Il inspire la notion de commencement et de fin, sous-jacente à l’expression «repartir de zéro». © Getty Images

Série (1/7) | La mystérieuse histoire du zéro

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

L’usage du zéro relève aujourd’hui d’une évidence. Pendant des siècles, pourtant, peu de civilisations jugèrent utile de désigner le nul ou le néant.

C’est un chiffre qui désigne une position de vide. Un nombre qui exprime une quantité nulle. Incontournable dans les maths, les dates ou la physique, le zéro que l’on connaît aujourd’hui renvoie à une histoire empreinte de mystères, tant la fréquence de son usage s’avère inversement proportionnelle aux millénaires qu’il mit avant de s’imposer. Dans les écrits grecs ou romains, par exemple, rien ne permettait de désigner le néant, ou l’inexistant. Ainsi, Aristote refusait de reconnaître l’existence du vide, que les croyances associaient par ailleurs au chaos antérieur à la création. Pendant longtemps, il ne fut d’ailleurs pas jugé utile de chiffrer une valeur nulle.

La première trace de son existence est attribuée aux Séleucides babyloniens, environ 300 ans avant J.-C., sous la forme de deux clous obliques permettant de lever une ambiguïté dans un système de numérotation sexagésimal: sans l’insertion d’un tel sigle, YY pouvait en effet autant signifier 1+1 que 60+1. A l’époque, le zéro n’était donc employé que comme un chiffre, et non comme un nombre exploitable en mathématiques. Il fallut attendre le VIe siècle de notre ère, par l’entremise des travaux du mathématicien indien Aryabhata, pour voir apparaître le zéro, appelé «sunya» à l’époque («vide» en sanskrit), en tant que nombre. Dans son Brahmasphutasiddhanta, en l’an 628, un autre mathématicien indien, Brahmagupta, définit le zéro comme la soustraction d’un nombre par lui-même. A l’exception de la division (il considère que 0 divisé par 0 est égal à 0, contrairement à l’erreur que renverrait une calculatrice moderne), les règles de l’arithmétique qu’il expose concernant l’usage du zéro correspondent aux usages d’aujourd’hui. C’est aussi à Brahmagupta que l’on doit le recours aux nombres négatifs en comptabilité.

La forme du zéro est intimement liée à la portée philosophique que sa valeur inspire.

A l’origine, les chiffres arabes viennent donc de l’Inde, y compris le zéro, repris au VIIIe siècle par le mathématicien al-Khwarizmi et baptisé «sifr», une appellation qui aboutira par ailleurs au mot «chiffre» de la langue française. L’étymologie du zéro a elle aussi beaucoup voyagé: en parallèle, «sifr» se voit traduit en latin par «zephirum» à l’initiative de Léonard de Pise, dit Fibonacci (1170-1250). Ce qui donnera par la suite «zephiro», «zeuero», «cero» en espagnol et «zero» en italien.

La forme du zéro s’avère intimement liée à la portée philosophique que sa valeur inspire. Son cercle fait écho au double zéro entrelacé ou huit couché symbolisant l’infini, ce qui n’est pas un hasard. Ainsi, 1 divisé par 0,001 donne 1.000, mais 1 divisé par 0,00001 équivaut à 100.000, et ainsi de suite. Représenté par la plupart des civilisations comme un point ou un cercle, il inspire aussi la notion de commencement et de fin, sous-jacente à l’expression «repartir de zéro». Sa forme traduit aussi un équilibre parfait entre les valeurs négatives et positives.

En physique, le zéro absolu correspond par ailleurs à 0 kelvin, c’est-à-dire -273,15 °C. Il s’agit de la plus basse température que l’on peut théoriquement atteindre, lorsque les molécules et atomes cessent complètement de bouger. Bref, le rien peut paradoxalement désigner tant de choses, ce qui fait du zéro un chiffre, un nombre et un symbole aujourd’hui incontournable pour la représentation du monde.

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