Dans le rapport des coformateurs Magnette et De Croo, pas de grand projet pour les deux cents ans du royaume. © belgaimage

Bicentenaire de la Belgique: quels grands projets la Belgique a-t-elle pour 2030 ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

En novembre 2019, Paul Magnette, en mission royale, voulait former un gouvernement sans la N-VA qui « prépare des projets symboliques et d’infrastructures importants » pour les 200 ans de la Belgique, en 2030. Cette ambition a disparu de l’accord du gouvernement De Croo, installé début octobre 2020. Mais où est donc passé le bicentenaire?

C’était dans le monde d’avant, celui d’avant la pandémie. Celui de quand le monde d’après ne semblait pas encore prêt, et s’annonçait avec moins de grandiloquence. Celui de novembre 2019, dans lequel la Belgique n’avait pas de gouvernement, et dans lequel Paul Magnette avait été désigné informateur par le roi.

Alors aussi soucieux de consolider un partenariat avec les verts que d’écarter sans en avoir l’air la N-VA, le Carolo avait suivi une suggestion de Kristof Calvo, chef de groupe à la Chambre et négociateur Groen. Les progressistes sous-estiment parfois l’importance des symboles, en Belgique en particulier. Mais les 200 ans d’un pays sont « un moment important, que nous devrons célébrer tous ensemble, sans exclure personne, ni les Régions ni les partis qui ne sont pas dans le gouvernement », observe le vert malinois. C’est bien vu. Paul Magnette inscrit donc une proposition, « la perspective du bicentenaire de la Belgique pourra être utilisée pour préparer des projets symboliques et d’infrastructures importants pour notre pays », dans les deux versions d’une note que Bart De Wever qualifiera de « bouillie rouge-verte ». Son cinquantenaire lui avait offert un Cinquantenaire, inauguré en 1880, vraiment terminé pour son 75e anniversaire en 1905, elle s’était dotée du stade du Centenaire (aujourd’hui le Roi Baudouin) en 1930, et d’ici à 2030, la Belgique se serait donné une décennie pour un bicentenaire: pour s’ériger un de ces monuments nécessaires, pour organiser un de ces grands événements populaires et, surtout, pour déjouer les pronostics délétères. Survivre à ces deux lustres de préparatifs, c’était sauter l’obstacle de 2024, dont certains nationalistes flamands veulent faire un tremplin, et c’était prendre un élan vers un troisième siècle.

Que l’on puisse vivre cet anniversaire ensemble.

Mais, dans ce monde d’avant, le MR, l’Open VLD et le CD&V ne sont pas prêts à gouverner sans la N-VA, et cette mission de Paul Magnette sera un échec, comme plusieurs autres par la suite. Quelques semaines plus tard, alors que de lacunaires informations arrivent à peine de Chine quant à une mystérieuse infection pulmonaire, le roi Philippe, dans ses voeux aux corps constitués, mentionne pour la première fois la perspective du bicentenaire de son royaume, pour « que l’on puisse vivre cet anniversaire ensemble », dit-il.

Paul Magnette fait un clin d’oeil à Kristof Calvo. Aucun d’eux n’imaginait ce qu’il y aurait dans le monde d’après, ni qu’il se rapprochait si dangereusement. La première vague de la pandémie saisit la Belgique à la gorge, et c’est alors, disaient-ils tous, que la Belgique en finirait avec le monde d’avant. Pourtant, il fallut mille rebondissements, cent volte-face et autant de malédictions pour que soit installé un gouvernement majoritaire de plein exercice.

Le président du MR affiche ses couleurs patriotes. Il ne se privera pas de lancer quelques idées pour 2030, sans doute dès 2021.
Le président du MR affiche ses couleurs patriotes. Il ne se privera pas de lancer quelques idées pour 2030, sans doute dès 2021.© belgaimage

Et pourtant il fallut que sourde la deuxième vague d’une pandémie mondiale pour qu’ils s’entendent, ces sept partis que Paul Magnette avait voulu, en novembre 2019, rassembler autour de sa « bouillie rouge-verte »: la majorité à sept partis et quatre tendances, dite Vivaldi, ne terminerait ses négociations qu’à la fin du mois de septembre 2020.

