L’Internet quantique, une solution pour la cybersécurité
Des chercheurs néerlandais sont parvenus pour la première fois à faire circuler une information sur un réseau quantique. Une avancée majeure dans la quête de l’Internet de demain ?
La physique quantique est la discipline qui étudie les comportements des atomes et des particules, soit le monde dans sa plus petite échelle. Aujourd’hui, il existe des ordinateurs quantiques, largement plus puissants que les ordinateurs traditionnels.
Leur fonctionnement repose sur l’un des principes de la physique quantique qui est la superposition : un objet peut avoir plusieurs états en même temps : un atome peut être à la fois petit et grand, situé à la fois sur un point A et sur un point B, alors que dans la perception « classique », il ne peut être que l’un ou l’autre. Ce mécanisme contre-intuitif, « même les scientifiques les plus imaginatifs ont du mal à le comprendre, parce qu’il ne se joue pas au niveau sensible », explique à l’AFP Audrey Loridan-Baudrier, de la Fondation Mines-Télécom, qui forme de futurs ingénieurs à cette technologie.
C’est selon ce principe que fonctionnent les quantum bits, ou qubits, unités de base de l’information en informatique quantique. Les qubits jouent un rôle similaire à celui des bits dans l’informatique classique, mais ils se comportent de façon très différente. Les bits classiques sont binaires et peuvent contenir uniquement une position égale à 0 ou 1 alors que les qubits peuvent contenir une superposition de tous les états possibles – un peu comme une pièce de monnaie qui tourne sur elle même, offrant la possibilité qu’elle tombe sur sa face comme sur sa pile.
Cela permet aux ordinateurs quantiques d’effectuer des calculs qui sont impossibles à résoudre par les ordinateurs classiques, même les plus puissants. Cette avancée technologique pourrait donc avoir un impact considérable sur notre traitement de l’information. Elle permettrait notamment de développer de nouveaux médicaments ou encore pirater les systèmes informatiques les plus protégés au monde.
Cependant, la connexion de tels ordinateurs nécessite un type de réseau complètement différent de celui que nous connaissions jusqu’à présent : un Internet quantique. Et c’est là que QuTech intervient : le laboratoire de recherche quantique néerlandais a pu faire circuler une information entre plusieurs « noeuds » quantiques, en faisant appel à un phénomène que l’on appelle intrication, ou enchevêtrement : une mystérieuse connexion qui signifie qu’une fois deux particules enchevêtrées, si une modification est faite sur l’une des particules, elle se fera automatiquement sur l’autre, même à distance. C’est ainsi que fonctionnent les qubits.
Un réseau ultrasécurisé
Une information transmise via un réseau quantique ne voyage pas dans l’espace ; elle circule grâce au phénomène d’intrication. Certains parlent alors de téléportation de l’information. Avec l’intrication, toute tentative d’interception ou d’espionnage du message change automatiquement les qubits, détruisant le message lui-même. Quand il évoque l’Internet quantique, le physicien Ronald Hanson, co-auteur des travaux réalisés à QuTech, décrit un univers où les communications seraient « ultrasécurisées », et l’ordinateur quantique accessible dans le cloud avec « une confidentialité de nos données garantie par les lois naturelles de la physique ».
Selon le Professeur Jérémie Roland (ULB), on pourrait recourir à la communication quantique pour partager des informations sensibles, mais dans ce cas, les deux réseaux (classique et quantique) seraient nécessaires : « Pour échanger une information classique, on peut utiliser un échange de clé quantique. C’est-à-dire qu’on va transmettre le message via le réseau classique, mais la clé pour le déchiffrer ce message sera transmise via le réseau quantique. »
L’internet quantique remplacera-t-il le web traditionnel ?
Les réseaux quantiques pourraient-ils représenter un meilleur système que l’Internet traditionnel, qui fonctionne par câble et ondes ? Plus rapide, plus sécurisé, plus puissant ? Selon Jérémie Roland (ULB), non. Mais les deux pourront se compléter : « Il est très peu probable qu’un jour, tous les ordinateurs soient des ordinateurs quantiques, ou que le réseau quantique remplace le réseau traditionnel. Pour certaines tâches bien particulières, on pourrait avoir un intérêt à partager des informations via la communication quantique, mais vraisemblablement, la toute grande majorité des communications resteront des communications classiques. »
« La cryptographie [le fait de chiffrer un message, NDLR] risque d’être l’une des applications les plus importantes des technologies quantiques. Si, un jour, on a un réseau quantique, il sera en grande majorité utilisé pour distribuer des clés de chiffrement. » Il y a d’ailleurs déjà des communications quantiques à cet effet, mais celles-ci sont limitées dans l’espace (maximum 100 kilomètres). C’est pour ça que l’avancée réalisée par QuTech est si importante : ils sont parvenus à établir une communication quantique entre deux entités qui ne sont pas connectées directement, mais via une troisième entité qui sert de relais. L’utilisation de relais pourrait donc faire disparaître la contrainte géographique des communications quantiques et offre la possibilité de croire en un réseau mondial.
« Il pourrait y avoir d’autres applications de ce réseau quantique », ajoute Pr. Roland. « Mais celles-ci sont plus hypothétiques. Dans la presse grand public, on voit beaucoup d’annonces qui donnent l’impression que les technologies quantiques vont tout révolutionner. C’est possible. Mais pour le moment, on connaît peu d’applications pour lesquelles ce réseau serait vraiment utile. »
Victor Broisson
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