
Vos données Facebook et Instagram pour nourrir l’IA de Meta: «Devoir s’y opposer proactivement est extrêmement surprenant»
Meta collectera les données publiques des utilisateurs européens sur ses plateformes (Facebook et Instagram) pour entraîner son modèle d’intelligence artificielle. L’utilisateur peut s’y opposer en devant faire une démarche volontaire. Un revirement qui interpelle.
L’intelligence artificielle de Meta, «Meta AI», s’est invitée dans les réseaux sociaux de la société le mois dernier en Europe. Avec un changement majeur depuis une semaine: les utilisateurs européens de plus de 18 ans verront leurs données publiques collectées afin d’entraîner l’IA. Cela concerne tout ce qui est publié sans restriction sur les réseaux comme Facebook ou Instagram, «à l’exception des messages privés des utilisateurs avec leurs amis et leur famille», tout comme les contenus des utilisateurs mineurs, assure la firme de Mark Zuckerberg.
Dans un message, Meta explique ce choix par la volonté de «développer une IA qui ne soit pas seulement disponible pour les Européens, mais qui soit réellement conçue pour eux». Les utilisateurs de Facebook et Instagram ont reçu, ou vont recevoir, une notification de la part de Meta leur indiquant ce changement de règles ainsi que la procédure pour s’y opposer. Celle-ci consiste en une simple identification par courriel et une raison pour justifier l’opposition, qui est facultative. La démarche doit être effectuée ici pour Facebook et via ce lien pour Instagram.
Concrètement, les données récoltées peuvent comprendre le nom, la photo de profil, l’activité dans les groupes, pages Facebook et canaux publics, l’activité sur des contenus publics, comme les commentaires, évaluations ou sur Marketplace par exemple, ainsi que les contenus (message, image, vidéo, réel) que l’utilisateur aura rendu public sur son profil. Idem côté Instagram.
En cas de non-réaction, l’approbation de la part de l’utilisateur est supposée acquise et l’IA pourra commencer à engloutir les données. Une nécessité pour entraîner ces modèles, capables ensuite de générer du contenu basé sur ce qu’ils ont emmagasiné.
«Opt-out», le consentement par défaut
Cette démarche de retrait de consentement interroge, dans un monde numérique européen régit depuis 2018 par le Règlement général sur la protection des données (RGPD). L’an dernier, Meta avait d’ailleurs été retoqué sur ce même projet en Europe, estimé contraire aux règles concernant la vie privée. Un avis positif du Comité européen de la protection des données (CEPD) est finalement intervenu en décembre dernier, «confirmant que notre approche initiale était conforme à nos obligations légales», annonce Meta.
«Le mois dernier, la version « soft » de l’outil, sans collecte de données, a été rendue disponible. Aucun changement n’est intervenu depuis cet avis du CEPD, mais Meta y ajoute désormais cette collecte en plus, c’est assez étonnant. Pourquoi avoir attendu un mois? Le choix de « l’opt-out », soit l’obligation de refuser proactivement et individuellement, est également extrêmement surprenant», analyse Xavier Degraux, expert en marketing digital et réseaux sociaux.
L’un des fondements du RGPD affirme le besoin de consentement explicite de l’utilisateur pour pouvoir récolter ses données. La notion d’intérêt légitime permet de se passer de ce consentement, afin de récolter uniquement certaines données essentielles. C’est ainsi qu’il est impossible de refuser certains cookies en surfant sur le Web, ceux-ci étant jugés essentiels au bon fonctionnement du service, donc d’un intérêt légitime.
«Cette notion peut clairement être interrogée dans le cadre de l’IA de Meta. Quel est l’intérêt légitime derrière cette collecte? D’autres géants du monde de la tech pourraient exploiter cette brèche et procéder par « opt-out » si aucune réaction n’intervient», explique le spécialiste.
