Comment Paul Magnette perturbe la stabilité de la Vivaldi (analyse)
Pour le PS et son président, le gouvernement De Croo devait marquer deux retours. Celui du coeur, par des ruptures avec la politique sociale du gouvernement Michel. Et celui de la stabilité, après les graves tourments de la suédoise. Assez insatisfait du premier, le PS contribue à empêcher le second.
La mémoire de Philippe Moureaux est fort célébrée, ces temps-ci, à la Fédération bruxelloise du PS. La loi réprimant « certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie », qui porte le nom du Molenbeekois, a fêté ses 40 ans le 31 juillet. L’occasion pour les sections socialistes de la capitale de mille et un colloques et conférences.
Aussi redouté de ses camarades que de ses adversaires, Philippe Moureaux, disparu fin 2018, n’avait pas la parole légère. Président de la fédération socialiste bruxelloise de 1995 à 2011, il fut de ce fait longtemps le vice-président d’Elio Di Rupo. Il ne se priva pas, au retour de celui-ci à la présidence du parti en 2014, de déclarer publiquement que le Montois s’engageait dans « le mandat de trop ». C’était l’époque où s’installait un gouvernement de rupture, celui de Charles Michel, composé du seul MR côté francophone, et de trois partis flamands, parmi lesquels la N-VA. C’était aussi l’époque où le PS, pour la première fois depuis un quart de siècle, se voyait relégué dans l’opposition fédérale. A cet égard, et alors que s’affermissait déjà l’impitoyable concurrence du PTB, le Molenbeekois, qui aimait pourtant se targuer d’un marxisme intransigeant, estimait que son parti gagnerait à se positionner comme la formation politique la plus fiable de Belgique. Contre ce qu’il présentait comme des slogans faciles du PTB, il ne fallait pas seulement se montrer aussi à gauche. Il fallait également montrer que les socialistes osaient, d’abord, et savaient, surtout, exercer le pouvoir. Contre l’inévitable désordre que l’arrivée de nationalistes flamands au gouvernement fédéral allait impliquer, il ne fallait pas seulement marquer le retour du coeur. Il fallait aussi signifier celui de la stabilité. La fin du bordel. Le PS devait valoriser sa machine à administrer, mettre en avant son sens de la parole donnée, faire savoir que, sans lui, la Belgique tournait carré, et convaincre qu’avec le PS au gouvernement, la Belgique serait un pays qui fonctionne. Il y avait au fond deux Moureaux, dont le parti déclinait lui aussi deux messages. Celui qui voulait mobiliser avec des sorties gauchisantes, et celui qui voulait rassurer avec des engagements de sérieux.
Philippe Moureaux n’a pas d’héritier politique qu’à Molenbeek. Il en a aussi un au 16, rue de la Loi.
L’historien, il faut dire, avait gardé de la mémoire proche: en 2010, la dernière campagne fédérale à laquelle il avait concouru, qui avait vu le PS obtenir son meilleur résultat depuis les années 1980, et qui avait porté Elio Di Rupo à la tête de l’exécutif fédéral, s’était menée sous ce dual slogan, « un pays stable, des emplois durables ». Autrement dit, le retour du coeur et la fin du bordel.
Quarante ans après sa loi, trois ans après son trépas, Philippe Moureaux n’a pas d’héritier politique qu’à Molenbeek. Il en a aussi un au 16, rue de la Loi. Il n’est pourtant ni marxiste, ni molenbeekois, ni même historien. C’est Alexander De Croo, il est libéral, flamand, Premier ministre, et il a fait de « la Belgique qui fonctionne » son mantra autant que sa condition de survie politique. Il le répète partout depuis la fin des négociations qui ont mené à l’installation de son gouvernement. Il était alors coformateur, avec Paul Magnette. Et Paul Magnette, aussi socialiste et prof à l’ULB que Philippe Moureaux, le disait avec Alexander De Croo. Le président du Parti socialiste allait non seulement faire fonctionner la Belgique, mais il allait aussi lui rendre son coeur. Le 30 septembre 2020, à la veille de la prestation de serment d’Alexander De Croo, c’est pour remplir ce double objectif que le Carolo disait avoir laissé à son partenaire d’alors le siège de Premier ministre. « Non, je crois qu’il faut viser la stabilité du pays. Aujourd’hui, l’urgence est de relancer un grand élan d’avancées sociales, un grand élan de solidarité, et c’est ce à quoi j’ai pu contribuer. J’en suis très très heureux. Je me suis plus battu pour qu’on ait des avancées sociales pour nos concitoyens », répondait-il ainsi, sur RTL-TVi, au journaliste qui lui demandait s’il n’était pas trop déçu de ne pas emménager au 16.
De Croo « effarant »
Le Parti socialiste et son président tenaient alors bien les deux lignes tracées quelques années auparavant par Philippe Moureaux. Au boulevard de l’Empereur, on se réjouissait bruyamment du refinancement des soins de santé, des hausses des allocations, de la croissance des investissements publics, et l’on s’appliquait à soutenir autant que possible les positions d’Alexander De Croo, alors parfois moins contestées par l’opposition nationaliste flamande que par la majorité libérale francophone. Et on défendait Frank Vandenbroucke, aussi. L’autre vice-Premier socialiste, ministre de la Santé, réussissait à faire fonctionner un pays confronté à de nouvelles vagues de Covid, et le PS, qui avait laissé Conner Rousseau choisir la Santé et les Affaires sociales lors de la distribution des compétences, faisait front.
