Coronavirus: la galaxie des experts belges
De Leïla Belkhir à Marc Van Ranst, les avis sur la gravité de la situation épidémiologique liée au coronavirus en Belgique divergent. Certains experts peuvent paraître plus rassurants dans leurs prises de parole, alors que d’autres tirent plus facilement la sonnette d’alarme sur la situation sanitaire ou essaient, par une communication plus tranchée, d’influencer certaines décisions politiques.
Dans un exercice subjectif, levif.be a essayé d’objectiver la position des experts en analysant leurs interventions dans les différents médias, ainsi que sur les réseaux sociaux depuis le début de l’épidémie. Naturellement, les avis sont contradictoires comme c’est souvent le cas dans le domaine de la science où il faut régulièrement passer par des découvertes différentes pour arriver à un consensus.
Pierre-François Laterre est le chef des soins intensifs des cliniques universitaires Saint-Luc. Il plaide pour un abandon total des mesures de sécurité et un retour à la normale pour se diriger vers une immunité collective. C’est l’un des signataires d’une carte blanche ayant fait grand bruit en réclamant l’abandon des restrictions liés au coronavirus.
Jean-Luc Gala est spécialiste en maladies infectieuses à l’UCL régulièrement invité dans les médias. Son ton est rassurant, il souligne par exemple que malgré les contaminations en hausse, les cas de malades graves, et d’occupations aux soins intensifs, sont restés fort limités. Il n’hésite pas à critiquer les mesures gouvernementales comme la bulle de cinq qu’il estime ridicule et incompréhensible, et donc inefficace, et demande des mesures claires et faisables. Il s’est forgé l’image d’un défenseur acharné du port obligatoire du masque. Il critique aussi la trop forte présence de certains experts dans les décisions politiques.
Yves Coppieters est épidémiologiste et professeur en santé publique à l’ULB. Dans ses analyses de la situation épidémiologique, il a un ton rassurant et met régulièrement les informations positives en avant. Il parle de la gravité de la situation, mais de manière optimiste, en relativisant souvent les chiffres.
Leïla Belkhir est infectiologue aux cliniques universitaires de Saint-Luc. Tout comme Yves Coppieters et Marius Gilbert, elle a un discours plutôt rassurant, relativisant les chiffres et la situation, donnant une analyse calme. Elle n’hésite pas à passer les mesures gouvernementales au crible, comme la bulle de cinq qui n’aurait pas dû être utilité dans des régions où il y a moins de cas.
Marius Gilbert est épidémiologiste à l’ULB. Au plus fort de la pandémie, il a beaucoup été présent dans les médias avant de progressivement s’effacer. Son ton est globalement rassurant, comme chez Yves Coppieters, sans jamais oublier de rappeler la gravité de la crise.
Yves Van Laethem est le porte-parole interfédéral francophone, il est virologue au CHU Saint-Pierre. Il participe aux conférences de presse hebdomadaires de Sciensano sur l’évolution des chiffres. Son discours est plutôt neutre, même si dans les faits, le contenu peut paraître alarmant. Porte-parole, il ne fait pas de déclarations politiques, comme les font par exemple Marc Van Ranst ou Emmanuel André.
Emmanuel André est microbiologiste à la KUL. Ancien porte-parole interfédéral puis responsable du comité interfédéral du testing et tracing. Ses prises de paroles présentent un discours plutôt alarmiste portant sur la saturation des centres de tracing, sur le retard du testing, où sur une deuxième vague qui pourrait commencer à frapper les personnes âgées. Ses prises de parole sont souvent politiques.
Philippe Devos est le président du syndicat des médecins (Absym) et chef des soins intensifs au CHU de Liège. Il a un discours assez neutre sur le plan rassurant-alarmiste. Ancien conseiller communal MR, ses prises de parole sont souvent politiques : il plaide pour une simplification du testing, où les médecins généralistes sont pour l’heure débordés, car sollicités pour chaque symptôme, où ils doivent préparer des dossiers et envoyer les personnes aux centres de dépistage.
