Formation fédérale: comment le Palais a abandonné l’idée d’un gouvernement PS-N-VA (analyse)
Missionnaire royal, le président de l’Open VLD Egbert Lachaert travaille, en toute discrétion, à un gouvernement fédéral sans la N-VA. Le roi Philippe n’a pas été facile à convaincre… Il ne reste « plus » que le CD&V à faire basculer.
Nous sommes à la mi-août 2020 après Jésus-Christ. Toute la Belgique est occupée à remarquer que les indépendantistes flamands de la N-VA ne seront pas du prochain gouvernement fédéral. Toute ? Non ! Un palais pourtant peuplé d’irrésistibles belgicains résiste encore et toujours à un envahisseur qui ne veut pas des indépendantistes flamands de la N-VA. En effet, lorsque, lundi 17 août, Paul Magnette et Bart De Wever présentent leur rapport final et leur démission au roi, le Palais n’a pas perdu l’espoir, que conservent également les chrétiens-démocrates flamands du CD&V, de marier les deux plus grands partis de chaque communauté linguistique : les socialistes francophones du PS et les nationalistes flamands de la N-VA.
Lundi 17 août au soir, Paul Magnette reçoit Egbert Lachaert au boulevard de l’Empereur.
Ce lundi 17 août au matin, pourtant, la messe est presque dite, lorsqu’arrive, dans une salle à l’étage du palais royal, essoufflé d’avoir monté les escaliers qui y mènent, le roi Philippe. Il n’y croit sans doute pas encore, mais PS et N-VA ne se marieront pas. Les partis libéraux, Open VLD et MR, ne se lâcheront pas, et les verts ne gouverneront pas avec la N-VA. La « bulle des cinq » qu’évoquaient Bart De Wever et Paul Magnette reste limitée à ses 69 sièges (N-VA, PS, SP.A, CD&V et CDH). Les deux présidents n’ont pas la majorité pour convoler.
Pourtant, le roi, et avec lui son chef de cabinet, l’ancien chef de cabinet de l’actuel vice-Premier ministre CD&V Koen Geens, Vincent Houssiau, veulent encore donner aux fiancés du temps pour, quand même, y arriver. La Libre révèle qu’on envisage l’hypothèse de désigner un missionnaire qui serait chargé de recoller les morceaux entre libéraux et nationalistes flamands. Le nom d’Herman Van Rompuy est même cité par le quotidien. Soit un vieux sage du CD&V, du CVP même, pour convaincre les partis qui n’en veulent plus que la solution à laquelle seul le CD&V s’attache encore est la seule souhaitable. Après avoir vu, ensemble, les deux préformateurs, le roi Philippe s’entretient avec Joachim Coens, Conner Rousseau et Maxime Prévot – qui est en vacances et dont l’entretien se passe par téléphone. Il n’est pas contredit par des présidents respectueux de l’institution royale. Au Palais, au terme de cette journée de consultation, on croit sans doute que la « bulle des cinq » est sauvée. Voire consolidée. Pourtant, aucun de ses cinq présidents ne le pense vraiment.
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La bulle, en fait, a éclaté depuis quelques jours. « Dès le communiqué commun d’Ecolo, de Groen, du MR et, surtout de l’Open VLD, tout le monde avait compris que la mission Magnette-De Wever était en échec, et qu’inévitablement on devait trouver un gouvernement sans la N-VA. Sauf, peut-être, Egbert lui-même, qui a été surpris de la portée de ce communiqué », explique un président de parti. « Et sauf le Palais, bien sûr », en ajoute un autre. Le communiqué a été envoyé à toutes les rédactions, jeudi 13 août, en milieu de matinée. Egbert Lachaert a hésité, dit-on, jusqu’à la dernière minute, avant d’enfoncer la touche « envoyer ».
Le Palais avait été averti
Pourtant, le Palais lui-même avait été averti, par les bleus comme par les verts, que la façon dont était construite cette mission, censée troquer des régionalisations voulues par la N-VA contre des mesures sociales réclamées par le PS, la vouait à l’échec. Donc par Egbert Lachaert lui-même, que le veto de Bart De Wever à l’endroit du MR avait mis sous pression. Le jeune président de l’Open VLD prit un contact avec le Palais la veille de la remise du rapport intermédiaire de Magnette et De Wever, prolongés le samedi 8 août, pour suggérer une autre piste.
Le roi est parti en vacances tout de même.
Et il est encore sur une côte de l’Hexagone, vendredi 14 août, lorsque Bart De Wever et Paul Magnette déclarent que leur mission n’est pas accomplie, et donc qu’elle est terminée. Il propose de revenir à Bruxelles, vu l’urgence. On lui dit que c’est encore bon s’il revient pour lundi. Il reviendra le dimanche, après un week-end passé au téléphone à se demander, sans doute, comment faire pour éviter l’éclatement de la « bulle des cinq », pour la consolider et finalement pour l’élargir. Comme le veut le CD&V.
C’est pourquoi le roi ne consulte, lundi 17 août, une fois la démission de Bart De Wever et Paul Magnette actée, que les présidents des trois autres partis de la bulle : pour éviter, pour consolider, pour élargir. Et pour ça il testera, le lendemain matin, la solidité de cette si surprenante alliance entre les verts et les bleus qui a mis à bas les espoirs du CD&V.