Et pourtant « ma note d’alors était à 80% similaire à l’accord du gouvernement De Croo« , répétait encore Magnette, le 27 décembre, dans l’hebdomadaire flamand De Zondag.

Entre-temps, les partis qui avaient, en novembre 2019, refusé de lâcher la N-VA, se plurent ou se forcèrent à la lâcher.

Mais pourtant, entre-temps, l’idée de « préparer des projets symboliques et d’infrastructures importants pour notre pays » avait disparu. Dans les 85 pages du rapport que les deux coformateurs, Paul Magnette et Alexander De Croo, présentèrent au roi le 30 septembre, il n’y avait plus trace d’un grand monument, d’une marquante infrastructure, ni d’un important événement. « L’idée a été abandonnée, et je le regrette », a avoué récemment sur LN24 Paul Magnette.

Le running gag de Calvo

2030, la date, n’est pourtant pas absente de l’accord, ce qui a du reste fait penser à beaucoup d’observateurs que la Vivaldi s’engageait pour dix ans. L’échéance est mentionnée à seize reprises dans le document de 85 pages et six chapitres: d’ici là, les inégalités de santé doivent avoir diminué de 25%, le taux d’emploi doit monter à 80%, le taux d’investissements publics doit se hausser à 4% du PIB, le fret ferroviaire doit doubler, les dépenses militaires doivent répondre aux réquisits de l’Otan, celles de coopération au développement à ceux de l’ONU, le nombre de morts sur les routes doit baisser de moitié, et les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de 55%. « En 2030, année du bicentenaire, la Belgique pourrait alors apparaître en Europe comme un modèle de dynamisme économique, de solidarité efficace et de développement durable« , écrivent même Alexander De Croo et Paul Magnette, juste avant de poser leur signature, à la dernière ligne de l’introduction de leur rapport. Mais de « projets symboliques et d’infrastructures importants pour notre pays », plus aucune trace.

Dans les derniers moments des négociations, cette date de 2030 était devenue comme un mantra.

« Dans les derniers moments des négociations, cette date de 2030 était devenue comme un mantra », se rappelle un négociateur. « Une espèce de running gag entre Calvo, qui voulait ajouter « bicentenaire » à chaque ligne, et tous les autres« , précise un autre. « Ça tournait par moments à la discussion de café, c’est-à-dire, au fond, à rien du tout, et je pense que ça a beaucoup contribué à ce que le gouvernement ne lance aucun projet concret pour le bicentenaire. L’équilibre était si fragile à préserver que venir avec ça, c’était la garantie de tout déstabiliser… et, en fait, la certitude de ne pas le réaliser, parce que l’idée aurait été explicitement mise de côté« , ajoute un troisième. « Tout le monde était fatigué, il n’y avait plus beaucoup de temps, et donc ce n’était pas le projet phare, sauf bien sûr pour Calvo », résume un quatrième.

Le dernier rallié de la Vivaldi, le CD&V, était le moins enthousiaste à gouverner sans la N-VA. Il est, des sept partenaires fédéraux, le moins enclin, par son histoire comme par ses ambitions, à plonger dans une ivresse belgicaine. Il est le seul à être embêté par cette campagne « Une équipe, 11 millions » lancée dans les trois langues et les trois couleurs nationales par les autorités fédérales pour inciter la population à poursuivre les efforts. Il n’y a que lui qui souffre que l’opposition nationaliste flamande taxe cette propagande de ringardise.

Et c’est pour lui que cette grande idée d’un grand projet pour 2030 a été formellement abandonnée. « Il n’y a même pas eu à le dire, et Joachim Coens n’a même pas eu à le demander, tant c’était évident », explique un président de parti.

