Vers un portrait-robot génétique
Grâce aux progrès de la recherche sur l’ADN, la science peut désormais décrire le physique d’individus disparus depuis plusieurs dizaines de milliers d’années.
Pour certains, il est le plus vieux sujet de sa Majesté : 10 000 ans au compteur. Pour beaucoup, il n’a pas vraiment la gueule de l’emploi : des yeux bleus et un épiderme noir, à mille lieues du phototype 1 assez répandu aujourd’hui en Grande-Bretagne (peau blanche, laiteuse, cheveux roux). Quelle ne fut donc pas la surprise de nos amis d’outre-Manche en découvrant, le 6 février 2018, le visage du plus ancien habitant connu de l’île, Cheddar Man, dont les restes ont été exhumés en 1903 dans des gorges proches du village de Cheddar (qui a donné son nom au célèbre fromage). L’exploit de cette reconstitution surprenante revient aux équipes de muséum d’histoire naturelle de Londres, qui ont utilisé les informations contenues dans les ossements de son crâne. Des séquences ADN ont permis, plus de dix millénaires après sa mort, de lui donner ce visage plus que basané !
L’analyse génétique nous donne une apparence fondée sur les probabilités.
Depuis quelques années, la génétique au service de l’évolution humaine révolutionne les connaissances. Plus récemment, c’est Liran Carmel, généticien à l’université de Jérusalem, qui publiait, dans la revue Cell, le portrait-robot d’un des personnages les plus mystérieux de la paléoanthropologie : l’homme de Denisova. A l’instar de Neandertal, les Denisoviens ne sont pas nos ancêtres directs, mais plutôt une sorte de cousins. Ils vivaient il y a plus de 50 000 ans en Asie. D’eux, on ne sait pas grand-chose, dans la mesure où, en dehors d’une mandibule analysée récemment, nous ne possédons que des restes de dents et de phalanges.
Plusieurs dizaines de milliers d’années plus tard, la science peut donc décrire le physique d’individus disparus ! Car, dans certaines conditions qui excluent les environnements trop humides et trop chauds, l’ADN se conserve très bien et contient une quantité d’informations phénoménale. Sexe, couleur des yeux, des cheveux, de la peau et caractères physiques sont en effet déterminés par quelques gènes. La moindre trace de salive pourrait donc permettre de dessiner le visage de son propriétaire.
Faisceau de présomptions
Ces deux résultats prometteurs suscitent aussi de nombreuses réserves de la part des scientifiques. » C’est une méthodologie qui, sur le principe, peut fonctionner, commente Ludovic Orlando, chercheur au laboratoire d’anthropologie moléculaire et d’imagerie de synthèse du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), à Toulouse. Dans le cas des travaux de Liran Carmel, elle se heurte à de nombreuses limites. C’est un premier pas, mais les conclusions sont un peu prématurées. Les auteurs partent du postulat que les Denisoviens sont comme nous. Or, on n’en sait rien. Rien ne dit que l’absence de certains gènes ne soit pas compensée par une surexpression d’autres gènes et amène donc d’autres caractéristiques. » Céline Bon, paléogénéticienne et maîtresse de conférences au musée de l’homme, à Paris précise : » Pour Cheddar Man, il est très compliqué d’affirmer qu’un individu a la peau foncée. La couleur de peau est due à la concentration en mélanine [NDLR : un pigment naturel produit dans les cellules épithéliales]. De nombreuses mutations génétiques peuvent altérer sa production. Exactement comme dans une usine, lorsque quantité de pannes différentes peuvent avoir une même conséquence. Pour grossir le trait, on peut savoir si un individu a la peau claire, mais on ne peut pas voir s’il a réellement la peau sombre. On a juste un degré de probabilité. »
La biologie moléculaire appliquée à l’anthropologie ne se cantonne pas à la connaissance des lointains hominidés et ouvre aujourd’hui un nouveau pan de recherche au sein de la police scientifique. La méthodologie peut être répliquée sur du matériel ADN bien plus récent et servir dans le cadre d’enquêtes. Sur le principe, il paraît relativement facile d’analyser des traces génétiques et de savoir si un échantillon d’ADN appartient à un homme ou une femme, si la personne a les yeux bleus ou marron, les cheveux blonds ou noirs, etc.
