La Belgique, pieds et poings liés à son baromètre: « On va peut-être être le dernier pays européen à tout rouvrir »
Les annonces de levée de restrictions sanitaires s’enchainent un peu partout au quatre coins de l’Europe, alors que le taux des contaminations au Covid ne semblent pas descendre. Une suppression des mesures sanitaires est-elle envisageable chez nous ? Le Vif fait le point avec l’épidémiologiste Yves Coppieters et le politologue Vincent Laborderie.
Le Royaume-Uni, l’Irlande, le Danemark et bien d’autres pays d’Europe: tous ont décidé d’alléger, voire de supprimer totalement, les restrictions sanitaires en vigueur dans leur pays. Un rétropédalage qui se multiplie sur le Vieux Continent, et qui donne des idées à certains politiciens belges.
Dans le journal Le Soir de ce jeudi, le ministre fédéral de la Mobilité Georges Gilkinet (Ecolo) n’a pas hésité à donner son point de vue sur une éventuelle levée des restrictions sanitaires. Selon le vice-premier écologiste, il faut donner « toutes les libertés aux Belges le plus vite possible » maintenant que le pic du variant Omicron est passé. Pour l’instant, seul dans son combat, il pourrait tenter de convaincre quelques partenaires politiques durant les réunions préparatoires du prochain Codeco.
Mais est-ce vraiment raisonnable, en tenant compte du fait que le sous-variant BA.2 arrive en Belgique et que les admissions à l’hôpital continuent d’augmenter ? Pour l’épidémiologiste Yves Coppieters, il est « bien sûr possible d’envisager de lever des mesures, mais cela devrait être progressif de toute manière. La Belgique ne peut pas se permettre un relâchement trop rapide comme cela se passe au Danemark ou au Royaume-Uni. Pourquoi ? Parce que l’on n’a pas encore passé totalement la vague Omicron. »
Un baromètre arrivé beaucoup trop tard
Depuis le vendredi 28 janvier, le baromètre corona est activé dans tout le pays. Sans surprise, le code est au rouge, ce qui signifie que la situation sanitaire est grave en Belgique. Mais cet outil, censé réguler les mesures prises par le gouvernement fédéral, n’est plus à l’ordre du jour, selon Vincent Laborderie.
Pour le politologue, ce baromètre est malvenu puisqu’il arrive beaucoup trop tard et parce qu’il utilise des chiffres qui ne sont pas dynamiques, c’est-à-dire ceux des semaines précédentes sans pour autant tenir compte de la situation actuelle. « Politiquement, ils se sont un peu liés les mains avec ce baromètre. On va donc être dans quelque chose de très lent. On va même peut-être être le dernier pays européen à tout rouvrir puisqu’on a cet outil qui est un espèce de carcan. Il est utile lorsqu’on est à un rythme de croisière, mais nous sommes actuellement dans une phase de changement rapide et donc ce n’est plus pertinent. »
Bloqué par le baromètre corona, le gouvernement fédéral ne souhaiterait donc pas prendre le risque de faire marche arrière, avec comme risque de perdre une certaine crédibilité. « Mais quelle est la perte de crédibilité la plus grave ? Celle où on explique qu’on a eu tort il y a dix jours en faisant ce baromètre ou celle où l’on s’entête dans le suivi de ce baromètre ? »
Les contaminations, un indicateur encore fiable ?
En Belgique, le pic des contaminations à Omicron est en baisse, avec 9% de contaminations en moins pour la semaine du 24 au 30 janvier par rapport à la précédente. A contrario, l’occupation des lits en soins intensifs augmente. Pour Yves Coppieters, il faut surtout prendre en compte le chiffre des hospitalisations plutôt que celui des contaminations. « Les contaminations diminuent un tout petit peu depuis quelques jours, mais le nombre de contaminations n’est plus vraiment l’indicateur le plus fiable, puisque les hospitalisations continuent à être constantes avec 300-350 admissions par jour. On n’a pas encore vraiment passé le pic des hospitalisations. »
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Dans cette circonstance, réfléchir à des levées de restrictions sanitaires parait donc prématuré. Même si cela ne semble pas encore à l’ordre du jour vu les derniers chiffres de Sciensano, cette déclaration de Georges Gilkinet risque de faire grand bruit et sera certainement sur la table des négociations dans les jours ou semaines à venir. « C‘est un débat qu’on peut avoir, mais cela va être fortement conditionné par les hospitalisations. On voit qu’il y a une légère augmentation en soins intensifs. La vague Omicron n’est pas passée et on n’a pas encore tout à fait évalué les effets du sous variant BA.2″, estime Yves Coppieters.
