Comment les volte-face du PS font trembler la Vivaldi
Le vice-premier ministre Pierre-Yves Dermagne (PS) est revenu à plusieurs reprises sur des accords déjà conclus. Une attitude qui provoque des troubles au sein du gouvernement Vivaldi. Le PS, dont l’instabilité interne est pointée du doigt, remet en cause la méthode De Croo, qui manquerait de clarté. Cerise sur le gâteau, Vooruit et PS ont parfois du mal à s’accorder.
L’attitude inconstante des socialistes francophones au gouvernement fédéral suscite le mécontentement de plusieurs vice-premiers ministres. Principal point de tension : le ministre PS Pierre-Yves Dermagne, qui est revenu plus d’une fois sur des accords qui étaient déjà conclus. Chronologie des faits.
« Profond soupir »
Vendredi matin, juste avant le début du Comité de concertation, Pierre-Yves Dermagne explique sa vision des choses concernant les mesures anti-covid à prendre dans l’enseignement, au micro de Bel-RTL. Les socialistes francophones veulent épargner le plus possible l’éducation.
Les autres vice-premiers ministres n’en reviennent pas. Car la veille au soir, la Vivaldi s’était mise d’accord sur le point de départ fédéral du Codeco: l’enseignement primaire devait fermer pendant dix jours, à compter du mercredi 8 décembre.
C’est ce qui ressort également des documents préparatoires que De Morgen a pu consulter. Un accord à l’opposé que ce que déclare Dermagne le lendemain. Une question s’impose alors : pourquoi le vice-premier était-il soudain diamétralement opposé?
Depuis le dernier Comité de consultation la semaine dernière, il y a un « profond soupir » au sein du gouvernement, écrit De Morgen. « La démarche de Dermagne est révélatrice de l’attitude instable des socialistes francophones », pointe le journal flamand. « C’est la énième fois », leur confie d’ailleurs un vice-Premier ministre. Une autre source haut placée glisse aussi que ces incidents « doivent être clarifiés de toute urgence, au risque que cela menace le fonctionnement futur du gouvernement fédéral. »
Deux revirements
Deux exemples reviennent systématiquement pour illustrer ces revirements de situation. Mi-novembre, le président du PS, Paul Magnette, avait publiquement annulé un accord fédéral sur la vaccination obligatoire. Une nouvelle réunion avec les premiers ministres avait alors dû être convoquée, où après 13 heures de négociations et quelques modifications, un texte final a été publié.
Début octobre, c’est Dermagne qui avait exigé des changements dans les négociations budgétaires tard dans la nuit, à un moment où tout le monde supposait qu’un accord était trouvé depuis longtemps.
Au sein du PS, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) est pointé du doigt. Celui-ci donnerait trop peu de clarté à la fin des réunions sur ce qui a été décidé exactement. A la fin des négociations budgétaires, il y avait en tout cas une grande ambiguïté. Magnette avait d’ailleurs déclaré que la « méthode De Croo » était trop chaotique.
Mais il n’y a pas que ça. Le PS n’est pas à l’aise avec le gouvernement Vivaldi, constate le politologue Pascal Delwit (ULB). « Ce n’est pas l’équipe que Magnette avait en tête », explique-t-il. « Il a entamé des discussions approfondies avec la N-VA durant l’été 2020. Lorsque cela a échoué, il a rejoint la Vivaldi sans pouvoir devenir Premier ministre », dit-il au Morgen.
« Très difficile de travailler avec ce PS »
Désormais, le PS est le plus grand parti au gouvernement, mais il est incapable de laisser son empreinte sur des dossiers sensibles, comme la vaccination obligatoire et la fermeture des écoles. Auparavant, le parti avait menacé la chute du gouvernement lors de la grève de la faim de plusieurs centaines de sans-papiers à Bruxelles.
Le fait que le PS ne reçoive pas toujours le soutien de son parti frère flamand Vooruit pose aussi problème. Par exemple, le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) était un ardent défenseur d’une vaccination obligatoire pour le personnel soignant. Les socialistes flamands sont frustrés par l’attitude inconstante de leurs camarades francophones. « C’est très difficile de travailler avec ce PS », disent les quelques indiscrétions recueillies par le Morgen.
Contexte agité
Par ailleurs, le PS subit une énorme pression des sondages, qui tournent autour de 20%, un niveau désastreux pour le parti. Il y aussi les attaques incessantes, à droite, du président très (trop ?) affirmé du MR, Georges-Louis Bouchez. A gauche, on retrouve la menace du PTB, qui ne manque pas une occasion de tacler les socialistes. Et puis, il y a les syndicats qui se montrent très critiques, actuellement. Enfin, le fait que près de 4.000 infirmières aient défilé mardi à Bruxelles contre la vaccination obligatoire fait mal au PS. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’ils se sont également arrêtés au siège du PS.