Fichiers de comparaison
Pourtant, en dépit d’avancées scientifiques indéniables, le portrait-robot génétique n’est pas vraiment d’actualité. » L’ADN ne contient que les informations initiales, tempère Richard Marlet, ancien patron de l’identité judiciaire à la préfecture de police de Paris (1). Impossible de dessiner un portrait-robot qui tienne compte des cicatrices, de la barbe ou d’une moustache, et même de la couleur de cheveux. Tous ces éléments sont pourtant cruciaux dans le cadre d’une enquête policière. » Si l’outil génétique ne peut être considéré comme 100 % efficace, il peut cependant se révéler précieux en complément des méthodes plus traditionnelles. » N’allez pas imaginer qu’à partir d’un de vos cheveux, on puisse redessiner parfaitement votre visage, prévient Céline Bon. L’analyse génétique nous donne une apparence fondée sur les probabilités. A partir d’un échantillon, nous sommes capables d’établir une hypothèse de voir apparaître tel trait physique. Par exemple, nous pouvons dire qu’un individu a de fortes chances d’avoir un nez plus ou moins gros, des yeux plus ou moins rapprochés, etc. »
Pour aboutir à une reconstitution la plus efficace possible, il faut partir d’une quantité suffisante d’échantillons, de sorte à pouvoir établir et comparer ces données statistiques. » Les informations dont nous disposons sont très inégales et varient en fonction des origines géographiques des individus, nuance Céline Bon. Nos fichiers de comparaison sont donc incomplets et nous donnent un regard quelque peu biaisé. » D’où l’importance, pour les scientifiques et les policiers, de constituer des fichiers suffisamment fournis.
Affiner les statistiques
Le projet Visage (pour VISible Attributes through GEnomics), lancé début 2017 à l’échelle européenne, réunit treize partenaires issus de la recherche, de la police et de la justice. Huit pays y participent, mais pas la Begique. Ses missions : développer des outils standardisés pour améliorer l’analyse génétique et l’interprétation statistique, et mettre en place des recommandations éthiques et sociétales liées à ces questions. Il devrait donner de premiers résultats en 2020. L’utilisation des données issues de son propre patrimoine génétique demeure cependant hautement sensible d’un pays à l’autre, et selon les individus. Ainsi, certains d’entre nous sont réticents à l’idée de les fournir à l’Etat, mais n’hésitent pas à les envoyer à des entreprises américaines pour avoir des informations sur » leurs ancêtres « …
Aux Etats-Unis, justement, un juge de l’Etat de Floride vient de contraindre l’entreprise GEDmatch à partager les données génétiques de ses clients avec la police. Soit plus de 1,3 million de personnes, qui n’ont pourtant pas donné leur autorisation pour une telle utilisation de leur génome. Mais au pays de l’Oncle Sam, une telle » réquisition judiciaire » a déjà montré son utilité : en 2018, des échantillons de cette même base de données avaient permis d’arrêter Joseph DeAngelo, le tueur du Golden State, accusé d’une douzaine de meurtres. Comment ? Un de ses cousins apparaissant sur le fichier, la police avait pu comparer ses données avec les échantillons prélevés sur la scène de crime. A l’époque, tout le monde s’était réjoui d’avoir vu le coupable ainsi confondu. Pas sûr que l’argument soit aussi bien perçu de ce côté-ci de l’Atlantique.
Vincent Bordenave
(1) A lire : La Science à la poursuite du crime, par Pierre Piazza et Richard Marlet, éd. de la Martinière, 2019, 336 p.
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