Hospitalisations : « Il faut nuancer »
Malgré les 997 personnes hospitalisées en sept jours et une courbe qui remonte au Danemark, le gouvernement danois a malgré tout décidé de lever les mesures sanitaires ce mardi, après 548 jours de restrictions. Du coup, comment expliquer cette décision ? Si l’on prend les chiffres belges, où l’on peut aussi remarquer une augmentation du nombre de patients hospitalisés, l’indicateur de gravité reste moindre depuis Omicron par rapport aux autres variants. « Ce qu’il faut bien se rendre compte, c’est qu’on devrait mieux comprendre les nuances de l’indicateur hospitalier. On sait qu’avec Omicron, les hospitalisations sont plus courtes, c’est souvent de la surveillance. Les types et les durées d’hospitalisation sont très différents entre Omicron et Delta. »
Selon les chiffres recueillis par Yves Coppieters, 37% des séjours à l’hôpital à cause du Covid finissaient en soins intensifs avec le variant Delta, contre 11% pour Omicron. Pour l’épidémiologique, il « serait intéressant de mieux comprendre chez nous quelles sont les vraies conséquences pour l’hôpital de ces hospitalisations. Si un lit est occupé, il est en effet occupé, mais un lit occupé où il y a un besoin d’oxygène et de surveillance poussée n’est pas la même chose qu’un lit occupé pour un cas à risque qui ne reste que 24 heures. Cela ne demande pas le même niveau de soins. » Il faut également prendre en compte les infections nosocomiales, c’est-à-dire les personnes dont l’infection a été contractée lors du séjour dans l’établissement de santé.
La Belgique, un cas particulier
On le sait, la Belgique est pleine de complexités sur de nombreux sujets, et de nombreux dossiers peuvent rester en suspens très longtemps (comme le fameux dossier nucléaire). Mais dans le cas de la pandémie, il semblerait que les différents partis politiques laissent majoritairement fairece qu’Alexandre De Croo et le ministre de la Santé veulent. Une situation assez particulière, typiquement belge, selon Vincent Laborderie. « Au niveau strictement politique, il n’y a pas vraiment d’opposition sur les mesures à prendre. À part le PTB, le Vlaams Belang et parfois la N-VA, il n’y a pas vraiment de débat contrairement aux autres pays européens », indique le politologue. « Dans certains des pays les plus proactifs en termes de levée des mesures, il y a un vrai débat avec une opposition droite-gauche marquée sur le sujet. C’est le cas au Royaume-Uni et en Espagne notamment. Mais il n’y a pas ça en Belgique, à l’exception des partis « plus extrémistes ». »
Un autre point que soulève Vincent Laborderie concerne la médiatisation des experts. Énormément présents dans les médias, les experts ont une forte autorité dans le plat pays. Ils sont écoutés, mais ne sont pas toujours d’accord entre eux. « Il y a une séparation entre experts flamands et francophones. Les experts qui disent qu’il faut lever les mesures sont tous francophones, or le Premier ministre et le ministre de la Santé sont flamands. Et ils n’ont pas envie de se retrouver carbonisés dans les médias flamands parce qu’une personne comme Marc Van Ranst ferait une sortie pour dire qu’ils n’ont pas fait ce qu’il faut. »
Un risque que le gouvernement voudrait, a priori, ne pas prendre. Il faudra donc très certainement attendre encore un petit peu avant une levée radicale des mesures, comme c’est le cas notamment chez nos voisins britanniques.
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