Coronavirus: « Il faut d’urgence confiner Bruxelles et la Wallonie »
Le Dr Philippe Laurent, ancien directeur de la Croix Rouge et de MSF, estime qu’il faut décréter un confinement d’urgence à Bruxelles et en Wallonie pour freiner l’épidémie de coronavirus. Interview vérité.
Vous plaidez pour un confinement d’urgence à Bruxelles et en Wallonie
La circulation du coronavirus atteint en ce moment, en Belgique, un niveau dramatique. On explose les niveaux observés dans d’autres pays, comme en France, ou en Espagne, où des mesures beaucoup plus strictes de confinement ont déjà été prises. L’épidémie est devenue hors de contrôle en Wallonie et totalement hors de contrôle à Bruxelles. La Flandre assure encore. Un confinement bref (minimum une semaine), mais strict, peut déjà faire baisser fortement le niveau de propagation et permettre aux autres mesures de reprendre pied. Quitte à répéter l’opération par après. Un tel confinement est impérieux à Bruxelles, indispensable localement en Wallonie, sans cela les autres mesures s’avéreront insuffisamment efficaces. Le monde politique est certes devant un choix difficile, mais, pour moi, le coût politique de mettre en place un tel confinement est moins important que le coût politique de ne pas le faire.
Vous ne préconisez pas de confinement en Flandre, moins touchée par l’épidémie
Il existe une très forte disparité dans la prévalence de la COVID-19 entre les régions. Bruxelles est trois fois plus contaminée, la Wallonie deux fois plus, que la Flandre. C’est un fait que des densités de contaminations différentes appellent des stratégies différentes. Le nouveau gouvernement semble d’ailleurs avoir pris la mesure de ce problème : à la fois en posant un socle de mesures générales et en chargeant les gouverneurs provinciaux d’en prendre d’autres supplémentaires en fonction de la situation.
Comment expliquer cette différence entre régions ?
Le nord du pays réussit mieux à contenir l’épidémie. La politique de testing y est plus efficace avec des résultats beaucoup plus rapides, là où en Wallonie et à Bruxelles, il faut parfois plus de 4 jours pour obtenir des résultats. Les recteurs d’universités flamandes ont aussi été plus prudents en allant à contre-courant du discours gouvernemental. Dès l’annonce d’un léger assouplissement des mesures lors du dernier CNS, les recteurs des universités de Gand et Anvers ont demandé à leurs étudiants de ne pas suivre ces recommandations. Du côté francophone, il règne une certaine désinvolture. Il n’y a qu’à voir les clusters de contaminations à Louvain-La-Neuve…
Les chiffres de Sciensano restent, pour vous, problématiques
Le discours de Sciensano tient plus d’une incantation à la baisse que d’une appréciation correcte de la situation réelle. Il est en tous cas en fort décalage. Sur cette base, les autorités politiques ne peuvent que prendre les mesures à contretemps ; c’est ce qui s’est produit.
J’insiste sur un problème fondamental qu’il faut régler au plus vite : la méthode de surveillance des données relatives à la COVID-19 est totalement inadéquate. Elle est peut-être valable pour des analyses futures, pour harmoniser les données européennes, mais elle est à proscrire absolument lorsqu’on fait face à l’accélération d’un danger.
Je vais prendre un exemple qui a ses limites, mais qui peut faciliter la compréhension. Si une centrale atomique connaissait un problème dans notre pays et que, jour après jour, elle dégageait de plus en plus de radioactivité, ce sur quoi se baseraient les autorités pour prendre les mesures de sauvegarde de la population, ce ne serait pas la moyenne des valeurs radioactives relevées les 7 ou 15 jours précédents, ce serait bien évidemment la dernière mesure, la plus haute, la plus dangereuse. Pourtant, c’est ce que fait « Sciensano » : alors que l’épidémie est en pleine accélération, Sciensano édulcore le danger en mitigeant les données et, de plus, en ne prenant en compte que des chiffres « consolidés », ce qui fait encore perdre 4 jours. Comme l’OMS l’a répété à l’envi depuis le début de l’épidémie, « Prenez garde : le virus a toujours un temps d’avance ».
