Confinement, chiffres, port du masque, deuxième vague: les experts aussi se contredisent
La récente réduction de la bulle sociale à 5 personnes démontre la puissance des avis des experts. Une mesure pourtant contestée par… d’autres experts. Depuis le début de la crise, ils se sont contredits. Et trompés. La preuve par les archives.
On se tacle comme ça, dans le monde scientifique. Pas en se balançant de plates injures, non. Plutôt au détour d’une petite phrase a priori anodine. Démonstration dans une carte blanche publiée le 29 juillet dans Le Soir et signée par sept chercheurs de l’ULB et de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers : « Le testing est bien central dans le contrôle de la propagation du virus et ne prendre aucune décision visant à organiser la détection des contaminateurs par un dépistage à grande échelle recommandé unanimement par l’OMS, les épidémiologistes de renom belges et étrangers et les publications internationales récentes reste incompréhensible. »
Ils en ont sans doute encore un peu mal à l’ego, les partisans de la bulle.
De renom. Bim. Ils en ont sans doute encore un peu mal à l’ego, les partisans de la bulle, ceux qui ne soutiennent pas la piste du testing intensif. Dans cette bataille d’influence, ce sont eux – Marc Van Ranst (KULeuven), Erika Vlieghe (hôpital universitaire d’Anvers), Pierre Van Damme (UAntwerpen) – qui ont remporté cette manche, en convaincant le gouvernement d’imposer aux Belges la réduction de leurs contacts sociaux. De 15 personnes (variables) par semaine à 5 personnes (fixes) durant un mois. « La seule façon de calmer les experts », confieront plus tard des politiques. Une mesure « non validée scientifiquement », « extrêmement contraignante et peu nuancée », « dont l’impact sur la propagation du virus est incertain », tanceront le lendemain dans cette carte blanche d’autres experts – Yves Coppieters, Nathan Clumeck, Elie Cogan (ULB).
A ne plus savoir à quel spécialiste se vouer. Parce que les Belges s’y vouent : depuis que le coronavirus s’est incrusté dans leur vie, la parole des scientifiques est quasi devenue d’évangile. Davantage digne de confiance que celle des édiles, selon un sondage réalisé en juin par Le Vif/L’Express, Knack et LN24. Alors que 39,1 % des personnes interrogées se déclaraient satisfaites de la gestion de la crise par le Première ministre Sophie Wilmès (un record pour la classe politique, en témoignent les… 18,6 % obtenus par la ministre de la Santé, Maggie de Block), Emmanuel André obtenait lui 78,1 % d’avis favorables, Yves Van Laethem 65,9 %, Marc Van Ranst 65,3 %, Marius Gilbert 66,6 %…
Nul n’a pardonné à Maggie De Block d’avoir qualifié, fin février, le virus de banale grippe. Mais personne ne semble avoir tenu rigueur des propos similaires tenus, à la même époque, par plusieurs virologues. « Strictement aucune conséquence », rassurait ainsi le 5 février Steven Van Gucht, chef du service des maladies virales chez Sciensano, au lendemain de l’identification du premier cas belge, alors que plusieurs publications scientifiques internationales se voulaient nettement moins rassurantes. Ajoutant, le 3 mars, devant la commission santé de la Chambre, que le pire des scénarios en matière d’hospitalisation serait « comparable à celui d’une mauvaise grippe saisonnière ». Soit 2.000 à 3.000 personnes prises en charge, dont 500 à 700 en soins intensifs. Finalement, entre le 15 mars et le 2 août, 18.276 patients sont entrés à l’hôpital et, au plus fort de la pandémie, plus de 1.000 se trouvaient en unité de soins intensifs… le même jour.
« On est médiatisé et on sait que la critique arrivera, soulignait Marc Van Ranst dans Le Soir le 11 mars. Soit l’épidémie est faible et on nous reprochera d’en avoir trop fait, soit elle est forte et on affirmera qu’on n’en a pas fait assez. […] »
On doit prendre des décisions en ne connaissant que 20 % des éléments et on sera jugé dans six mois par des gens qui [les] auront alors à 100 %
Le virologue ne s’était pas trompé, sur ce point. Mais bien sur d’autres, à l’instar de la plupart de ses confrères, comme le démontre ci-après l’analyse des archives médiatiques. Pareilles contradictions, approximations, reniements auraient été durement sanctionnés chez les politiques. Or, certains virologues et épidémiologistes font désormais de la politique, depuis que leurs convictions régissent la vie de millions de personnes. La science doit-elle dès lors continuer à les exonérer de tout regard critique ?
Le confinement
Steven Van Gucht
« Je doute [qu’un confinement] soit vraiment efficace. Chez nous, ce ne sera probablement pas la technique employée même si nous allons bien sûr suivre la situation de près. Il faut faire attention à ne pas tomber dans la panique générale car les conséquences sociétales et économiques seraient énormes. » (la DH, 25 février)
« On ne va pas fermer les hôtels, les écoles ou même les villes comme cela se fait dans d’autres pays. […] Il est également très difficile de mettre des zones en quarantaine en Belgique car tout est hyperconnecté. De plus, ce ne serait pas proportionnel aux risques actuels. » (la DH, 29 février)
« [Confiner des grandes zones] n’aurait aucun sens et serait totalement inefficace chez nous car on ne sait pas où se trouve exactement le foyer viral, le virus vient de différents chemins. » (la DH, 5 mars)
Marc Van Ranst
[La fermeture des frontières permet d’éteindre le virus et, en ce sens, la mise en quarantaine des zones ciblées s’avère efficace]. « Mais la question est de savoir si c’est proportionné et si cela représente la mesure la plus adéquate à prendre en ce moment. » ( Le Soir, 9 mars)
Yves Van Laethem
« Je pense que d’un point de vue sociétal, et même psychologique, il était impossible de décréter un lockdown complet. » ( Le Soir, 17 mars)
Le confinement était imposé par le gouvernement fédéral, sur la base d’avis scientifiques, le 18 mars.