« C’est vrai, mais les possibilités restent ouvertes, et les trois termes de l’introduction au rapport des deux coformateurs le montrent bien: le court terme, c’est la crise du coronavirus, le moyen terme ce sont les réformes sociales, fiscales, environnementales et institutionnelles, sur lesquelles nous devons commencer à travailler dès 2021, et le long terme, c’est cette perspective de 2030 avec des projets qui vont éclore », pose Kristof Calvo, qui verrait bien la Belgique championne d’Europe et pourquoi pas du monde, d’ici là, et la princesse Elisabeth monter sur le trône à cette date. Et qui se promet de bientôt venir avec des initiatives, notamment au Parlement, qui réconcilieraient les Belges avec leur nation.

Kristof Calvo, chef de groupe Groen à la Chambre, verrait bien la princesse Elisabeth succéder au roi Philippe d'ici à 2030.
Kristof Calvo, chef de groupe Groen à la Chambre, verrait bien la princesse Elisabeth succéder au roi Philippe d’ici à 2030.© belgaimage

Exposition universelle?

Car si, bien sûr, dans l’entourage du Premier ministre, on temporise, compte tenu de l’urgence sanitaire et de ses conséquences sociales et économiques, compte tenu aussi du fait que d’ici à 2030 il reste encore dix ans et au moins deux campagnes législatives, on n’en est pas moins déjà en train d’y penser. Dix ans peuvent sembler lointains, mais les délais entre la prise d’une décision, sa mise en oeuvre et sa réalisation effective, eux, rapprochent souvent l’échéance d’une décennie.

La Belgique ne connaît que trop bien les grands chantiers qui s’éternisent: il y a d’ailleurs déjà vingt ans qu’elle a prévu de rénover ou de reconstruire son stade du Centenaire. La candidature pour un événement comme une Exposition universelle – il y en aura une en 2030 – doit être envoyée au Bureau international des Expositions au plus tôt neuf ans et au plus tard six ans avant sa date d’ouverture.

Comme il n’y a pas d’engagement collectif, les initiatives individuelles sont permises.

Une tel projet ne s’improvise pas. Il se lance, se discute et se prépare. Et puisqu’il n’a pas été lancé par tous les signataires de l’accord de gouvernement, tous seront libres de s’en attribuer la parenté. « Comme il n’y a pas d’engagement collectif, les initiatives individuelles sont permises. Et je vois mal des gens pour qui la Belgique est importante, comme Calvo, Bouchez, De Croo, ou même Magnette, rater cette occasion de donner une tournure concrète à leur positionnement », jauge un président francophone.

Une manière d’émulation belgicaine verra chacun, sans doute dès 2021, concourir pour faire prévaloir sa certaine idée du bicentenaire aux dépens de celle des autres. Toutes, pourtant, porteront « des projets symboliques et d’infrastructures importants pour notre pays ».

2030 en 2026

Mais certains d’entre eux seront, en fait, déjà réalisés sans qu’aucune reine Elisabeth ne souffle deux cents bougies. Entre la note de novembre 2019 et l’accord de septembre 2020 en effet, le monde a changé, et l’Europe est censée le démontrer. La Commission, qui attend les plans de relance des Etats membres pour le printemps, exige, pour en financer les grands travaux, qu’ils soient livrés pour 2026.

« On avait pensé rénover un lieu emblématique comme le Cinquantenaire, avec ses musées, pour le bicentenaire, c’est vrai », se souvient Thomas Dermine, qui était directeur de l’Institut Emile Vandervelde, et donc qui tenait la plume de Paul Magnette, en novembre 2019, et qui est depuis octobre dernier secrétaire d’Etat à la Relance d’Alexander De Croo. « Intégrer cette ambition, par exemple sur le Cinquantenaire, au plan de relance, eh bien, c’est en avancer la réalisation de plusieurs années », se réjouit-il.

Il y a eu la Noël en été, il y aurait le bicentenaire de 1830 en 2026: il n’y a plus de saisons dans le monde d’après.

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