Marc Van Ranst, virologue, KuLeuven, ancien membre du GEES. Omniprésent dans les médias et très actif sur Twitter, Marc Van Ranst multiplie les déclarations alarmistes. Il a ainsi reproché au gouvernement son manque de réactivité face au relâchement des comportements de la population : « avec des décideurs ‘au ralenti’, la Belgique court à la ‘catastrophe' ». Il ne craint pas non plus d’apporter de mauvaises nouvelles, par exemple lorsqu’il a signalé fin août qu’il y avait eu un premier cas de réinfection en Belgique, et que ce n’était pas une bonne nouvelle. Politiquement, van Ranst est étiqueté PTB depuis qu’il a signé la préface d’un pamphlet de Peter Mertens. Sur internet, il va régulièrement au clash avec le parti d’extrême droite flamand Vlaams Belang. Menacé de mort, le virologue est aujourd’hui placé sous protection policière.
Erika Vlieghe, infectiologue, et cheffe du Service des maladies infectieuses de l’hôpital universitaire d’Anvers (UZ Antwerpen), ancienne présidente du GEES. Plus modérée que certains de ses confrères, Erika Vlieghe multiplie pourtant elle aussi les mises en garde contre le virus. Ainsi au début de l’été, elle a vivement déconseillé aux citoyens de prendre l’avion. Tout comme Van Ranst, elle appelle régulièrement à la prudence. Erika Vlieghe ne craint pas d’affronter les politiciens. Elle a ainsi remis le ministre-président Jan Jambon (N-VA) à sa place lorsqu’il a avancé fin juillet qu’elle était favorable au maintien de la bulle sociale de quinze personnes, alors qu’il n’en était rien. « Si la communication politique se poursuit sur le même élan, j’envisagerai de me retirer en tant que présidente du comité. Je ne suis pas le cache-misère des politiques », a-t-elle déclaré avant d’effectivement se retirer du GEES.
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Steven Van Gucht, virologue et vétérinaire (Université de Gand), président du Comité scientifique et chef du service Maladies virales de Sciensano, l’Institut belge de santé. Au début de l’épidémie, Steven Van Gucht était celui qui, tous les jours égrenait le nombre de décès du coronavirus. C’est peut-être cette triste litanie qui lui a valu une image de scientifique plutôt pessimiste. Très prudent, Van Gucht s’inquiète notamment de l’accélération actuelle de la propagation du virus. Ainsi, si le nombre de décès liés au coronavirus est en baisse, il faut, selon lui, ne pas exclure une évolution défavorable telle qu’elle s’est produite en Espagne.
On ne connaît pas d’étiquette politique à Van Gucht, qui défend la gestion belge de la crise : « Si l’on compare notre vitesse de réaction à celle d’autres pays, on ne peut pas dire que nous n’avons pas assez montré de détermination », a-t-il ainsi répliqué à son confrère Emmanuel André, qui avait vivement critiqué la lutte contre le coronavirus.
Pierre Van Damme, épidémiologiste et directeur du Centre d’évaluation des vaccins (Université d’Anvers)
Toujours affable, Pierre Van Damme est très présent dans les médias flamands. Assez modéré et nuancé, il est également partisan d’une approche ferme. « Nous allons devoir courir un marathon pendant les 18 prochains mois ». Diplomate, Pierre Van Damme semble avoir bien compris le découragement ressenti par la population et son besoin de perspective sans toutefois cacher la vérité. Au sujet des fêtes de Noël, il a déclaré qu’il fallait éviter les fêtes multigénérationnelles, où se côtoient trois ou quatre générations à l’intérieur des foyers.
Geert Molenberghs, biostatisticien (KuLeuven et Université de Hasselt)
Très présent dans les médias flamands, et de plus en plus dans les médias francophones, Geert Molenberghs est également partisan d’une approche prudente et de mesures strictes. Ainsi, début août il a appelé à écraser la courbe plutôt que l’aplatir. « C’est comme si vous aviez éteint un feu à 95 %, puis mis un soufflet pour le ranimer ». Mais Molenberghs comprend que la fameuse bulle de cinq devient intenable pour beaucoup de personnes et propose le budget de contacts pour la remplacer.