Mais il y avait eu ensuite les négociations sur l’accord interprofessionnel qui, en guise de retour du coeur, mirent en colère les syndicats, et, en conséquence, embarrassèrent les socialistes francophones, mais pas vraiment Frank Vandenbroucke.
Il y eut plus tard la menace d’une démission des ministres socialistes et écologistes si un compromis n’était pas dégagé avec les sans-papiers en grève de la faim. Il y eut cette rentrée pleine de vacarme, côté socialiste, avec la réforme des pensions que Karine Lalieux présenta dans la presse tandis que ses collègues, dont Alexander De Croo, qui avait évité de la mettre à l’agenda du conseil des ministres et finit par la reporter à la fin de l’année, lui reprochèrent de ne pas l’avoir d’abord soumise au conseil des ministres.
Puis avec l’exigence de Paul Magnette que le gouvernement fédéral envisage la gratuité pour les usagers de la SNCB lors du conclave budgétaire.
Et puis, surtout, lors de ce conclave introduit dans ce vacarme socialiste, avec le coinçage du vice-Premier ministre PS Pierre-Yves Dermagne, cerné par les libéraux et trop peu soutenu, raconte la chronique, par les écologistes qui avaient reçu ce qu’ils réclamaient sur le climat, comme par Frank Vandenbroucke qui n’a jamais vraiment demandé les mêmes choses que le PS depuis le début de sa carrière.
On aurait pu croire que ces tensions allaient se calmer, parce que le PS finirait par estimer qu’il avait intérêt à dire que la Belgique fonctionnait et que le coeur était de retour, et qu’il allait revenir à la ligne du plus rassurant des deux Moureaux. Pourtant, depuis la COP26 de Glasgow, Paul Magnette se faisait interviewer par L’Echo. Tout en réaffirmant son respect de l’accord du gouvernement quant à la sortie du nucléaire, ce qui soulagea les verts, il ridiculisait le discours d’ Alexander De Croo devant la COP, l’estimant « assez effarant », ce qui révolta les bleus. Le Moureaux bagarreur était toujours bien là, et le rassurant s’éloignait.
Pays pas stable, emplois pas durables
La semaine infernale entamée le lundi 15 novembre allait encore le montrer. Après l’accord de principe en Conférence interministérielle santé, puis en Comité de concertation, Frank Vandenbroucke présentait au kern son projet d’obligation vaccinale pour le personnel soignant. Le vice-Premier socialiste Pierre-Yves Dermagne marquait au nom de son parti un accord prudent. Les messages reçus notamment des syndicats effacèrent sa prudence, et l’accord qui allait avec aussi. Mardi après-midi, Paul Magnette remettait la décision en question, employant la vaccination obligatoire de toute la population en utile mais peu crédible contre-feu, contredisait son vice-Premier, et révoltait les bleus.
Vendredi 19, un kern devait confirmer le dispositif employé pour sanctionner la vaccination, il dura treize heures, et adoucit un peu le régime des sanctions adoptées.
Le soutien à Dermagne du vice-Premier Ecolo Georges Gilkinet, en particulier, y aura aidé. En attendant, la position du socialiste rochefortois est rendue toujours plus inconfortable, parce que les libéraux restent libéraux, que les écologistes sont écologistes, et que Vooruit est plutôt moyennement socialiste.
Et la vaccination générale obligatoire que Paul Magnette avait couplée à celle des soignants trois jours plus tôt en était découplée: le débat est ouvert, d’ailleurs Alexander De Croo a fort aimablement qualifié cette idée de « paresse politique », ce qui a révolté les rouges, et on verra ce qu’il donnera. « Je ne comprends pas pourquoi Magnette a choisi de sortir aussi fort pour contredire non seulement Dermagne mais aussi les ministres régionaux« , s’étonne d’ailleurs un ministre. « C’est vrai que dans les gouvernements régionaux, le PS défend plutôt la vaccination obligatoire pour tous, mais il l’avait acceptée pour les soignants uniquement. Il fallait laisser Vandenbroucke prendre les coups, et négocier pour atténuer les sanctions, comme Ecolo, qui partageait les mêmes réticences, l’a fait. On aurait obtenu le même résultat, le bordel en moins », ajoute-t-il.
Et le bordel, en effet, la Vivaldi y est, en plein dedans.
Elle avait intérêt à faire croire que la Belgique fonctionne, mais chaque semaine ses décisions sont pourtant contestées par ses propres membres.
Ses deux cofondateurs, Paul Magnette et Alexander De Croo, en sont à se quereller publiquement, si bien que des socialistes eux-mêmes en viennent à douter de la réalité de ce retour du coeur. Et, qu’aujourd’hui, l’ancien parti du pays stable et des emplois durables est le principal facteur d’instabilité du gouvernement d’un pays dont les ministres, de plus en plus, se demandent si leur emploi sera si durable que ça. Comme si aucune des deux lignes Moureaux ne s’était imposée.
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