Le numéro 1 de la police fédérale, Marc De Mesmaeker, et son numéro 2, André Desenfants, se livrent une lutte sourde pour savoir qui portera le chapeau des ratés de la communication autour du décès de Jozef Chovanec. Avantage au premier... © belga image/photonews

Affaire Chovanec: six officiers supérieurs menacés de sanctions graves

Crise de confiance à la police fédérale. Le commissaire général est exempté de tout reproche dans l’affaire Chovanec, alors que des procédures disciplinaires visent, non pas trois, mais six officiers supérieurs, a appris Le Vif.

En décembre dernier, le comité de contrôle des services de police (Comité P) a remis au Parlement un rapport sévère sur le « flux d’information dans le cadre de l’arrestation de Monsieur Chovanec » et le pourquoi de la non-connaissance du « salut nazi » effectué par une policière dans la cellule de Jozef Chovanec. Le ressortissant slovaque est décédé le 27 février 2018 des suites de son arrestation à l’aéroport de Charleroi pour non-présentation de ses papiers d’identité. De ce rapport, il ressort l’image d’une police où la mort d’un étranger dans une cellule d’aéroport se perd dans des méandres bureaucratiques.

Au niveau politique, l’affaire est traitée superficiellement par le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA), aujourd’hui ministre-président de la Région flamande. Celui-ci a été jusqu’à nier une rencontre avec l’ambassadeur de Slovaquie, inquiet pour son ressortissant, avant de plaider une erreur de communication. Emballés par la notion d’efficacité, les membres policiers de son cabinet contournaient régulièrement les voies hiérarchiques pour s’adresser directement aux responsables policiers concernés, en l’espèce, le directeur de la police aéronautique (LPA), « by-passant » ainsi la commissaire générale (CG) et son numéro 2, le directeur général de la police administrative (DGA), rendu « sourd et aveugle » par une accumulation de non-transmission d’informations, souligne le rapport du Comité P. Pour compléter le tableau, on ajoutera qu’au moment des faits, la commissaire générale Catherine De Bolle voyageait beaucoup pour sa candidature à Europol.

La mort d’un étranger dans une cellule d’aéroport se perd dans des méandres bureaucratiques.

Le Comité P a débordé sa saisine (le « flux d’information ») pour y joindre une dénonciation de la « culture » de la police aéronautique de Gosselies (LPA Gosselies), où le « salut nazi » aurait été proprement négligé. Cela vaut au chef de service, V. M., une procédure disciplinaire lancée par la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden (CD&V). L’ironie veut que le directeur général du service d’enquête du Comité P ait contresigné sans s’émouvoir les procès-verbaux de ses enquêtrices qui ont réalisé les auditions des policiers de Charleroi pour le compte de la juge d’instruction… L’incident du « salut nazi » y était relaté. Les membres de la commission parlementaire de suivi des Comités P et R s’en sont étonnés. « Le dossier Chovanec était couvert par le secret de l’instruction et le Comité P ne dispose d’aucune compétence disciplinaire. C’était au parquet à dénoncer les faits… », a justifié la nouvelle présidente de l’organe de contrôle.

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Qui est visé par les sanctions disciplinaires?

La communauté policière est bouleversée par la mise en cause de ce qu’on appelle communément des « lampistes » (pour certains), « un cas d’école », estime un responsable syndical, « on ne laissera rien passer ». Trois procédures disciplinaires émanent de la ministre de l’Intérieur et trois du commissaire général. Elles sont assorties de propositions de sanctions lourdes, en l’occurrence, un mois de suspension pouvant conduire à la perte de leur fonction pour les titulaires de mandats dirigeants. Les intéressés ont un mois pour déposer leur mémoire de défense et si sanction il y a, ils pourront la contester devant le Conseil d’Etat.

Dans le premier lot sont visés, par ordre hiérarchique décroissant, V. M., déjà cité, qui a depuis quitté la police aéronautique de Charleroi pour une police locale ; Danny Elst, directeur de la police aéronautique (LPA), actuellement affecté à une tâche administrative par mesure d’ordre. D’après le rapport du Comité P, il n’a pas transmis en temps réel et au bon endroit (la permanence nationale de la DAO) les informations relatives à Jozef Chovanec.

Ensuite vient le plus délicat, André Desenfants, ce directeur général « sourd et aveugle » d’une organisation de 7000 personnes. Entré en fonction en janvier 2018, il était en congé lorsque Jozef Chovanec est arrêté sur le tarmac de l’aéroport de Charleroi, le 23 février 2018. A son retour, le 28 février, il n’en est pas informé par Danny Elst qui l’a remplacé en son absence et qui, de surcroît, était la nuit du drame l’officier de police administrative (référent) de la LPA Gosselies. André Desenfants apprend la mort de Chovanec par la revue de presse de la police fédérale, le 1er mars 2018.

