« Je ne joue pas le sort des églises au vogelpik ! »
Les 108 églises paroissiales de Bruxelles dépendent de lui. Mgr Jean Kockerols planche sur leur avenir. Entretien exclusif, et sans langue de buis, sur les réaffectations prévues.
Juriste et théologien, Jean Kockerols est né à Brecht, près d’Anvers, en août 1958. Evêque de Bruxelles depuis 2011, il a travaillé, avant son ordination (1993), dans le secteur maritime. L’avis de tempête concerne aujourd’hui son vicariat.
Votre projet de réduire le nombre d’églises en activité à Bruxelles suscite des réactions virulentes. Un « collectif interparoissial » affirme que « la plupart des 108 églises paroissiales sont menacées de fermeture »…
C’est scandaleux ! Je m’insurge contre de tels propos, qui relèvent de la malhonnêteté intellectuelle. D’abord, je récuse le terme de « fermeture », car il s’agit de réaffectation. Ensuite, je n’ai jamais dit que, dans les unités pastorales qui comptent quatre clochers, il n’en resterait plus que deux. « Kockerols veut même fermer les lieux de culte qui marchent », entend-on. Faux ! Mais c’est quoi un « lieu qui marche » ? Une église de 250 places dans laquelle les célébrations rassemblent 35 fidèles, alors qu’il y a une autre église au bout de la rue ?
Selon des chrétiens engagés, une politique « de repli » ne se justifie plus, car il y aurait des indices de réveil religieux.
Ces personnes, en général issues de paroisses dynamiques qui ne manquent pas de fidèles, sont peu au fait de la situation dans d’autres quartiers, où les églises sont dépourvues de communautés vivantes. Mes détracteurs font état d’un sondage selon lequel il y aurait 144 000 catholiques pratiquants réguliers à Bruxelles, soit 12 % de la population. Ce chiffre me semble énorme. Les clochers de la capitale auraient ainsi, en moyenne, plus de 1 000 fidèles. C’est aberrant !
Vous aimez rappeler que 1 300 mètres en moyenne séparent deux clochers à Bruxelles. Une façon de dire qu’il y a trop de lieux de culte catholiques dans les 19 communes ?
Ils sont souvent très proches les uns des autres. Certes, l’église structure le tissu urbain bruxellois et sa fonction dépasse l’intérêt de la seule communauté chrétienne. Je souhaite donc, autant que possible, le maintien des lieux de culte. Toutefois, il nous faut tenir compte du contexte sociétal, qui a changé en un demi-siècle, à Bruxelles comme ailleurs en Europe occidentale. Pour rester vivante, une église doit pouvoir s’appuyer, dans la durée, sur une assemblée signifiante et des équipes qui portent le lieu. Certaines, situées dans des quartiers accessibles, animées par des curés qui ont du charisme et savent s’entourer, restent des pôles de rassemblement. Pour d’autres, en mauvais état, inchauffables et peu fréquentées, il y a des questions à se poser.
Comprenez-vous les inquiétudes de paroissiens qui se demandent ce que va devenir leur clocher ?
Je les comprends. Mais certains font mousser des rumeurs sans fondement. Je n’ai jamais eu l’intention de fermer Notre-Dame de Stockel. De même, j’ai démenti tout nouveau projet de fermeture de Sainte-Catherine. Dans ce dernier cas, ce n’est d’ailleurs pas le lieu qui pose problème, mais la présence, pour animer cette église du centre-ville, de prêtres de la Fraternité des Saints-Apôtres. Ce dossier-là est géré par l’archevêque (NDLR : Mgr De Kesel a décidé, le 14 juin, de ne plus accueillir la Fraternité dans son diocèse ; toutefois, l’expérience de Sainte-Catherine pourra se poursuivre).
A ce stade, combien d’églises vont perdre toute vie paroissiale ?
Il est trop tôt pour qu’on puisse en fixer le nombre. Des unités pastorales ont déjà répondu à mes questions de façon claire, d’autres sont plus laborieuses. L’idée est de concentrer les activités pastorales dans des lieux de culte centraux, telle l’église Saint-Guidon, à Anderlecht. Dans la même commune, Notre-Dame Immaculée ne pourra conserver de telles activités, mais ce clocher de Cureghem marque une présence catholique signifiante, un lieu de mission dans un quartier à population très brassée. Pour cette raison, il convient d’y maintenir une célébration dominicale. Pour des églises plus périphériques, peu actives, une réaffectation est envisagée.
Que deviendront les églises désacralisées ?
Les réaffectations non cultuelles seront respectueuses de la destination première du lieu. Elles seront sociales et sans but lucratif. Pas question de transformer des églises en centre commerciaux ou en dancings, comme certains le disent. La chapelle de la Porte de Namur devenue un night-club est une ancienne église anglicane, qui ne dépend donc pas de ma juridiction. Des tractations sont en cours pour qu’une église d’Anderlecht et sa cure deviennent des bâtiments scolaires. Il en manque tant à Bruxelles ! L’église Saint-Hubert de Boitsfort sera en grande partie affectée à du logement qui, hélas, ne pourra être social. Pour d’autres lieux, comme Saint-François-Xavier à Cureghem, bâtiment dangereux, nous sommes dans un cul-de-sac.
Les groupes hostiles aux désacralisations assurent que des communautés étrangères cherchent à partager des lieux de célébration, mais qu’elles seraient rarement entendues.
Ils généralisent à partir d’un seul cas de refus. Il faut du discernement avant de confier un lieu de culte à une communauté. Dans le cas de figure, je n’avais pas les éléments pour décider. Mais j’ai toujours souhaité que des communautés étrangères puissent occuper des églises. Les Polonais ont repris Notre-Dame de la Chapelle, les Hispaniques sont aux Riches-Claires, les Brésiliens rue de Mérode et à Saint-Antoine de Padoue, et il y a un projet pour installer les Philippins. Nous avons aussi cédé des bâtiments aux orthodoxes serbes et roumains. L’idéal, selon moi, est qu’il y ait un partage du lieu avec les fidèles du quartier. Mais si cela ne peut se faire, je n’ai pas d’objection fondamentale à un usage exclusif de l’église par une communauté étrangère.
N’avez-vous pas une part de responsabilité dans le dialogue de sourds actuel ?
Peut-être y-a-t-il, de notre côté, un déficit de communication. Voilà pourquoi je prépare une lettre pastorale, qui sortira cet automne. J’y expliquerai tout ce qui est entrepris.
Certains assurent que vous agissez « en catimini »…
Je m’inscris en faux contre cette accusation. Je ne passe pas mon temps, dans mon bureau, à lancer des fléchettes sur ma carte murale de Bruxelles où figurent tous les clochers ! Je ne joue pas leur sort au vogelpik ! Tout est discuté avec les doyens et responsables d’unités pastorales. Prêtres et laïcs participent à la réflexion. Faut-il pour autant que tout le monde décide de tout ? Non, ce serait ingérable ! Car chacun a tendance à affirmer que tout va pour le mieux dans sa paroisse. Si je mettais les décisions sur l’avenir de certaines églises au vote, rien n’avancerait.
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