Gwendolyn Rutten
« Cher Peter Mertens, votre vision du monde est négative, s’inscrit dans le passé et baigne dans un climat de lutte des classes »
Lundi dernier, le président du PTB Peter Mertens a écrit une lettre à Gwendolyn Rutten au sujet de la flexibilisation du système de la semaine des 38 heures. Aujourd’hui, la présidente de l’Open VLD lui répond.
Monsieur Mertens,
Cher Peter,
Merci pour votre lettre ouverte. En tant que politique, j’opte pour un débat basé sur des arguments de fond et j’estime que les discussions sont une plus-value pour la démocratie que je chéris particulièrement. J’écris cette lettre par respect pour les lecteurs qui sont – à juste titre – à la recherche d’informations afin qu’ils puissent se faire un jugement objectif et rationnel. Je ne l’écris pas pour vous convaincre, car je ne réussirai pas.
Cher Peter Mertens, votre vision du monde est négative, elle s’inscrit dans le passé et baigne dans un climat de lutte des classes
Les communistes et les libéraux ont effectivement une vision du monde et de l’humain fondamentalement différente. La mienne est optimiste, tournée vers l’avenir et vise à émanciper. La vôtre est négative, s’inscrit dans le passé et baigne dans un climat de lutte des classes. Une lutte des classes réglée depuis des années dans notre pays.
L’image que vous donnez d’employés pressés comme des citrons obligés de subir le fouet du patron s’inscrit dans un passé révolu. La lutte sociale au 19e siècle et le développement d’une sécurité sociale forte au 20e siècle étaient utiles et nécessaires. En matière de protection sociale, la Belgique est un des meilleurs pays du monde pour vivre et travailler.
Aujourd’hui, nous vivons au 21e siècle. Le pouvoir se situe de moins en moins au niveau des organisations hiérarchiques et de plus en plus au niveau de l’individu. Aujourd’hui, plus que jamais, l’employé peut faire preuve d’assertivité. Là aussi, c’est une différence fondamentale entre nous : je crois que la solution consiste à faire travailler un maximum de personnes en fonction de leur envie et au rythme qu’elles choisissent.
Et avant que vous répondiez que proposer un choix aux employés implique que c’est le patron qui décidera quand on travaillera, j’aimerais vous confronter à une autre partie de la réalité que vous ne voulez pas voir. De plus en plus, les employeurs doivent fournir des efforts pour attirer et garder leur personnel. Je trouve que c’est une bonne chose. Ils le font en tenant compte de l’individu, en lui proposant du sur mesure et d’avoir son mot à dire. Le travail faisable n’est effectivement pas seulement une question de durée de travail, mais aussi de contenu du job.
Votre opposition à cette évolution tourne essentiellement autour de l’opposition contre la perte de pouvoir. Plus précisément la perte de pouvoir des syndicats – mais aussi les organisations des employeurs. En soi, la prise en compte du nombre d’heures travaillées par an n’est pas nouvelle. La possibilité existe depuis les années 80. Si vous connaissiez le terrain aussi bien que vous le dites, vous sauriez que le principe est déjà appliqué dans de nombreux secteurs, tels que l’alimentation ou le textile.
Récemment, la réglementation a été assouplie sous le gouvernement Di Rupo -un socialiste de l’école conservatrice. Aujourd’hui, la grande innovation c’est que la prise en compte du nombre d’heures travaillées par an devient un principe général pour lequel il ne faut plus négocier par secteur et pour lequel il ne faut donc pas d’accord des syndicats. C’est là que le bât blesse. Il est légitime de défendre cette mesure depuis votre position de parti communiste, mais ce n’est pas dans l’intérêt général et pas du tout dans celui de l’employé individuel.
Cela signifie-t-il, cher Peter, qu’il n’y a pas d’abus? Bien évidemment que si. Malheureusement. Tout comme en politique, il y a des gens qui restent coincés dans un passé lointain ou qui voient le salut dans l’oppression, vous avez la même chose en économie. Dans toutes les sociétés, il y a des gens qui flirtent avec les limites. Qui pensent qu’en exploitant, on obtient plus qu’en émancipant.
Ils se trompent lourdement et moi aussi j’aspire à mettre fin à ces excès. Dans une société où la transparence et le partage d’informations sont la norme, les employeurs qui sont restés coincés dans le passé sont cloués au pilori. Demandez à Walmart ou à Amazon. Ce sont des endroits où personne ne veut travailler et qui ont donc de plus en plus de mal à trouver des collaborateurs. Il faut mettre fin à la fraude, de quelque nature qu’elle soit – fiscale et sociale.
On réforme une société de l’intérieur et c’est ce que fait cet accord. On offre plus de possibilités. On donne plus de liberté. Oui, ces entreprises bénéficient de plus de flexibilité. C’est important nous souhaitons encore des emplois privés dans ce pays. Lors du débat, j’ai dit clairement que mon objectif n’est pas de concurrencer les conditions de travail en Chine. Au contraire. Je suis persuadé que le commerce, la numérisation et la globalisation feront bouger la situation des employés partout dans le monde dans notre sens et pas l’inverse. Mais je plaide à fond en faveur d’investissements et de travail chez nous.
Cet accord permettra aussi aux employés de mieux s’organiser. Rentrer tôt quand les enfants sont en examens ? C’est parfaitement possible si vous travaillez un peu plus longtemps à un autre moment. Cette durée de travail plus longue n’est d’ailleurs pas extensible à l’infini : le maximum c’est neuf heures par jour, tout comme la limite de 45 heures par semaine. Et si dans votre envie de faire peur aux gens, vous voulez être correct : dans cet accord il y a une semaine de 31 heures contre chaque semaine de 45 heures. Ces jours-là, vous pouvez envoyer votre enfant moins longtemps à la crèche et comme vous pouvez convenir de votre planning avec votre employeur, vous pouvez même peut-être passer des journées complètes chez vous.
L’essentiel de notre vision, Peter, c’est que nous ne croyons pas à une seule solution « one-size-fits-all ». Je suis d’avis que la réponse à la révolution que nous vivons sera sur mesure. Pour certains, la journée de 6 heures constitue peut-être une réponse. J’ai hâte de voir les expériences à ce niveau. Mais d’autres préféreraient faire davantage que les 7,5 heures ayant cours aujourd’hui. Cela aussi c’est de la liberté. Offrir l’opportunité aux gens de faire leurs propres choix.
Même s’il s’agit de choix que vous ne feriez pas vous-même.
Cordialement,
Gwendolyn
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