Molenberghs n’hésite pas à s’en prendre aux politiciens. Ainsi, il a fustigé l’absence de sentiment d’urgence des politiciens bruxellois qui ont tardé à prendre des mesures. Il estime que le port du masque généralisé dans la capitale ne suffit pas.
Peter Piot, virologue
Peter Piot vit à Londres. Chercheur de renommée internationale, il a lutté contre les virus Ebola et le sida. Au début du printemps, il a lutté contre le coronavirus, si bien qu’il possède également à présent l’expertise du patient. Moins présent dans les médias que ses confrères, il n’hésite pas à fustiger les politiques. « Vous devez également faire face à des politiciens qui se prennent pour des scientifiques, ce qui est tout aussi grave que les scientifiques qui pensent qu’ils tirent les ficelles. Chacun devrait avoir le bon sens de continuer à jouer son propre rôle. C’est déjà assez dur comme ça ». Peter Piot soulève un espoir : « Je suis assez optimiste quant à la façon dont nous allons gérer cela. Maintenant que nous connaissons beaucoup mieux le virus, nous pouvons intervenir très rapidement et c’est le meilleur moyen de contenir une épidémie ».
« Les experts doivent se limiter à leur domaine de recherches et de compétences »
Professeur à l’Ecole de Journalisme de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), et expert en sciences de l’information et de la communication, David Domingo rappelle que de manière générale, les experts scientifiques sont sollicités par les médias en temps de crise, ou lors d’événements et de découvertes extraordinaires. « Selon nos premières analyses quantitatives sur la crise du coronavirus, certains experts ont plus été médiatisés que d’autres, notamment ceux qui aidaient le gouvernement. Mais ce sont des intervenants un peu doubles, qui ont un rôle d’expert, mais qui participent aussi à des décisions politiques ». « Il est toujours pertinent d’avoir une pluralité de perspectives et de voix dans le discours médiatique. Ca permet de mettre en balance des opinions sur un même sujet avec laquelle le public peut se faire une idée ».
Pour David Domingo , il faudrait cependant dépasser le binôme de la réassurance et de l’alarmisme. Un concept trop binaire. Pour lui, l’expertise idéale doit être tout à fait honnête sur les chiffres et les risques liés au virus. Elle doit rassurer les citoyens avec des mesures gouvernementales, qui seraient prises dans la transparence et sur base des éléments scientifiques. « C’est un équilibre important pour faire adhérer les personnes, pour générer une solidarité collective ».
Si dans les sciences les résultats ne sont jamais définitifs, et que des débats contradictoires mènent à un consensus, il existe avec le recul des 6 mois de crise, des résultats qui pourraient être utilisés pour définir, dans cette idée d’équilibre, des mesures claires et compréhensibles.
Un autre élément important serait que les experts se limitent à leur domaine de recherches et de compétences. Un virologue qui s’exprime sur l’économie, ou un économiste qui analyse un virus, n’a pas de sens, et n’apporte rien à l’information. Sur ce point, David Domingo souligne aussi la responsabilité des journalistes.
David Domingo compare aussi le traitement médiatique de la crise du coronavirus à celui d’autres crises sanitaires, comme celle du SARS ou du H1N1. « IA l’époque, il y avait une tendance plus forte à l’alarmisme, avec des propos apocalyptiques. Les journalistes n’étaient pas toujours informés par les experts, et n’ont pas toujours vérifié les propos des politiciens. » Ces crises anciennes n’ont finalement pas été si graves. C’est une des raisons pour laquelle les médias n’ont pas voulu être trop alarmistes au début de la crise du coronavirus « Les médias on été relativement attentistes avec pour conséquences des retards dans les décisions politiques. Ce n’est qu’à partir de mars que les médias ont commencé à couvrir le sujet pleinement avec l’aide d’experts. Au début du déconfinement, d’autres sujets ont fait l’actualité comme, la mort de George Floyd », analyse David Domingo. Avant mars et après mai, les experts scientifiques étaient donc moins présents dans la couverture médiatique.
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