Dans les coulisses de l’expo sur la Grande Guerre au Musée de l’armée
Miracle au Cinquantenaire ! Avec un cahier des charges bancal, un budget sous-évalué, un timing ultraserré et un personnel réduit, le Musée de l’armée est parvenu à monter l’exposition Au-delà de la Grande Guerre, qui sera inaugurée le 20 septembre.
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Bruxelles célèbre, avant l’heure, le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale : le 20 septembre sera inaugurée l’exposition Au-delà de la Grande Guerre : 1918-1928, consacrée à l’offensive finale, à la libération et aux profondes mutations des années qui ont suivi le conflit (1). La majorité des pièces présentées au Musée royal de l’armée (MRA) proviennent des collections de l’institution, mais d’autres objets ont été prêtés par des partenaires publics et privés belges et étrangers. Car il a fallu illustrer les nombreuses thématiques » non militaires » de l’expo : la reconstruction, le vent de folie et de créativité des Années folles, l’émergence du monde de la vitesse, la percée du cinéma, de la photographie, du jazz, la montée des nationalismes, les révolutions géopolitiques, la crise économique…
» L’exposition présente environ 1 200 objets et documents, dont un tiers sont fournis par des prêteurs « , précise Michel Jaupart, directeur ad interim du War Heritage Institute, l’organisme qui chapeaute le MRA. Principale initiative du pouvoir fédéral marquant la fin d’un cycle de commémorations de près de cinq ans, l’événement ouvre ses portes plus de sept semaines avant le 11 novembre, date anniversaire de l’Armistice. Pourquoi un tel décalage ? Une source proche du musée y voit un agenda très » politique » : » L’expo débute trois semaines avant les élections communales. C’est l’époque des cadeaux électoraux. Le gouvernement fédéral, MR et N-VA en tête, se comporte de la même manière que l’échevine PS de la Ville de Bruxelles, qui a offert un plumier rouge à tous les enfants de première primaire ! »
Plus un seul menuisier
Une certitude : l’exposition a été montée dans l’urgence. » Les équipes techniques ont eu dix-huit mois pour réaliser le travail, alors qu’il leur en aurait fallu trente-six, assure l’un des scientifiques du musée. Le manque de temps a été compensé par de l’argent ! De plus, le cahier des charges du projet a été mal ficelé. Ainsi, le plafond des vitrines n’était pas prévu. » Autres couacs : les spots commandés se sont révélés trop puissants et ne peuvent servir qu’à éclairer les couloirs ; près de 80 % des mannequins achetés n’ont pu être utilisés ; les hologrammes proposés par le bureau d’architectes bruxellois Pire & Goots, auteur des plans de l’expo, ont dû être abandonnés et la scénographie manque de théâtralité. » Sans être éblouissant, le résultat final tient néanmoins la route, estime le scientifique. L’inventivité du personnel y est pour beaucoup. Son dévouement est d’autant plus à saluer que nos effectifs s’amenuisent, à la suite des départs à la pension et au non-remplacement des militaires, qui constituent un tiers du personnel… Le musée n’a plus un seul menuisier et il a fallu former des encadreurs en deux jours ! »
Le responsable consulté pointe le » risque considérable » pris par le management du War Heritage Institute, qui n’aurait pas pris la mesure de la complexité d’un événement de cette ampleur. En cause, selon lui, l' » inexpérience » de Michel Jaupart et de Franky Bostyn, le directeur général adjoint, » plus habitués à organiser des voyages mémoriels et à monter des expos locales avec roll up(NDLR : panneaux enroulables) qu’à organiser de grandes expositions. Plus de 1 200 objets et documents à mettre en valeur, cela implique un nombre précis de vitrines et de systèmes d’éclairage, de câblages et de technologies audiovisuelles. »
Un budget presque doublé
Surtout, le budget de l’exposition a été sous-évalué. La firme néerlandaise Brouns, retenue pour la fabrication des cloisons et vitrines, a décroché le marché avec un prix proche de 600 000 euros, mais le volet » communication » aurait été oublié dans le cahier des charges. Le montant global – construction des décors, réalisation des films et montages audiovisuels, prêts de pièces, transport…- atteint, aujourd’hui, le million d’euros. Le WHI finance l’expo à hauteur de 400 000 euros, investis dans la conception du projet et l’achat de matériel (une soixantaine d’écrans…). Les 600 000 euros restants viennent de la Loterie nationale, dont 100 000 euros pour la communication de l’événement et autant pour le catalogue, édité en trois langues par Lannoo.
Cette enveloppe d’un million d’euros fait grincer des dents au sein du musée. On y déplore un » gaspillage d’argent public « , alors que le Musée royal de l’armée souffre d’un manque structurel d’investissements. » Les deux grandes expositions organisées ces dernières années au MRA auront coûté, au total, 2,7 millions d’euros, évalue un spécialiste : 1,7 million pour celle du centenaire du début de la Grande Guerre et 1 million pour celle-ci. Avec un tel montant, la rénovation des lieux aurait pu être entreprise » (voir la réaction de Michel Jaupart, en page 28).
Et demain ?
La direction du WHI fait valoir que le réaménagement est en cours : la troisième phase de la transformation de la Halle Bordiau, la vaste salle à mezzanines dédiée aux grands conflits du xxe siècle, est programmée. » L’exposition permanente, agrandie et modernisée, sera inaugurée au printemps 2019, à l’occasion des festivités du 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, assure Michel Jaupart. La construction des décors et vitrines au niveau de l’étage concerné commencera en janvier prochain. » Budget : deux millions d’euros pour 900 mètres carrés, dont 200 000 euros financés par la Loterie nationale. Souci : le chantier sera lancé alors que l’expo Au-delà de la Grande Guerre sera toujours en cours, au niveau du rez-de-chaussée. » Nous avons insisté auprès de la firme Brouns, qui a décroché ce marché-là aussi, sur la nécessité d’isoler le chantier « , indique le directeur du WHI. En fait, ce projet » Bordiau 3 » n’est pas nouveau, signale un conservateur : » On planche dessus depuis 2002 et les plans sont prêts depuis 2013. Mais tout prend du temps au MRA, faute d’argent. »
Et demain ? » Mes collaborateurs les plus directs et moi travaillons à l’élaboration d’un plan directeur, souligne Michel Jaupart. Il s’agit de repenser complètement le Musée de l’armée. L’objectif est de garder sur place le même nombre de pièces qu’aujourd’hui, mais pas nécessairement les mêmes. Remettre des chars à Bruxelles s’impose, car cela n’a pas de sens d’évoquer la Seconde Guerre mondiale sans présenter des blindés au public. » Où en est le projet de partenariat public-privé, destiné à financer les travaux ? » Il est toujours sur la table, répond le directeur. Des contacts informels ont été pris. Des entreprises se montrent intéressées. «
(1) Au-delà de la Grande Guerre : 1918-1928 : War Heritage Institute – site Musée royal de l’Armée, parc du Cinquantenaire, à Bruxelles, du 21 septembre 2018 au 22 septembre 2019. www.warheritage.be
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