Les prédictions chiffrées
Philippe Devos
« On risque d’avoir 850.000 personnes infectées par le coronavirus en Belgique. En cas de pénurie de lits dans les hôpitaux, la mortalité pourrait s’élever à 33.150 décès. » (interventionniste et président de l’Absym, principal syndicat médical , Le Soir, 3 mars)
Steven Van Gucht
« Dans le scénario du pire, une situation comme à Hubei – et à ce stade irréaliste – quelques centaines de Belges mourraient, comme lors d’une grippe sévère. » (La Libre, 3 mars)
Marius Gilbert
« Dans un scénario optimiste, je pense que nous pourrions arriver à limiter les décès à un nombre situé entre 3.000 et 4.000. » (ULB, La Libre, 9 avril)
Yves Coppieters
» Si on reste dans cette dynamique de mortalité, il faut s’attendre en Belgique à environ 10.000 décès sur l’ensemble de l’épidémie. » ( La Libre, 6 mai)
Au 3 août, le coronavirus a causé la mort de 9.845 personnes en Belgique (dont 3.969 décès suspects non confirmés par un test).
Le masque
Steven Van Gucht
« [L’utilisation de masques par des particuliers non contaminés n’a pas d’intérêt], c’est du gaspillage. » (La Libre, 5 mars)
Emmanuel André
« Porter un masque dans la rue, cela ne sert à rien non plus. » (la DH, 24 mars)
Marc Van Ranst
« Je ne pense pas que faire confectionner et porter des masques par toute la population belge va apporter grand-chose, du moins si on maintient les règles strictes en matière de distanciation sociale. […] Le port du masque n’est utile que pour les personnes malades. » (La Libre, 1er avril)
Yves Coppieters
« Il est pertinent de recommander le port du masque, pour limiter la propagation de l’épidémie, mais avec plusieurs conditions. » (la DH, 1er avril)
Jean-Luc Gala
« Il faut marteler les avantages incontestables du port du masque. » (La Libre, 18 avril)
Marius Gilbert
« L’efficacité du masque dans la vie quotidienne n’est absolument pas prouvée. » (RTBF, 24 avril)
Steven Van Gucht
« Je ne porte pas de masque au supermarché. Ce n’est pas comme s’il y avait énormément de virus qui traînait autour des gens et que l’on pouvait être infecté comme ça. […] Il n’y a pas un seul article dans toute la littérature scientifique sur le coronavirus qui indique une épidémie dans les grands magasins. » (De Morgen, 4 mai)
Yves Van Laethem
« Le masque est important en addition des autres gestes barrières. » (L’Avenir, 14 mai)
Le 4 mai, le port du masque était rendu obligatoire dans les transports en commun, puis dans une série de lieux publics dès le 11 juillet.
La deuxième vague
Emmanuel André
« L’été, on espère que ce sera plus calme, même si la société est rouverte : il faudra observer l’impact des mesures ; l’hiver, le nombre de cas suspects va augmenter vu toutes les pathologies respiratoires. » ( Le Soir, 9 mai)
Yves Coppieters
« On s’attend bien entendu à un rebond des hospitalisations à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin, en lien avec les premières étapes du déconfinement. » ( La Libre, 18 mai)
« Dans les prochaines semaines, on va avoir un bruit de fond. Mais on ne verra plus de cloche dans les statistiques. » ( Le Soir, 28 mai)
Philippe Devos
« Soit le virus n’est pas saisonnier et […] fin août on en sera revenu à la situation de mars. Soit il est saisonnier et la deuxième vague sera pour fin septembre. » ( Le Soir, 7 juillet)
Marius Gilbert
« Je ne crois pas à une vraie deuxième vague. L’évolution des chiffres est davantage le fruit d’un problème de sensibilisation qu’un problème structurel. » ( Le Soir, 15 juillet)
Yves Van Laethem
« La hausse des contaminations est inquiétante, mais elle ne signifie pas que l’on est devant une deuxième vague. » (La Libre, 15 juillet)
Marc Van Ranst
» Avec ces chiffres et l’augmentation de ces dernières semaines, vous pouvez clairement voir que nous sommes au début d’une deuxième vague. » ( Radio 1, 17 juillet)
Depuis la mi-juillet, le nombre de cas confirmés augmente (490 contaminations en moyenne par jour du 27 juillet au 3 août, + 68 % en une semaine). Mais les tests réalisés ont, eux aussi, progressé (+ 56 %). Les admissions à l’hôpital, comme les décès, sont en légère hausse, toutefois sans commune mesure avec la situation de mars-avril (270 hospitalisations le 3 août, pour 6 012 lors du pic du 7 avril).
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici