Bien qu’axé sur la sphère professionnelle, LinkedIn tend à se rapprocher de TikTok. © IMAGO/Lobeca

LinkedIn teste un flux vidéo inspiré de TikTok: «Pas sûr que la greffe prenne»

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Le réseau social s’aligne sur ses concurrents et annonce une phase de test d’un nouveau service de vidéos courtes, façon TikTok. Un tournant pour LinkedIn, un de plus pour la plateforme professionnelle de plus en plus prisée des coachs en tout genre et des influenceurs.

C’est le directeur stratégique d’une importante agence de marketing qui s’est chargé de l’annoncer en publiant une courte démo présentant le futur nouvel outil. De nouveaux types de contenus que les utilisateurs pourront parcourir, liker, commenter et partager, comme ils le font déjà sur TikTok, Meta, Instagram, YouTube et Snapchat. Publier des vidéos sur LinkedIn est déjà possible, bien sûr, mais ici on parle de vidéos courtes à consommer à la chaîne en format vertical.

La société n’a pas livré de détails sur la manière dont les algorithmes conditionneront l’offre personnalisée aux utilisateurs, mais elle a précisé que les contenus seraient axés sur les carrières et le monde professionnel. Du moment que la vidéo a pour vocation d’acquérir de nouvelles connaissances auprès d’autres professionnels et d’experts dans leurs domaines.

En ouvrant son espace à de nouveaux profils, Microsoft, propriétaire de LinkedIn, espère surtout profiter de l’encombrement des autres plateformes, TikTok en tête, ou de leur (relative) disgrâce, comme pour X. Et aspirer un maximum d’annonceurs, de créateurs populaires, ainsi que leurs abonnés évidemment. Une monétisation de ces contenus dans un futur proche est déjà en discussion.

Ce que LinkedIn cherche surtout à faire, commente Xavier Degraux, consultant en marketing digital et réseaux sociaux, c’est augmenter la durée moyenne de consommation. Car si la plateforme compte bien un milliard de membres et affiche une croissance annuelle de 10%, le taux d’engagement (publication de pages et de profils) moyen n’est que de 4,8%. En Belgique, 5 millions d’individus (principalement des salariés et des indépendants) sont inscrits sur la plateforme (contre 8,5 millions pour Meta). Environ 3% d’entre-eux postent au moins une fois par mois. Et, toujours en moyenne, les membres belges actifs sur la plateforme au moins une fois par mois, soit environ 50% des inscrits, consacrent 32 minutes par mois dans l’appli Androïd de LinkedIn, contre 42h20 pour les Belges qui utilisent l’app Androïd de TikTok.

«Si l’objectif est bien de doper l’usage des vidéos et de s’aligner sur ce que fait Meta, l’approche est tout de même différente, souligne l’expert. Les contenus seront soumis à un comité d’évaluation qui décidera de les épingler ou non sur le feed vidéo. Le but n’est pas de faire le buzz mais de proposer des contenus pérennes qui permettent aux membres d’apprendre de nouvelles choses.»

«Si l’objectif est bien de doper l’usage des vidéos et de s’aligner sur ce que fait Meta, l’approche est tout de même différente.»

Xavier Degraux

Réseau fourre-tout?

Partir à la chasse aux abonnés, au risque d’y perdre son identité ? La plateforme professionnelle créée en 2003, censée se distinguer de ses concurrentes par cette spécificité, a déjà fortement évolué ces dernières années.

Dans un podcast diffusé sur la RTS, la journaliste spécialisée dans le marketing d’influence et créatrice du réseau Les gens d’Internet, Myriam Roche, s’interroge sur le tournant «perso» opéré par la plateforme. Selon l’observatrice, l’année 2020 et la pandémie de Covid-19, avec son confinement et sa ruée vers le télétravail, ont poussé de nombreux actifs à rechercher sur la plateforme professionnelle des liens qui se créent habituellement lors d’événements de réseautage ou autour de la machine à café. Ecrire un post s’est alors imposé comme une manière de toucher des personnes que l’on ne compte pas forcément parmi les membres de son réseau habituel mais qui évoluent dans le même secteur. Une forme d’entre-soi qui met en confiance.

Des utilisateurs qui n’avaient pas forcément les codes de LinkedIn se sont alors mis à publier des posts sortant du cadre professionnel pour aborder des sujets centrés sur eux-mêmes, plus intimes aussi, comme la famille, le divorce, le burnout. Si bien qu’aujourd’hui, pointe la spécialiste, LinkedIn se rapproche très fort de Meta. On y croise d’ailleurs de nouveaux profils, des retraités, des étudiants et, de plus en plus, des coaches de vie. Les codes et le langage utilisés sur LinkedIn – petite phrase d’accroche et emojis – ne sont pas bien différents de ce que l’on peut lire sur d’autres plateformes. Ce qui diffère de X, d’Instagram ou de Snapchat, c’est la longueur des posts.

Aux côtés des recruteurs, des coaches et de tous les autres actifs, on trouve aussi des influenceurs. Pas (encore) au sens purement commercial du terme mais des influenceurs «B2B» qui s’expriment sur les nouvelles tendances ou les nouveaux outils dans leur secteur d’activité et sur les valeurs de leurs sociétés partenaires, décrit encore Myriam Roche.

Fun, mais pas trop

«Le réseau a effectivement imaginé un mode « créateurs » il y a quelques années afin d’attirer les influenceurs, mais il va y mettre fin, complète Xavier Degraux. La portée de ce paramètre de profil n’était que moyenne et LinkedIn ne les favorise plus. A présent, on se dirige plus vers un contenu de niche. On ne cherche plus à mettre en avant des internautes qui ont une renommée mondiale. L’accent est mis sur les contenus inspirants et positifs. Le côté positif est vraiment important sur LinkedIn. Les commentaires sont rarement négatifs. C’est logique, qui prendrait le risque d’allumer quelqu’un sur un réseau professionnel. D’autant que contrairement à d’autres plateformes, on ne peut pas le faire dans l’anonymat.»

«Ces vidéos seront certainement une source de rentrées faciles, poursuit le consultant, mais je ne suis pas certain que la greffe prenne.» Les chiffres montrent que les membres de LinkedIn s’y rendent généralement pendant les heures de boulot. Or, consulter des vidéos sur son lieu de travail, quel qu’en soit le contenu, reste associé à de la flânerie. Enfin, pour générer des vues, il faudra que ces capsules traitent de sujets capables de toucher un large public. Le burnout, le bien-être au travail, ça peut fonctionner, le dernier outil d’une boîte qui performe dans un secteur de niche, ça reste à voir.

Le réseau parviendra-t-il à conjuguer sphère professionnelle et récréative ? En septembre 2021, il annonçait mettre fin à ses stories, quelques mois à peine après le lancement du format, les utilisateurs ayant formulé le souhait de disposer d’outils plus créatifs afin de concevoir des vidéos plus engageantes, mais toujours cadrées. Le dosage s’avère délicat.

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