L’intérêt légitime en question
L’organisation autrichienne NOYB ( None of your business, «Pas tes affaires»), qui milite pour la protection de la vie privée, réfléchit d’ailleurs à sa prochaine réaction. Elle se félicitait, l’an dernier, de la pause du projet de Meta AI et ne peut que déplorer sa mise en œuvre douze mois plus tard. «Avec cette annonce, Meta commence ce qu’elle avait prévu en 2024: entraîner illégalement son IA avec les données personnelles d’utilisateurs européens. Nous avons déjà déposé des plaintes contre Meta pour ce traitement illégal et nous assurerons le suivi auprès des autorités de contrôle», affirme NOYB face à la décision.
Selon l’ONG, l’avis de la CEPD a été interprété trop largement par Meta et «le droit fondamental des utilisateurs européens à la protection de leurs données l’emporte sur l’intérêt légitime de Meta pour cette activité de traitement extrêmement large». Vouloir entraîner l’IA semble en effet relativement flou, quand bien même Meta affirme qu’il est important de le faire sur une multitude de données «afin que les modèles d’IA puissent comprendre les nuances, les complexités incroyables et diverses qui composent les communautés européennes.»
Un argumentaire fallacieux pour NOYB, qui rappelle que dans d’autres affaires concernant la vie privée, Meta a été débouté. «La Cour de justice de l’Union européenne a déjà clairement indiqué que Meta n’avait pas d’intérêt légitime à faire prévaloir sur le droit des utilisateurs à la protection des données lorsqu’il s’agit de publicité ciblée. Pourtant, l’entreprise tente d’utiliser les mêmes arguments pour l’entraînement d’une technologie d’intelligence artificielle non définie. Il semble que Meta ignore une fois de plus de manière flagrante les arrêts de la Cour», détaille Max Schrems, activiste et cofondateur de NOYB.
IA et réseaux sociaux, le nouvel amour fou
Si Meta se lance à corps perdu dans l’intelligence artificielle, quitte à imposer en attendant une réaction, c’est que l’intérêt pour la technologie a explosé en peu de temps. Après avoir pris le (mauvais) train de la réalité virtuelle en marche il y a quelques années, pas question de rester à quai.
«Sur le terrain de l’IA, le jeu n’est pas figé et Meta n’est pas encore largué. Il peut compter notamment sur l’effet de levier de ses réseaux sociaux, avec son énorme base d’utilisateurs, pour convertir plus facilement vers ces nouveaux outils, poursuit Xavier Degraux. L’IA et les réseaux sociaux semblent avoir besoin l’un de l’autre: l’engagement est en berne sur les réseaux, Facebook et Instagram sont devenus des plateformes de divertissement plus que d’échanges entre connaissances. L’IA peut venir relancer cette machine. De l’autre côté, l’IA veut se nourrir des données des réseaux sociaux et notamment des échanges plus humains, de la conversation, avec l’humour, la nuance, la complexité, etc. Jusqu’ici, l’IA générative est très américaine, nourrie avec du contenu parfois très théorique. La conversation, c’est un nouveau pan à explorer dont on devine l’intérêt pour ces sociétés.»
Meta n’est pas encore largué sur le terrain de l’intelligence artificielle. Il peut compter notamment sur l’effet de levier de ses réseaux sociaux
Xavier Degraux
expert en marketing digital et réseaux sociaux
La création d’un terrain commun entre IA et réseaux sociaux s’affirme de jour en jour. Les preuves, outre celle de Meta AI, ne manquent pas, que ce soit la volonté de rachat du réseau social TikTok par Perplexity, un autre acteur du monde de l’intelligence artificielle, le souhait d’OpenAI (chatGPT) de lancer son réseau social, ou encore le lancement de l’IA Grok sur X, le réseau social d’Elon Musk.
Derrière cet emballement, les enjeux financiers sont énormes pour ces acteurs technologiques, dont le modèle a toujours été tourné vers la gratuité… au prix de la livraison des données personnelles. «Vos contenus seuls n’intéressent pas Meta. En revanche, la somme des vôtres et de tous les utilisateurs, cela représente une certaine valeur, pour le profilage, la publicité, voire le contrôle d’enjeux démocratiques majeurs. Derrière ce petit choix de laisser une IA s’entraîner avec vos données, se cachent d’énormes enjeux pour les plateformes», conclut Xavier Degraux.
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