Ce contexte agité perturbe fortement le PS. Magnette a réuni tous les ministres et chefs de groupe le week-end dernier pour discuter de la stratégie à adopter pour les mois à venir, selon Le Soir. Le président a fait un long exposé, entre autres sur la façon de lutter contre le PTB. Cependant, il n’y a pas de grands changements de cap, dit-on en interne.
Magnette mène le jeu d’une manière différente de ses prédécesseurs, remarque également le Morgen. Alors qu’avec un Elio Di Rupo, toutes les décisions importantes passaient par le président, Magnette a moins de contrôle sur la coordination. « Di Rupo préparait également chaque dossier dans les moindres détails », explique Delwit.
Dans le dossier de la vaccination obligatoire, ce n’est qu’après avoir affronté les vents contraires des syndicats que Magnette a retourné sa veste. En outre, le plutôt pragmatique Dermagne manque d’expérience au niveau fédéral pour anticiper ce genre d’opposition.
La relation entre Magnette et Dermagne battrait quelque peu de l’aile, alors que le second est pourtant considéré comme un confident absolu par le premier. Il y aurait même des rumeurs sur un éventuel remplacement de Dermagne. Le secrétaire d’État Thomas Dermine est prêt. Même si les chances sont faibles, et que cet élément ne résoudrait pas entièrement le malaise du parti.
« Sabotage » de la N-VA: les critiques restent vives chez les francophones
Les critiques ne tarissent pas, du côté des partis francophones, envers la manière dont le dernier Comité de concertation consacré à la situation sanitaire a été organisé. Au coeur de ces critiques: la N-VA. « Je suis en colère depuis vendredi, par rapport à l’instrumentalisation du Codeco par la N-VA, et ses conséquences », indique le vice-Premier Ecolo Georges Gilkinet dans un entretien au Soir. « On a dû travailler dans la précipitation, dans l’urgence », critique un autre vice-Premier, le socialiste Pierre-Yves Dermagne, au micro de LN24. Tandis que le président du MR Georges-Louis Bouchez regrette auprès de Bel RTL l’attitude de Jan Jambon: « Convoquer des réunions via la presse comme le ministre-président flamand l’a fait, ce n’est certainement pas une manière de gérer ça utilement, avec sang froid ».
La Saint-Nicolas anversoise
Selon Georges Gilkinet, l’histoire de la Saint-Nicolas anversoise est bien véridique: Jan Jambon aurait demandé au fédéral de convoquer un nouveau Codeco et d’interdire les activités en intérieur avant le week-end, sur demande de son président de parti Bart De Wever. Ce dernier n’aurait pas souhaité porter lui-même la responsabilité d’interdire un grand évènement de Saint-Nicolas dans sa ville d’Anvers où des milliers d’enfants étaient attendus. « Si c’est vrai, on est là face à une situation politique intolérable », a commenté Georges-Louis Bouchez, interrogé à ce sujet sur Bel RTL.
« L’attitude de la N-VA par rapport à la pandémie est totalement irresponsable. Ce sont eux qui ont empêché à certains moments de prendre les mesures nécessaires, notamment lorsqu’il y avait plus de vaccinés en Flandre, alors ils freinaient. Ici, leur attitude a conditionné tout le Codeco, cela nous a conduits à agir d’une façon qui n’est pas optimale » (notamment sur la fermeture des écoles), appuie Georges Gilkinet dans les pages du Soir, parlant même de « sabotage ».
Plus globalement, l’écologiste s’attaque à la « manière de travailler » du fédéral, un refrain déjà entamé la semaine dernière par le PS. « Je lance un signal d’alarme sur la manière de travailler, de prendre les décisions vis-à-vis du personnel de la santé, des écoles, de la culture, de la société en général », indique-t-il dans son entretien avec le quotidien.
PS et Ecolo, qui sont tous deux représentés dans l’équipe d’Alexander De Croo, se rejoignent donc sur ces grandes lignes: ils avancent un besoin de réponses mieux préparées, d’une vision à plus long terme, d’une certaine prévisibilité des mesures. Pierre-Yves Dermagne évoque une nouvelle fois le « baromètre » corona, (sur LN24), et parle de futures mesures de soutien aux soins de santé. Georges Gilkinet pousse pour « renforcer notre système de soins de santé », « améliorer les conditions de travail et de rémunération » des soignants ».
« On a un système de santé qui coute déjà beaucoup d’argent », estime quant à lui le président du MR Georges-Louis Bouchez. Celui-ci avance qu’il y a cependant des améliorations à faire dans « l’organisation des soins de santé », par exemple dans la manière d’utiliser aux soins intensifs certains types d’infirmiers plutôt que d’autres, etc.
Avec Belga, De Morgen, Bel RTL, Le Soir, LN24.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici