Voyage interstellaire à bord d’un voilier solaire, possible grâce à une méthode belge?
Fendre l’espace à bord d’un voilier solaire à une vitesse proche de celle de la lumière, pure science-fiction à la Star Wars ou future réalité? Les travaux innovants de trois scientifiques de l’UNamur paraissent en tout cas visionnaires. En filigrane se profile la conquête de notre Système solaire.
La récente publication de trois chercheurs de l’Institut des systèmes complexes de l’UNamur dans la Physical Review Research, la crème de la crème des revues de physique, scelle l’entrée du voyage interstellaire à la vitesse de la lumière dans le répertoire très sélect des spécialités belges. Et ce sous les applaudissements de leurs pairs et de l’American Physical Society. Formé d’un astrophysicien, d’un mathématicien et d’un informaticien, le trio propose la méthodologie la plus avancée à ce jour d’un projet de photovoile (voile solaire) accélérée par propulsion à énergie dirigée.
Jusqu’à présent, on modélisait uniquement le mouvement de la photopropulsion par laser et en ligne droite. Les Belges vont bien plus loin que tout ce que propose la littérature sur le sujet depuis les années 1960, puisqu’ils en donnent pour la première fois une dynamique en trois dimensions. Cette modélisation novatrice est indispensable pour le pilotage interstellaire. Les chercheurs complètent ainsi les travaux publiés en 2019 par l’astrophysicien André Füzfa – leader du trio -, relatifs aux méthodes de futurs GPS destinés à l’astronavigation interstellaire. Les voyages à une vitesse proche de la lumière sont en train de devenir une spécialité belge.
Rien de farfelu ni d’impossible dans l’idée d’un voyage interstellaire. Les lois de la physique conventionnelle l’autorisent, contrairement au voyage dans le passé ou aux vols supraluminiques (à une vitesse supérieure à celle de la lumière). L’idée fait d’ailleurs sérieusement son chemin à l’Agence spatiale européenne (ESA) qui invitait plusieurs spécialistes du sujet au printemps dernier. Côté américain, on a déjà fait un pas de plus: depuis 2009, le programme Starlight, développé par la Nasa et l’université de Santa Barbara, étudie l’utilisation à grande échelle de l’énergie dirigée pour propulser des vaisseaux spatiaux, alimenter des stations spatiales distantes, détruire des débris spatiaux (ou des satellites gênants), voire dévier des astéroïdes qui menaceraient notre planète. Et, justement, la méthode belge donne des outils mathématiques nouveaux et indispensables à la déviation ou à la vaporisation des déchets spatiaux par tir laser. De quoi intéresser grandement les entreprises belges, pour lesquelles il y a un marché de niche à saisir.
Alpha du Centaure et la libellule
L’application la plus sensationnelle des résultats obtenus par l’étude belge est la faisabilité de l’exploration robotisée d’Alpha du Centaure, le système planétaire et stellaire le plus proche de notre Système solaire, à 20% de la vitesse de la lumière. De quoi donner un grand coup de collier au projet américain Breakthrough Starshot, parrainé par feu le physicien Stephen Hawking et développé depuis 2016 par les milliardaires Yuri Milner et Mark Zuckerberg. Les chercheurs de Starshot envisagent d’ores et déjà d’inclure le modèle belge dans leurs prochaines simulations de lancement. Objectif du projet: envoyer d’ici à une vingtaine d’années plusieurs milliers de sondes spatiales très légères (1 gramme) équipées de voiles solaires vers Alpha du Centaure, afin qu’elles nous renvoient des images des exoplanètes de ce système voisin. En ligne de mire: l’exoplanète la plus proche de nous, Proxima b. L’atteindre nécessiterait un voyage d’une durée de mille ans avec les moyens de propulsion chimique majoritairement utilisés aujourd’hui. Mais seulement de quelques années avec une propulsion à énergie dirigée. Et cette durée est encore raccourcie parce que, à une vitesse proche de celle de la lumière, le temps se dilate.
« Si Starshot peut propulser des sondes de 1 gramme à 20% de la vitesse de la lumière, on peut utiliser la même infrastructure pour réduire à quelques mois la durée de la traversée du système solaire par des vaisseaux habités, si l’on voyage à une vitesse avoisinant celle de la lumière! » s’enthousiasme André Füzfa. Lequel propose l’utilisation de voiles solaires à double étage pour aller titiller les confins de notre Système solaire. Une façon de voyager que ne dédaignerait pas feu le physicien Robert Forward, l’inventeur de la propulsion à énergie dirigée. Un mode de déplacement qu’il a merveilleusement illustré dans son très réaliste roman de science-fiction, Le Vol de la libellule.