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Le « salut nazi » de la jeune policière de la police aéronautique de Gosselies a déclenché un scandale international.

19 août 2020: la veuve de Jozef Chovanec, Henrieta Chovancova, fait sortir les images du « salut nazi » pour réveiller l’instruction, déclare-t-elle. Scandale international. Le numéro 2 de la police fédérale, le francophone Desenfants, est poussé à faire un « pas de côté ». Au bout de quelques semaines d’absence, il a toutes les peines à réintégrer le comité de direction, barré, selon son conseil, Me Thierry Wimmer, par le commissaire général, Marc De Mesmaeker.

Le Vif a appris que trois autres commissaires divisionnaires étaient dans le collimateur à l’initiative du commissaire général. Selon le rapport du Comité P, ces trois officiers n’auraient pas réagi à divers « éléments déclencheurs ». M. D., qui était fonctionnaire de liaison de la police fédérale auprès des Affaires étrangères, reçoit, le 27 février, un courriel assez complet de l’ambassadeur de Slovaquie relatif à son compatriote Jozef Chovanec. Il ne transmet ce message qu’à un membre de la direction « communication » de la police fédérale, responsable à l’époque du protocole. Ce dernier, R. G., ne le fait pas suivre au cabinet de la CG, ni à la DGA. Il devra s’en expliquer. La troisième personne incriminée, S.D., appartenait au service presse de la commissaire générale. Le 28 février, interrogée par les médias, elle répercute leurs questions au chef de service de la LPA Gosselies, mais ne signale pas cet intérêt médiatique à Catherine De Bolle, André Desenfants ou Danny Elst.

Selon toute apparence, le contrôle interne a escamoté le rôle des uns et majoré celui des autres.

Sat inactif

Il existe toutefois un hiatus entre les dysfonctionnements pointés par le Comité P, contrôle externe indépendant (et politisé), et les initiatives disciplinaires dont Le Vif a eu connaissance. Celles-ci se basent sur les rapports de l’Inspection générale de la police, aidé d’un service nommé Tiwk qui dépend de la direction générale de la gestion des ressources et de l’information de la police fédérale (DGR). Selon toute apparence, le contrôle interne a escamoté le rôle des uns et majoré celui des autres.

C’est, en effet, le cabinet de l’Intérieur qui a reçu le premier, le 26 février 2018, une information relative à l’intérêt de l’ambassadeur de Slovaquie pour les suites de l’arrestation de Jozef Chovanec. Un conseiller-policier l’a communiquée le jour même au directeur de la police aéronautique (LPA), ainsi qu’au Service administratif et technique auprès du ministre de l’Intérieur (Sat), un organe d’une dizaine de personnes qui appuie le cabinet de l’Intérieur 24 heures sur 24 et fait le lien avec la police intégrée. Avec ce petit commentaire en néerlandais: « Etrange affaire. L’ambassadeur slovaque demande un entretien avec le ministre à ce sujet. » Le Comité P y a vu un « élément déclencheur » à la suite duquel « le Sat n’a entrepris aucune action ». Les explications du directeur et de son adjoint (actuel directeur du Sat) furent évasives: « Le Sat n’a pas de fonction de contrôle de la police et ne devrait pas non plus constituer un canal d’information parallèle », ajoutant « qu’ils pouvaient néanmoins supposer que le directeur de la LPA – qui a transmis l’information au cabinet -informerait sa propre hiérarchie (DGA) des faits. » Le Sat était dirigé par Marc De Mesmaeker, devenu commissaire général en juin 2018, et qui, aujourd’hui, a la main lourde.

Le CG fragilisé

Averti que les procédures disciplinaires à l’encontre d’officiers supérieurs passaient très mal en interne, le commissaire général de la police fédérale, Marc De Mesmaeker a refusé de réagir, renvoyant, via son service presse, vers sa longue déclaration en commission mixte de l’Intérieur et de la Justice du 1er septembre 2020. « Il est tout à fait légitime que la population, les médias, les autorités et la police s’interrogent sur le rôle joué par Marc De Mesmaeker dans ces événements, et il est tout à fait humain que certains aient des doutes », entamait-il. Oui, il était au courant de l’affaire (sans les images de la cellule et le salut nazi) dès le 26 février. Il précisait déjà que le Sat n’exerce pas d’autorité sur la police fédérale et ne peut s’immiscer dans ses compétences et procédures de gestion. « Je pouvais ainsi, raisonnablement et en toute bonne foi, m’attendre à ce que chaque échelon, chaque instance concerné, ait traité ce dossier conformément aux processus et procédures en vigueur, et par ailleurs connus. C’est avec cette même raisonnable conviction que j’ai entamé mon mandat de commissaire général. » La suite de son intervention portait sur ses propositions d’amélioration, ainsi qu’une main tendue à la famille Chovanec.

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