de mortalité de 41%. Entre le 16 et le 29 mars 2020 (semaines 12 et 13), 1.188 décès supplémentaires sont comptabilisés par rapport à ce qui était attendu sur base des 5 dernières années (dont 641 décès supplémentaires chez les 65-84 ans et 481 décès supplémentaires chez les plus de 85 ans).
Depuis le 1er février 2020, la moyenne journalière des décès continue à augmenter avec 341 décès par jour en Belgique, et 190 décès, 110 décès et 34 décès respectivement en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles.
Concernant les décès en maisons de repos, « ils augmentent chaque semaine et dépassent déjà largement la moyenne des décès des années 2012 à 2016 », ajoute l’Institut de santé publique.
Une surmoralité à partir de la mi-mars
En analysant ces chiffres de la mortalité avec les chiffres officiels des décès communiqués par les autorités sanitaires au cours de ces dernières semaines d’épidémie, on se rend compte d’une sous-évaluation des morts causés par le coronavirus en Belgique.
« Le constat est assez simple : d’une année à l’autre, pour la même période, le nombre de décès est remarquablement stable, à moins qu’une circonstance particulière comme la grippe ou le coronavirus survienne. On peut alors par simple soustraction estimer la surmortalité due à l’agent pathogène« , explique le Dr Philippe Laurent, épidémiologiste, ancien président de MSF et Directeur de la Croix Rouge qui a déjà réalisé de précédentes estimations de la crise sanitaire sur notre site.
Ainsi, pour la semaine du 16 au 22 mars, on observe pour toute la Belgique, une surmortalité de 265 personnes. Or, Sciensano ne comptabilise « que » 174 personnes décédées en maisons de repos ou dans les hôpitaux à cause du Covid-19. 81 personnes supplémentaires sont pourtant décédées cette semaine-là.
Pour la semaine du 22 au 29 mars la surmortalité est de 923 personnes alors que 709 personnes sont décédées du Covid-19. La sous-évaluation est donc estimée à 204 personnes. Enfin, pour la semaine du 30 mars au 5 avril, soit avant le pic des décès, la surmortalité était de 1700. Or, quelque 1376 personnes sont décédées du coronavirus, soit une sous-évaluation de 324 personnes. Ces chiffres de cette dernière semaine doivent, en outre, être consolidés. Ils pourraient donc encore être revus à la hausse.
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629 morts « inexpliqués »
L’indice de la surmortalité est, a priori, plus fiable que le bilan journalier donné par les autorités sanitaires pour mesurer l’impact de la crise sur la mortalité. Il s’obtient en observant l’ensemble des morts recensés dans le pays, toutes causes confondues, et en comparant ce chiffre au nombre de morts attendus chaque semaine. Le calcul est basé sur les chiffres de mortalité des années précédentes. Seul bémol à cette analyse : il faut minimum deux semaines pour que 95 % des décès soient recensés.
« On a maintenant à disposition des chiffres corrects pour analyser avec un peu de recul et de manière plus sereine la surmortalité causée par le Covid-19 dans notre pays« , nous explique le Dr Philippe Laurent. Pour ce dernier, loin d’avoir surévalué le nombre de décès, les autorités belges l’ont, au contraire, sous-évalué, et cela, de l’ordre de 28% sur les semaines observées.
Le Dr Laurent s’est ainsi attelé à quelques analyses chiffrées basées sur le dernier rapport hebdomadaire épidémiologique de Sciensano. « Durant ces trois semaines couvrant le début de l’épidémie, du 16 mars au 5 avril, le nombre de décès dus au coronavirus officiellement déclaré par les autorités du pays est de 2.259. Or, selon le baromètre de la mortalité belge, il y a eu sur cette période 2.888 morts supplémentaires, soit une différence de 629 morts.«
Pour le docteur Philippe Laurent, ces personnes supplémentaires sont bien mortes à cause du coronavirus. « Je ne vois aucune autre raison possible. D’ailleurs la montée de la courbe de surmortalité épouse la courbe de montée du virus. Il n’y a aucun doute. » Le Dr Laurent ajoute : « Il peut s’agir de personnes décédées à leur domicile sans diagnostic ou, en plus faible quantité, de victimes collatérales de la crise comme des patients cancéreux qui décèdent prématurément, car leurs soins sont ralentis. »
Certaines victimes du Covid-19 passent donc sous les radars. Le bilan de l’épidémie dans notre pays est en réalité plus meurtrier qu’annoncé. « Nous avons passé le pic de mortalité en Belgique. On va vers les 8.000 morts officiels auxquels il faudra apporter le coefficient correcteur de 28%, ce qui nous amènera à plus de 10.000 morts« , estime le professeur Laurent.
« Ces chiffres montrent l’importance de l’épidémie en Belgique, entre autres, pour envisager un déconfinement dans les différentes régions. Ils évolueront encore jusqu’à la fin de l’épidémie et seront alors définitifs. La Belgique reste malheureusement mal placée et la tendance ne sera pas à l’amélioration, car sa courbe de décès évolue moins favorablement que dans les autres pays. L’écart va encore se creuser », conclut le Dr Laurent.
« Si ces données sont déjà proches ou supérieures au maximum des hivers précédents, il s’agit bien de chiffres préliminaires, « qui devront être complétés (2 à 3 semaines d’attente pour obtenir une exhaustivité de plus de 95%) », précise, de son côté, l’Institut de santé publique.
Les banques de données nationales de la mortalité reliée à Eurostat devraient aussi donner leur verdict dans les semaines à venir.
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