Un vol habité sur un vaisseau spatial de 100 tonnes nécessiterait une puissance solaire capturée par l’équivalent de la surface terrestre et des voiles de plusieurs centaines de kilomètres de diamètre. Pour capturer un tel paquet d’énergie, il faudrait construire une centrale solaire de la taille de la Terre, du type « sphère de Dyson » (une mégastructure théorique, conceptualisée en 1960 par le physicien Freeman Dyson), un immense réseau de récepteurs solaires. En admettant que la Terre dispose, un jour, des ressources matérielles nécessaires pour mener à bien un tel défi d’ingénierie, le projet n’est – en théorie – pas impossible, mais il serait aussi terriblement dangereux. En effet, le travail de l’équipe du professeur Füzfa montre que, pour la seule mission de sondes robotisées du projet Starshot, « l’énergie à fournir, pour une seule nanosonde en partance de la Terre pour Alpha du Centaure, équivaut à celle dégagée par la bombe atomique d’Hiroshima ». Reste que Starshot envisage bel et bien de construire une centrale solaire de puissance équivalente à au moins une dizaine de réacteurs nucléaires civils (10 GW) qui alimenterait une batterie de lasers connectés à un réseau de grands télescopes.
Certains l’aiment chaud
Autre défi majeur mis à jour par l’étude belge: l’échauffement des matériaux d’un voilier solaire propulsé par laser. « Le modèle actuel du projet américain Starshot envisage une voile chauffée à environ 300 degrés. Or, nous avons montré que la température va en réalité être quatre fois plus grande », commente André Füzfa. Son équipe avance que seuls des matériaux révolutionnaires, comme le graphène, le silicène ou des métamatériaux (des matériaux composites artificiels présentant des propriétés électromagnétiques qu’on ne retrouve dans aucun matériau naturel) pourraient répondre au cahier des charges. Pour ce qui est de la protection des humains embarqués à bord d’un vaisseau à voiles solaires, l’utilisation d’un bouclier thermique pourrait être envisagée.
Stephen Hawking n’a pas caché qu’avec son projet Starshot, il ambitionnait, à très long terme, un exode terrestre, afin de permettre la survie de l’humanité sur une autre planète. L’étude belge a le mérite de se pencher sur la validité morale d’un vol interstellaire: les ressources à mobiliser seraient énormes, pour n’en faire bénéficier que quelques rares privilégiés. Par ailleurs, a-t-on le droit de contaminer d’autres systèmes planétaires avec des éléments terrestres? Enfin, le professeur Füzfa s’inquiète d’un éventuel usage militaire de ce type de technologie. L’étude amène à s’interroger également sur les mesures à prendre afin de limiter la dangerosité, pour notre environnement, d’une telle conquête du Système solaire: il faudrait trouver un moyen de gérer la dissipation d’une partie de la puissance du laser propulseur dans l’atmosphère terrestre. Pour ce qui est d’un éventuel vol interstellaire habité, c’est l’énergie solaire reçue par l’équivalent de toute la surface de la Terre qu’il faudrait pouvoir monopoliser: cela nécessiterait un immense projet d’infrastructure spatiale.
Le jour lointain où le voyage interstellaire pourra se concrétiser, notre Système solaire conquis et asservi aura perdu sa beauté sauvage, au risque d’afficher des airs de friche industrielle. Une image sinistre qui n’est pas sans rappeler celle qu’évoque l’écrivain Bernard Werber dans Les Thanatonautes, où le dernier « continent » à explorer n’est pas l’espace, mais la mort: un monde qui devient le terrain de jeu des entreprises, rivalisant pour y flanquer des panneaux publicitaires. Reste qu’en s’associant avec le mathématicien Williams Dhelonga et l’informaticien Olivier Welcomme, l’astrophysicien Andre Füzfa a le mérite de démontrer que, non seulement le vol interstellaire est réalisable, mais aussi que la Belgique est prête à jouer un rôle majeur dans cette aventure inouïe.
A noter: le 26 novembre, une soirée de conférences virtuelles sur le thème de l’exploitation de l’espace, y compris le voyage interstellaire. Infos: nuitdeschercheursunamur.be
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