Le soir de ce lundi, pourtant, se noue une autre alliance que celle à laquelle on rêve dans les bureaux du roi. C’est une promesse qui se signe au boulevard de l’Empereur, dans le bureau de Paul Magnette. Egbert Lachaert s’y trouve aussi. Il a besoin d’être rassuré, comme il en avait besoin avant d’envoyer ce communiqué commun. Et Paul Magnette va le rassurer. Le site d’information flamand 8AM Wetstraat Insider a révélé le contenu de cette conversation. Le Carolorégien confirme que l’échec de sa mission commune avec Bart De Wever rend inévitable un gouvernement sans la N-VA. Paul Magnette se dit même disponible à entamer une mission royale avec Egbert Lachaert. Jean-Marc Nollet l’avait également fait avant lui. On est lundi soir, Egbert Lachaert sort du siège du Parti socialiste et il est définitivement rassuré. Pourtant, le roi a prévu de le voir le lendemain, mardi, à 10 heures, après Georges-Louis Bouchez à 9 heures, et avant Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane à 11 heures, Meyrem Almaci à midi et François De Smet à 13 heures.
Et sans doute le roi espère-t-il encore que son plan, celui du CD&V, celui qui marie le PS à la N-VA, pourra toujours se tirer. Mais les quatre audiences du matin lui font comprendre que l’alliance des bleus et des verts est plus profonde que les vingt lignes d’un communiqué commun. « Bleus et verts se sont coordonnés », ne peut-il manquer de se dire, et de dire à son chef de cabinet, au moment où Meyrem Almaci quitte la salle de l’étage du palais royal où il reçoit les présidents. Au fond, ça n’a rien d’étonnant, le problème est public depuis le jour du communiqué, et connu depuis l’appel d’Egbert Lachaert, à la veille du départ en vacances de la famille royale.
Mardi 18 août à midi, le roi est prévenu : il faudra (tenter de) faire sans la N-VA.
L’appel du mardi midi
Mais, à ce moment-là, le roi continue sans doute encore à croire que peut-être on pourrait éviter que n’éclate la « bulle des cinq », et qu’elle pourrait toujours bien malgré tout être consolidée, voire élargie. Mais il ne se le dira plus pendant très longtemps.
Le vieux plan du CD&V, qui était aussi celui du Palais, ne tiendra plus que quelques minutes : à 13 h 10, le roi reçoit François De Smet, président de DéFI, et il a dix minutes de retard. C’est très rare. Si rare qu’il a bien dû se passer quelque chose entre la sortie de Meyrem Almaci et l’entrée de François De Smet. Car peu de temps après le départ de François De Smet, le Palais annonce avoir chargé Egbert Lachaert, seul, de la mission de composer un gouvernement fédéral. Le roi a donc dû échanger avec quelqu’un, entre la sortie de Meyrem Almaci et l’entrée retardée de François De Smet. Quelqu’un qui aurait promis quelque chose à Egbert Lachaert. Quelque chose comme l’impossibilité que puisse se nouer une coalition entre le PS et la N-VA. Quelqu’un qui aurait pu dévoiler cette promesse à un roi qui ne la connaissait pas, sans quoi il aurait déjà renoncé à tirer le plan du CD&V. Ce quelqu’un n’est pas Bart De Wever, qui n’en était pas averti, ce n’est pas un des présidents coordonnés avec qui le roi venait tout juste de s’entretenir. Ce n’est pas non plus un des présidents du CD&V, du SP.A et du CDH, que le roi avait consultés la veille.
Personne ne découvrira jamais la couronne, et donc personne ne l’avouera jamais. Mais ce quelqu’un, c’est Paul Magnette, qui ne peut qu’avoir expliqué au roi avoir, la veille, rassuré Egbert Lachaert. Ce mardi 18 août, quelque part entre 12h45 et 13h10, le palais royal s’est rendu. Cet appel entre Paul Magnette et le roi a rendu la nomination d’Egbert Lachaert inévitable, et presque aussi inévitable la relégation de la N-VA dans l’opposition fédérale.
Egbert Lachaert a préféré y aller seul. Sans Paul Magnette ni Jean-Marc Nollet, qui, à un moment où l’autre, dans les jours qui avaient précédé, lui avaient offert de l’accompagner : un Flamand de droite tout seul est plus convaincant, en Flandre, qu’un Flamand de droite guidé par un Wallon de gauche.
Depuis, le président libéral se tait, alors qu’il parlait très souvent, avant. Il ne dit pas qu’il travaille à un gouvernement fédéral sans la N-VA. Il laisse le récit se construire sans lui. Il sortira quand il en aura fini, et que chacun sera rangé à l’évidence. Mais on sait déjà que son choix, sur cette question, est fait. Il est tenu par la promesse de Paul Magnette.
Ce que l’on sait des consultations qu’il a entamées laisse peu de doute : il a passé entre sept et dix minutes en tête à tête avec Bart De Wever, dans un esprit que la presse flamande a décrit comme glacial, mais les réunions tenues avec les autres partis ont duré entre quarante-cinq minutes pour DéFI et près de trois heures pour les verts. Avec le PS, le SP.A, le MR, l’Open VLD, Ecolo, Groen, le CDH et éventuellement DéFI, Egbert Lachaert sait déjà qu’il peut disposer de 82 sièges, certes surtout francophones, sur les 150 que compte la Chambre. Il lui reste à convaincre le CD&V de poser un choix : soit devenir le plus grand parti flamand du gouvernement fédéral, devant l’Open VLD, le SP.A et Groen, soit s’installer comme le plus petit parti de l’opposition fédérale, derrière la N-VA et le Vlaams Belang.
Les chrétiens-démocrates flamands sont plus que jamais en tension existentielle. Mais vendredi 28 août, Egbert Lachaert remettra alors son rapport au roi. Un duo Magnette-De Croo pour prendre le relais, cette fois le dernier, est l’hypothèse la plus en cour. A la Cour justement, on ne devrait plus, cette fois, résister à l’envahisseur.
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