Le temps est en effet précieux. Contrairement à l’incident atomique où il est possible de mesurer le niveau de radioactivité en temps réel, pour une épidémie de type viral, il existe toujours un décalage entre la dynamique de contamination et son objectivation par les tests. Ce que nous disent les chiffres de ces trois derniers jours (5.728 ; 5385 ; 7950 tests +), c’est ce qui s’est produit il y a une dizaine de jours. Ce qui s’est passé réellement entre ce moment et aujourd’hui (NDLR, le 11 octobre), déterminera dans les dix prochains jours, quoi qu’on fasse, le nombre de cas positifs relevés et subséquemment le nombre d’hospitalisations et de décès. On comprend que même si on appliquait demain un confinement strict, il faudrait – comme cela s’est produit en mars-avril dernier – une bonne dizaine de jours pour en voir les premiers effets.
Vous critiquez aussi certains experts qui parlaient encore récemment de « vaguelette » ?
Les messages de prudence et les indications pour limiter les contaminations se sont multipliés jusqu’à saturation, mais jamais la communication des autorités politiques, administratives, des médias, des experts… n’a donné l’impression générale d’une détérioration grave et rapide. Le comble a été atteint quand le Dr Yves Van Laethem a insisté, pour rassurer, que le regain de cas positifs n’était qu’une « vaguelette ». Une « vaguelette » n’appelle en effet que des « mesurettes » et n’empêche pas de s’endormir au bord de l’eau. Tous n’ont pas atteint ce niveau de cynisme ou d’incompétence et des voix courageuses se sont levées ici et là ; mais elles ont été rares. La confusion créée par des messages contradictoires, voire négationnistes, a renforcé encore l’écart qui s’est installé entre le danger réel et sa perception.
Le taux relativement bas d’hospitalisations n’a pas non plus été un facteur alarmant sur la flambée de l’épidémie
En effet, une des raisons qui a également tempéré le danger de la montée de la contamination a été le nombre relativement peu élevé des hospitalisations et des décès. Malheureusement, ceux-ci augmenteront significativement dès cette semaine. Ce n’est pas une prédiction, c’est mathématique.
L’augmentation sera due à la fois à l’augmentation des cas COVID-19 et à la proportion plus importante de personnes âgées atteintes.
On remarque dans le graphique ci-dessus l’inversion de la proportion entre les tranches d’âges les plus atteintes entre la première et la seconde phase de l’épidémie. Même si les plus de 70 ans sont considérablement moins atteints actuellement, on constate que leur nombre, en gros, a été multiplié par 10. Par 5 suite à la montée générale des cas, et par 2 suite à leur proportion relative passant de 4% à 8% d l’ensemble des cas. Il y aura donc une montée assez rapide du nombre d’hospitalisations et de l’occupation des unités de soins intensifs. Cette montée sera moins élevée qu’en mars, mais sera plus longue et même beaucoup plus longue si aucune sorte de confinement n’est décidée. Le personnel hospitalier devra donc plus affronter la durée qu’un pic comme celui du printemps. C’est déjà le cas pour les médecins généralistes.
Pour vous, le testing et le tracing sont un échec
Testing et tracing sont hors de contrôle en Wallonie et surtout à Bruxelles ; ils restent maîtrisables en Flandre. Il faut rappeler qu’après le dé-confinement d’avril, c’est cet outil qui avait été « mis en place » pour prendre le relais de ce dé-confinement. Pour garder des taux de contamination acceptables, il fallait que l’outil soit à peu près aussi efficace que ce confinement. Cela n’a pas été le cas. L’outil n’a pas été assez puissant pour éviter une propagation rapide des contaminations. Les retards dans l’obtention des résultats et les déficiences dans le repérage des circuits de contaminations ont donné du temps au virus. Il en a profité. Ce qui n’a pas été possible de faire quand la propagation était modérée, l’est encore moins quand elle est forte. Seule une diminution drastique de la circulation du virus, telle que le permet un confinement, pourrait permettre à cet outil de se remettre en selle. L’application « Coronalert » est un excellent outil, mais, dans les conditions actuelles, son efficacité est très hypothéquée.
Comment faire pour que la population prenne la mesure de la gravité de la situation ?
Il devient difficile de remotiver la population dans ce contexte. Pour moi, il est surtout important ne pas faire culpabiliser les citoyens, de ne pas jeter la pierre à un groupe en particulier, ce que les autorités gouvernementales ont malheureusement fait jusqu’à présent. Le message doit être clair et motivant: nous devons nous ressaisir. Vite. La population devra, comme cela est répété depuis des semaines, prendre ses responsabilités en ce qui concerne les attitudes adéquates pour ralentir la contamination, mais également en faisant bloc, à tout le moins momentanément.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici