Paul Magnette et Alexander de Croo. © Belga

Quand Paul Magnette regrette quand même de ne pas avoir été Premier ministre (analyse)

Olivier Mouton Journaliste

Le président du PS rêvait du Seize comme Nicolas Sarkozy de la présidence française en se rasant le matin. C’est une considération rationnelle qui l’a contraint à proposer le poste à Alexander De Croo. Avec le recul, il se confie.

Parmi les instants qui auront marqué l’année 2020, il y aura incontestablement ce huis-clos rapide survenu le 30 septembre au petit matin entre Alexander De Croo (Open VLD) et Paul Magnette (PS), suite auquel le libéral flamand est devenu Premier ministre. L’heureux élu confie avoir hésité avant de prendre en mains son destin. Le socialiste francophone, lui, avouait ce week-end au Zondag qu’il aurait bel et bien rêvé de devenir le locataire du Seize rue de la Loi.

Rapide, ce moment le fut, incontestablement, même si il avait forcément été balisé à l’avance. Deux minutes, en tout et pour tout, dans une petite cabine de traduction jouxtant la salle où avaient lieu les négociations en séance plénière. « Lorsque nous avons été nommés formateurs, nous avons abattu un travail de titan avec Paul Magnette, expliquait la semaine dernière Alexander De Croo à La Libre. Le premier octobre, vers six heures du matin, le travail était terminé. Paul et moi nous nous sommes regardés et nous sommes dit: peut-être qu’on doit se parler. On ne savait toujours pas qui serait Premier ministre… On s’est isolé à deux dans un petit kot réservé aux traducteurs. Cela a duré deux minutes… »

S’il fut rapide, c’est aussi parce que, rationnellement, le choix d’un Premier ministre flamand était le plus judicieux compte tenu du contexte politique. C’est ce que Paul Magnette confirmait dans un entretien accordé à Zondag ce week-end, en confiant ses émotions de 2020. Ce qui ne le prive pas d’exprimer cette fois qu’il rêvait de la fonction, un peu comme Nicolas Sarkozy rêvait de devenir président français en se rasant le matin.

« C’était une considération rationnelle, explique-t-il. Le gouvernement n’a pas de majorité en Flandre. L’accord est plutôt de centre-gauche, alors que la Flandre est plutôt de centre-droit. Les trois Premiers ministres précédents étaient également francophones (Elio Di Rupo, Charles Michel- Sophie Wilmès, un trilogie historique Ndlr). Un nouveau Premier wallon, qui plus est un socialiste de gauche, aurait fait pire que bien. Je ne voulais pas donner des munitions faciles à la N-VA et au Vlaams Belang. Si j’avais été Premier, ils auraient tiré sur la personne pendant quatre ans. Je ne voulais pas prendre ce risque. Vous devez penser à la stabilité du pays. Que se passerait-il si la N-VA et le Vlaams Belang obtenaient ensemble une majorité en 2024, formaient ensuite un gouvernement flamand et bloquaient le pays? Je ne voulais pas avoir cela sur la conscience. Je n’en dormirais plus. »

Rationnel, le choix s’enracine aussi dans une crainte irrationnelle. L’histoire dira si ce scénario d’une alliance N-VA / Vlaams Belang pour l’indépendance de la Flandre, digne du Bye Bye Belgium, ce docu-fiction de la RTBF en 2006, pourra être évité avec la nomination d’un Premier ministre flamand de centre-droit. C’est le cauchemar qui peuple les nuits blanches des responsables politiques francophones. Les premiers signaux ne sojt pas négatifs: Alexander De Croo est devenu le politique le plus populaire du pays, singulièrement au Nord où il devance Bart De Wever, et le président de la N-VA a confié que, en ce qui le concerne, il ne s’allierait pas au Vlaams Belang.

Paul Magnette, l’ancien politologue de l’ULB propulsé en politique par Elio Di Rupo, regrettera-t-il de ne pas avoir saisi cette chance historique? Pour la première fois, il confie ouvertement au Zondag qu’il rêvait vraiment de la fonction. Ce n’est, en soi, pas une surprise: lors des négociations, alors que le MR s’accrochait à l’idée que Sophie Wilmès pourrait rester au Seize, les socialistes francophones avaient lancé plus d’une fois le signal que ce Graal revenait en soi à la première formation politique de la Vivaldi en gestation. Mais le MR, de son côté avait exprimé un « veto non négociable », dit-on dans ses rangs, à son encontre: d’où le choix final de De Croo, par annihilation réciproque?

« Ce n’était pas une décision facile, confie-t-il à nos collègues. Enfin, je l’avoue: j’aurais aimé devenir Premier. C’est aussi logique. J’ai écris moi-même de grandes parties de l’accord de gouvernement. Ce n’était dès lors pas émotionnellement facile de dire à Alexander: fais-le toi. Est-ce que j’ai des regrets? Oui, un peu. J’ai eu quand même deux semaines difficiles après cela. Mais cela me renforce d’avoir moi-même pris cette décision. »

Sa femme, confie-t-il, l’aurait même encouragé à le faire: elle préférait le voir heureux en tant que Premier ministre plutôt que de le voir bouder à la maison. Ses détracteurs, qui louent ses capacités de réflexion politique mais moquent parfois sa capacité à travailler durement, diront sans doute qu’il gardera le temps de faire du pain à domicile, lui qui a publié un livre consacré à cette passion.

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