Grok: «Avec sa nouvelle IA, Elon Musk a ouvert tout grand la boîte de Pandore»
En mettant son IA Grok à la portée de tous, Musk fait un pas de plus vers la désinformation et montre toute l’étendue de son pouvoir désormais politique.
Une fortune estimée à plus de 440 milliards de dollars, un solide pied dans le prochain gouvernement Trump, un réseau social équipé désormais d’un outil IA redoutable pour fabriquer de puissants deepfake… La montée en puissance d’Elon Musk fait peur. Très peur. Donnant l’impression que rien ne peut plus arrêter le multimilliardaire mégalo qui s’est toujours vu en héros de jeu vidéo. La manière dont il sautillait sur les planches des meetings du candidat républicain à la Maison blanche, dévoilant son nombril, laisse entrevoir un côté puéril, quasi sans filtre, contrastant avec l’intelligence et la détermination de quelqu’un qui rate rarement ses paris.
Atteint du syndrome d’Asperger, le patron de Tesla, qui a lu tous les livres des religions monothéistes et des philosophes comme Nietzsche et Schopenhauer, a atteint bien des ambitions, avec son entreprise astronautique SpaceX, devenue incontournable pour la NASA, son fournisseur d’accès à Internet par satellite Starlink qui a fait le beau temps lors de la guerre en Ukraine, sa start-up Neuralink d’implants cérébraux qui pourrait faire beaucoup parler d’elle dans les années à venir, ou son réseau social X qui défraye sans cesse l’actualité, avec ses excès, ses fake news et les spots controversés de son propriétaire.
Aujourd’hui, avec l’aide de Donald Trump, pour la campagne duquel il a été le plus grand donateur de l’histoire récente des Etats-Unis (270 millions de dollars), il plonge dans l’arène publique en se voyant confier un poste éminemment politique, lui qui déjà prend régulièrement son téléphone pour converser avec Poutine. En janvier, il sera, en effet, le «futur ministre de l’efficacité gouvernementale, dont la tâche consiste à détruire l’Etat américain», comme l’a écrit, avec ses mots, l’essayiste français Pascal Bruckner. Sa proximité avec Donald Trump devrait bénéficier à ses différentes sociétés, ce qui gonflerait encore un peu plus son immense fortune. De quoi en faire l’homme le plus puissant des Etats-Unis.
Plus puissant que Trump lui-même? «Il faut éviter de comparer des pommes et des poires, nuance Nicolas van Zeebroeck, professeur à la Solvay Brussel School (ULB) et spécialiste de l’économie numérique. Le président américain est tout de même, entre autres prérogatives, à la tête de la première armée de la planète. Par contre, ce qui est inédit avec Musk, c’est la largeur de son champ d’influence qui touche des domaines très variés, du spatial à l’industrie auto en passant par la téléphonie satellite et les réseaux sociaux, sans oublier l’intelligence artificielle. Et, surtout, certains de ces domaines, sur lesquels il est dominant d’un point de vue commercial, flirtent de plus en plus dangereusement avec des fonctions régaliennes.» La collaboration de SpaceX avec la NASA, agence étatique qui traite aussi de projets militaires, ou le rôle de Starlink sur le terrain de combats guerriers, en sont des exemples frappants.
L’effrayant réalisme Grok
«Son réseau X, sur lequel il poste de nombreux avis et commentaires, lui donne aussi un pouvoir énorme, car c’est l’influence de la pensée et du discours politique», ajoute le Pr. van Zeebroeck. Et c’est sur X que, depuis quelques jours, l’IA de Musk, baptisé Grok2, est accessible à tous les utilisateurs, pas seulement ceux qui paient un abonnement. Or Grok, qui produit des images IA lorsqu’on tape de simples mots ou noms de personnalité, est d’une facilité d’usage qui le rend à la portée d’un jeune enfant. Et ces images s’apparentent à de vraies photographies (voir les exemples que nous avons réalisés nous-mêmes ci-dessous), contrairement aux IA concurrentes Dall-E d’OpenAI ou MidJourney dont l’esthétique est plus cartoonesque ou fantasy.
L’IA de Musk, qui autorise la production de portraits trafiqués de personnalités publiques quasi sans garde-fou, crée déjà la polémique. Le seul indice permettant de savoir qu’il s’agit d’une image générée par intelligence artificielle est le sigle GROK inscrit en transparence en bas à droite de la photo, facilement gommable via un programme tel que Photoshop. Cela ouvre la voie à tous les deepfakes tant dénoncés surtout lors des périodes électorales. Le patron de X met ainsi un outil de désinformation visuelle dans toutes les mains, qui est à la limite de légalité voire illégal selon certaines législations. «C’est vrai qu’il ouvre une boîte de Pandore, mais celle-ci était déjà entrouverte ou mal fermée depuis deux ans, relativise Nicolas van Zeebroeck. Les autres générateurs IA ont certes prévu des verrous, mais cela s’apparente à fermer une énorme boîte avec un simple ruban. Elon Musk, lui, n’a même pas mis de ruban… »
Face à la controverse, le milliardaire américain n’aura de cesse d’avancer l’argument de la liberté d’expression, comme ce libertarien affirmé l’a fait lorsqu’il a rouvert X (ex-Twitter) à tous les complotistes de la planète. «Mais sa vision libertarienne est d’une hypocrisie totale, commente encore l’expert de l’ULB. Il y a certes des libertariens qui sont fondamentalement cohérents avec leurs principes, qu’on aime ou pas. Et puis, il y a ceux comme Musk ou Trump qui sont libertariens quand ça les arrange, par pur opportunisme. Elon Musk a a tout de même bloqué sur X des gens qui publiaient des choses qu’il n’aimait pas… Idem avec son discours sur l’immigration qui n’a rien de libertarien, au contraire.»
Ce personnage doit-il faire peur? Sa puissance financière tient surtout à la valorisation de ses avoirs sur le marché. Un effondrement est toujours possible. Surtout si son attelage avec son nouvel ami Donald venait à craquer, ce qui est annoncé par certains observateurs de la vie américaine vu les ego surdimensionnés des deux hommes. Mais Musk pourrait profiter rapidement des mois à venir pour décrocher nombre de nouveaux marchés publics. Ses sociétés SpaceX, Tesla ou SolarCity profitent déjà d’aides gouvernementales depuis leurs débuts. Cela ne devrait pas faiblir. Les conflits d’intérêts risquent d’être légion. Par exemple, Musk collabore avec la NASA… et annonce vouloir dégraisser les agences étatiques dont la NASA fait partie. Cherchez l’erreur.
Cette image fondant Georges-Louis Bouchez et Elio Di Rupo au point de les faire ressembler à des jumeaux a été générée très facilement par l’IA Grok d’Elon Musk.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici